La démission de Lucien Bouchard : Allo papa bobo!
Société

La démission de Lucien Bouchard : Allo papa bobo!

La démission de Lucien Bouchard nous prouve une chose: il est de plus en plus difficile de concilier vie politique et vie personnelle. À quand une véritable réorganisation du travail dans les coulisses de l’État?

Le moment le plus émouvant dans l’allocution de Lucien Bouchard a eu lieu lorsque le premier ministre démissionnaire a parlé de sa famille qui lui est venue sur le tard, de ses deux fils, Simon et Alexandre, qu’il avait besoin de retrouver.

Sur le coup, j’ai applaudi intérieurement aux propos du premier ministre: bravo, monsieur Bouchard! Les hommes qui reconnaissent publiquement l’importance de leur famille et de leurs enfants sont encore trop rares. Et ce, même si, chaque année, des dizaines d’hommes d’affaires invoquent des raisons familiales pour justifier leur départ d’un poste très en vue. "Je veux consacrer plus de temps à ma famille", disent-ils. C’est devenu l’excuse à la mode. Où étaient ces hommes quand leurs enfants étaient petits et avaient besoin d’eux? Au bureau, dans des réunions, des congrès, des assemblées d’actionnaires. Aujourd’hui, leurs enfants sont grands et ont quitté le nid familial depuis longtemps. Il est déjà trop tard… Talk is cheap, comme disent les Américains.

Le Québec entier a donc vibré aux arguments de Lucien Bouchard (de la bouche d’une femme, ces paroles n’auraient sans doute pas reçu un accueil aussi chaleureux), des propos qui dégageaient un fort accent de sincérité. Les enfants Bouchard sont d’âge scolaire, leur père peut donc espérer rattraper un peu le temps perdu.

Malgré tout cela, je ne trouve pas le discours du premier ministre très rassurant. Que nous dit-il au fond? Qu’il est impossible de concilier vie familiale et vie politique (propos confirmés par le fils de Pauline Marois interviewé à L’Effet Dussault l’automne dernier. L’adolescent laissait entendre que sa mère lui avait énormément manqué.)

Lucien Bouchard nous prouve qu’une personne occupant un poste-clé dans l’administration des affaires de l’État doit sacrifier sa vie de famille. Et, par extension, on devine qu’il (ou elle) doit renoncer à une vie amoureuse normale, à ses amis, à ses activités sportives et culturelles, etc.

Ce qui confirme nos pires doutes, à savoir que nous sommes dirigés par une bande de déséquilibrés.

Qu’y a-t-il d’admirable à vivre coupé du monde, à travailler des heures de fou, à ne jamais avoir une minute pour lire un livre, regarder la télé, aller au cinéma ou au musée? Pourquoi devrait-on avoir confiance en des gens qui trouvent à peine le temps de voir leurs proches et de profiter de la vie?

C’est un des grands problèmes de la vie politique. Nos dirigeants sont complètement déconnectés du quotidien, la plupart sont incapables de vous donner le prix d’un litre de lait ou de vous parler du dernier film qu’ils ont vu au cinéma. Les politiciens vivent dans une tour d’ivoire (ou un bunker) et entretiennent leur schizophrénie en prenant leurs repas dans les restaurants de la Grande Allée avec d’autres individus coupés de la réalité. Résultat: stress, fatigue extrême, divorces, alcoolisme, etc. Épeurant, non?

La journaliste Sophie Langlois le soulignait l’autre soir au Point de Radio-Canada, quand elle disait (en substance): "C’est frappant à quel point la vie politique fait vieillir vite."

Imaginez un politicien qui se fixe comme règle de terminer sa journée à 18 h? Imaginez un système qui respecterait la vie personnelle et familiale de ses élus?

Il peut arriver, comme dans d’autres secteurs, qu’il faille travailler davantage pendant une certaine période de temps. Personne n’est à l’abri d’un deadline ou d’une période de pointe. Mais au nom de quoi devrait-on accepter que les heures supplémentaires et les journées de 18 heures de travail deviennent un mode de vie?

Personnellement, j’aime mieux penser qu’un ministre passe sa soirée au resto avec ses amis, ou à la maison à donner le bain au petit dernier, plutôt que de le savoir en réunion à 22 h 30 un petit mardi de février, dans une salle éclairée au néon.

Je me réjouis que Lucien Bouchard ait compris qu’il n’y a pas que la politique (ou le travail ) dans la vie. Mais je réserve mon admiration inconditionnelle à celui (ou celle) qui aura le courage de s’attaquer à l’organisation du travail dans la gestion des affaires de l’État.

Ce jour-là, les femmes seront peut-être davantage attirées par la politique. Et les hommes qui choisiront de s’y investir n’auront pas à sacrifier leur vie personnelle.

Ce jour-là, tout le monde s’en portera mieux.