Robert est mort de rire. Après 50 semaines de travail acharné, il a trouvé le moyen de prendre huit jours de précieuses vacances aux frais de la princesse, entre Noël et le Nouvel An.
Un billet d’avion pour pas cher. Trois heures de stand-by. Deux escales impossibles. Un vieux douanier débonnaire et hop!… le voici, insouciant, léger, évaché sur les plages de quelque Floride. Soleil vertical, baignades nocturnes, palmiers velus, cocktails assortis et copieux déjeuners en compagnie de célèbres semi-retraités. Oui monsieur, qu’est-ce qu’on en a de la chance, Guy Provost ou Émile Genest somnolent dans la chambre d’à côté…
Oh, ce n’est pas Bénarès, Milan ou Katmandou, mais quoi de mieux que Puerto Poilou pour oublier un peu l’hiver, le froid, la neige et les factures de chauffage salées qu’il faudra payer en mai…
Décidément, près de la trentaine, le temps passe déjà trop vite. À quoi bon rentrer, reprendre le collier, gaspiller ce petit surplus d’énergie et ce hâle qui ferait l’envie des cadavres blafards du bureau…
Parce qu’il le faut. Robert n’est pas Lalonde, Lautrec ni Louvain. La Floride, le Mexique n’est pas sa seconde patrie.
Dans le DC8 allongé datant du siècle dernier, qui le ramène vers Dorval et la radio de CKAC, Robert inhale de l’oxygène en conserve et repère avec nostalgie quelques derniers relents du Mexique dans l’haleine de son voisin de siège qui a la guedille au nez et qui transpire abondamment.
Robert atterrit en terre sainte, débarque dans le pays promis de Bernard Landry heureux, ravigoté, avec juste un petit inconfort, une gratouille dans la gorge, des yeux humides attribuables à un léger excès de tequila brune.
Ayayay, erreur, lorsque le nez se met à couler, les bronches à brûler, Robert n’est pas long à identifier l’ennemi atavique, l’assassin de la maudite grippe qui l’attendait de pied ferme.
Comme tout bon Québécois, notre touriste possède une grande expérience des remèdes de bonne femme, des potions ancestrales et de pseudo-médicaments en vogue, qui peuvent supposément tenir en échec l’horrible virus de type ABC.
Il se précipite en vitesse sur l’échinacée, se ruine en conneries homéopathiques venues de France, Oscillocochonnerie et autres Grippotumal dont personne n’a réussi à prouver l’efficacité.
ll passe ensuite aux remèdes de bonne femme: jus de tomate au litre, citron chaud, rhum de la Jamaïque, miel, mouche de moutarde, tisanes à l’anis et eucalyptus, testicules d’ours brun, et songe même comme les vieux Beaucerons à se frictionner à l’huile de BPC en priant saint Lazarre, malodorant patron des nez bouchés.
Quinze jours plus tard, les rabords de la glabelle (mieux connue sous l’appellation de "canal à morve") irrités, Robert confie, la mort dans l’âme, son corps à la science.
Le virus est assez vache pour le pousser vers les urgences où la cortisone et quelques dérivés des découvertes de Fleming qui ont des noms de planètes, Biaxin, Zitromax, Cipro, Levaquin, apaiseront ses souffrances.
L’estomac récalcitrant, bourré de poussière de champignon jusqu’à la gueule, Bébert profite de l’état d’esprit saumâtre dans lequel le jette la cortisone pour relativiser son malheur: cet horrible virus aura tout de même attendu qu’il rentre chez lui avant de lui sauter à la gorge. Tout sauf être malade dans ces républiques de banane où c’est miracle de trouver une simple pastille verte.
Il l’ignore, mais en rentrant chez lui, Bébert s’est en fait jeté dans la gueule visqueuse du loup…
Durant la semaine qui se terminait le 5 janvier dernier, 17% de la population de la ville de Québec, c’est-à-dire plus de 100 000 personnes, souffrait de la grippe ou d’une maladie respiratoire apparentée. Eh oui, c’est un record absolu, parmi les 12 villes canadiennes les plus importantes – de Vancouver à St. John’s -, en matière de mauvaise santé. Youppi! Enfin premiers!
Si on n’attrape pas la grippe en se mouillant les pieds, le virus semble tout de même entretenir des relations privilégiées avec le bonhomme hiver: au sommet de la saison du rhume et de la grippe, l’an dernier, fin décembre, sous la neige, six millions de Canayens étaient affectés presque trois fois plus qu’en septembre. Comme si le Père Noël s’était mouché vert dans du papier d’emballage.
Maintenant, allez donc savoir pourquoi le virus, tel un Français aux sports d’hiver, semble afficher une espèce de prédilection pour le bouillon de culture québécois en janvier.
En ces temps de réjouissances, la chose se dissimule-t-elle plus facilement dans une canne de plastique rouge, les caleçons longs d’un coureur en canot? Dans les appétissants bourrelets des futures duchesses Radio X? Dans l’air confiné que respire Bonhomme Carnaval?
Qu’importe, comme on le dirait à la chambre de commerce, il faut savoir mettre en évidence ces attraits spécifiques que nous avons à offrir. Aussi Robert et moi n’hésitons pas à profiter de cette chronique pour inviter très convivialement tous nos amis ontariens à visiter Québec. Il nous fera plaisir, lors de leur arrivée, de tous les embrasser et leur serrer chaleureusement la main.