Le Sommet des Amériques : Poursuites en vue?
Société

Le Sommet des Amériques : Poursuites en vue?

Le Sommet des Amériques, qui se déroulera à Québec en avril prochain, se transformera-t-il en clone de Seattle ? C’est ce que craignent les forces de l’ordre. Afin de prévoir le coup, les flics ont pris les grands moyens. Des moyens qui, selon l’avocat JULIUS GREY, limitent la liberté des citoyens. Selon lui, le peuple devrait intenter des poursuites…

"La transformation de Québec en Berlin 1989, non, on ne peut pas justifier… C’est une violation tellement extraordinaire de la liberté que ça prendrait une véritable cause devant les tribunaux."

Célèbre pour ses dossiers devant la Cour suprême sur le projet de loi 101 et l’inconstitutionnalité de la disposition du Code criminel sur les attroupements illégaux, Me Julius Grey, également ardent défenseur des droits de l’homme et professeur de droit à l’Université McGill, fait même un parallèle avec la promulgation des mesures de guerre en 1970. À l’époque, il a fallu deux enlèvements et un assassinat pour limiter les libertés. "Et ici, ils veulent faire la même chose parce qu’il y a des gens qui vont aller manifester!" déplore-t-il.

Me Grey en remet, attaquant de front l’érection d’un périmètre de 5 km autour du Vieux-Québec et de la colline parlementaire. "L’article 6 de la Charte canadienne garantit à chaque citoyen le droit de mouvement libre à l’intérieur du Canada… La présence de 34 chefs d’État pourrait vous permettre de ne pas donner accès à l’hôtel où ils sont logés, de fermer quelques rues pendant que les convois traversent… Mais de prendre quatre ou cinq jours et de déranger la vie de tout le monde, à ce moment-là ma réponse est: n’acceptez pas le congrès."

Ne nous méprenons pas: il ne s’agit pas d’un appel à la désobéissance civile ou à la commission de quelque acte criminel que ce soit. Les citoyens ont des droits, les participants au Sommet des Amériques aussi. "Il ne faut pas perdre de vue l’autre côté de la médaille, dit Julius Grey. On n’a pas le droit d’aller là et d’empêcher la réunion d’avoir lieu parce que la liberté d’expression et la liberté d’association s’appliquent également à ceux qui participent."

Néanmoins, toujours selon le juriste, cela ne signifie pas de se taire et de ne pas manifester son mécontentement devant les débats en cours. "Il y a un jugement au Québec du juge Greenberg qui dit: ce qu’on a le droit de faire de façon polie, on a le droit de le faire de façon impolie. On peut utiliser un langage corsé, on peut crier, on peut faire des gestes qui soient ou non obscènes, on a le droit de montrer de la colère. Tant qu’on n’empêche pas la tenue de la réunion, on n’est pas obligé de se comporter comme si c’était une réunion de l’Assemblée nationale."

Mais la possibilité d’être arrêté demeure. Voilà pourquoi Me Grey conteste les articles du Code criminel traitant des attroupements illégaux. "Il me semble que dire que quand il y a plus de trois personnes, on n’a plus le droit de se réunir dans des conditions qui pourraient possiblement laisser croire à une quatrième personne, même pour de bons motifs, qu’il peut y avoir de la violence quand il n’y a pas eu de violence sont des choses trop ouvertes qui permettent une répression."

Donc, si vous avez l’intention de clamer haut et fort votre opposition lors du Sommet, ou tout autre événement du genre, certaines précautions s’imposent. Un étudiant en droit ou en technique policière ainsi qu’un individu qui voyage beaucoup, par exemple, devraient y penser à deux fois avant de manifester, selon Me Grey. Tout comme l’ensemble des citoyens qui ne peuvent se permettre d’avoir un dossier criminel. "Cela obligera un bon nombre de manifestants potentiels de s’abstenir", regrette-t-il.

"On peut arriver à une situation où, une fois condamnée, la personne subit des effets très très durs. La loi permet à la police de punir des gens contre qui elle n’a pas de preuve concrète d’un geste", évalue-t-il.

Situation paradoxale au dire de l’avocat. "Pour l’homme moyen, la seule façon de faire quelque chose, c’est la manifestation, et là on veut l’étouffer.Je pense qu’il s’agit d’un problème social très important précisément parce que la manifestation demeure le seul outil ouvert pour un grand nombre de citoyens. Il faut qu’elle soit pacifique, mais il ne faut pas condamner les gens à cause de l’hypothèse qu’elle puisse devenir violente."

Me Grey ne passe pas par quatre chemins: "C’est le triomphe de la pensée unique qu’on cherche maintenant par un moyen de pression qui est très très dur."

Comment manifester?
Malgré tout, si Monsieur et Madame Tout-le-monde tiennent à exprimer leurs vues lors du Sommet des Amériques, mais qu’ils ne veulent pas être arrêtés, que peuvent-ils faire? "Pour moi, la loi est tellement vague qu’elle est dangereuse et qu’il faut dire à un individu soit tu ne peux pas y aller, s’il dit: "Je ne peux absolument pas me permettre un dossier crimine", soit de sortir au premier moment qui semble le moindrement controversé."

Certes. Mais s’il advenait que ces personnes soient mises en état d’arrestation, que leur arriverait-il? "Normalement, ils les amènent à la police, ils sont accusés et après ça, on essaie de les obliger à signer des promesses de ne pas manifester du tout jusqu’au procès. Puis, après ça, on remet le procès aux calendes grecques et on laisse les personnes stérilisées."

"Le juge Greenberg a dit qu’on peut leur dire de ne pas poser de gestes violents, mais on ne peut pas les empêcher, comme condition de libération, de manifester. Apparemment, ce ne sont pas tous les procureurs de la couronne qui ont avalé avec humilité le jugement Greenberg", critique Me Grey, qui n’a vraiment pas la langue dans sa poche.

L’autre côté
La porte-parole des forces policières pour le Sommet, Julie Brongel, assure que les agents "ont reçu une formation et qu’ils vont être en mesure de faire la différence entre ce qui nécessite une arrestation ou non". Elle précise également que c’est la Sûreté du Québec qui sera responsable du maintien de l’ordre et que "les groupes de contrôle" seront présents en tout temps.

Par ailleurs, 3,8 km de clôtures ont été commandés pour ceinturer le périmètre de sécurité. "Ce n’est pas certain encore si on va avoir besoin de tout le 3,8 km." Peut-être a-t-on vu trop grand?

Quant à savoir si les chefs d’État seront au fait des doléances des manifestants, le directeur des relations avec les médias pour le Sommet, Denis Tessier, expose que le document qui émanera du Sommet parallèle leur sera donné.

Fait étonnant, monsieur Tessier soutient que le Sommet de Québec ne sera pas le théâtre de négociations sur la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA). Pourtant, nombre d’opposants affirment le contraire et veulent justement manifester leur mécontentement contre cet accord. Il semble qu’il y ait une nuance à faire.

"Ce ne sont pas les chefs d’État qui négocient l’accord de libre-échange, certifie monsieur Tessier. Les négociations se font d’une part entre les ministres du Commerce international et, de l’autre, des hauts fonctionnaires." D’ailleurs, deux semaines avant la rencontre de Québec, ceux-ci se rencontreront à Buenos Aires. "Eux vont travailler sur l’avancement du dossier." Notons néanmoins qu’ils remettront un rapport d’étape aux 34 chefs d’État des Amériques en prévision de la réunion de Québec.

Mais, la ZLEA sera à l’ordre du jour du Sommet? "Dans le volet prospérité économique, on va discuter de cette zone de libre-échange." Discussion ne voudrait pas dire négociations, selon Denis Tessier. Les chefs d’État ne feront que donner le tempo. "Ils disent, on veut aller plus vite, on souhaite accélérer le processus de libre-échange ou on souhaite l’orienter vers telle piste plutôt que telle autre." Voilà la différence.

Au fait, vous vous demandez où seront les chefs d’État pendant leur séjour? Au Centre des congrès? Pas exactement. Ils discuteront plutôt dans l’hôtel situé juste à côté. Dans la salle de bal, pour être précis. "Le Centre des congrès sera le centre nerveux parce que les bureaux des délégations vont être là, le centre de presse international va être là…" détaille monsieur Tessier.

En outre, les 34 décideurs feront un petit saut vers la citadelle de Québec le samedi 21 avril entre midi et 16 h pour déjeuner. Seuls. Sans assistants ou conseillers. Une retraite qui se veut l’occasion de discuter "à bâtons rompus". Par petits groupes, on tentera de faire avancer les dossiers pertinents loin des conventions et du tumulte des rencontres plus officielles.

Et qui paiera pour ces activités et la venue de 8 000 dignitaires, journalistes, policiers, etc.? "Généralement, c’est le gouvernement du Canada qui paie le Sommet parce que c’est le gouvernement du Canada qui l’organise", prétend monsieur Tessier. Puis il ajoute: "On est en train de négocier avec la Ville et le gouvernement du Québec… Je ne vous dis pas que le gouvernement provincial ni la Ville ne paieront pas certaines affaires."