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Médias : Haro sur la pub (bis)
Nathalie Collard
Frederic Beigbeder est en ville. Avec quelques mois de retard, l’auteur de 99F, LE livre de l’automne, en France comme au Québec, s’offre une petite tournée québécoise. Impossible de le manquer: Indicatif présent, Les copines d’abord, Christiane Charette, Flash, Le Grand Blond avec un show sournois, etc., etc. – le monsieur est partout.
Il faut dire que son ouvrage, une charge à fond de train contre le milieu de la publicité et la société de consommation en général, a trouvé écho chez nous. Depuis les années 80, on nous a toujours décrit le milieu de la publicité comme étant l’eldorado de la créativité, le summum du cool. La nouvelle série de TVA, tribu.com, qui débute fin janvier, va en remettre en essayant de nous convaincre qu’entre deux slogans de soupe poulet et nouilles, les créatifs (c’est ainsi qu’ils aiment être appelés) s’envoient en l’air dans des fauteuils italiens, dans des lofts tout droit sortis du magazine Elle Décor. Pleeeeease…
Le livre de Beigbeder, lui, nous dévoile avec humour et intelligence l’envers du décor: le travail sous pression, les slogans nuls, le mépris des consommateurs, la soumission aux clients, les petites et grandes compromissions… Après un tel constat, on devine que Beigbeder ne risque pas d’être le prochain invité d’honneur du Festival de publicité à Cannes. Qu’importe: pour lui, ce festival est de la fumisterie. "La plupart du temps, les créateurs réalisent deux pubs pour le même produit: une pub conne et méprisante destinée à être diffusée à la télé, et une pub intelligente et super bien shootée qui ne sera montrée nulle part, sauf dans les festivals internationaux, histoire de gagner des prix et de faire grimper la cote de leur boîte." La moulée pour le grand public, et le caviar quatre étoiles pour les "connaisseurs".
La pub serait-elle un milieu d’hypocrites? C’est ce que croit l’auteur. "À la sortie de mon livre, le milieu de la pub a dit que mon livre était mensonger, que j’étais un publicitaire raté qui se vengeait, raconte-t-il. Avec le succès du livre, ils ont modifié leur tir. Ils ont dit que j’avais raison mais que tout ce que je disais sur le milieu de la pub avait déjà été dit dans les années 60, que tout le monde le savait, etc. D’une façon comme de l’autre, ils ont essayé de minimiser son impact."
Peine perdue, le livre est un excellent "vendeur". Car en plus de viser juste, il est agréable à lire, contrairement à certains ouvrages (je pense à No Logo de Naomi Klein) qui visent à peu près la même cible mais avec tellement plus de lourdeur. En plus du succès en librairie -275 000 exemplaires vendus jusqu’à ce jour, et les traductions ne sont même pas sorties -, le nom de Beigbeder a circulé pendant la saison des prix littéraires. Et comme tout best-seller qui se respecte, l’histoire d’Octave sera portée à l’écran. Peut-être par Mathieu Kassowitz (La Haine, Les Rivières pourpres), qui étudie présentement le projet…
Pour l’instant, l’ex-publicitaire (ses souhaits ont été exaucés, il a été congédié) ne semble pas trop déstabilisé par ce qui lui arrive: il garde la tête froide et les deux pieds sur terre. Il est bien conscient que si les médias ont autant parlé de son bouquin, c’est qu’il leur a servi en quelque sorte d’exutoire. "Les médias ne peuvent pas parler contre la pub, car ils ont peur de perdre des contrats. Mais en parlant de mon livre, ils ont pu se venger par la bande. Je leur ai permis de se vider le coeur en toute sécurité."
En France, la sortie de 99F a également lancé un débat autour d’une loi qui, vue d’ici, paraît assez inconcevable: la loi contre la pub clandestine, qui empêche tout individu de citer les marques de produits hors contexte. L’écrivain Michel Houellebecq, par exemple, connaît des démêlés avec la justice pour avoir utilisé le nom d’un camp de naturistes bien connu dans son fameux roman Les Particules élémentaires. Autre exemple, raconté par Beigbeder lui-même: lors d’une chronique radio, à chaque fois qu’il mentionnait le nom d’une marque (Calvin Klein, Vuitton ou Chanel), ses propos étaient remplacés par un bip! Sans compter l’attention particulière que l’éditeur Grasset a portée à son manuscrit afin d’éviter les poursuites en diffamation. Ils sont fous, ces Français!
"Cette loi nous interdit de décrire la réalité en nommant les choses", souligne l’auteur de 99F qui est aussi critique littéraire sur la chaîne de télé câblée Paris Première. "C’est inacceptable, c’est du totalitarisme. On nous empêche littéralement de répondre à la pub."
Il n’en fallait pas plus pour que le mondain parisien (les lecteurs de Paris-Match peuvent voir sa photo une semaine sur deux sous la rubrique Match de Paris, une flûte de champagne à la main) se transforme en militant et parle de désobéissance civile. Récemment, Beigbeder participait même à une manifestation antipub en compagnie d’une centaine de membres d’une organisation opposée à la publicité, les Publiphobes. Grimpé sur un caddie de supermarché (bonjour, le symbole!), l’ex-publicitaire taguait un panneau publicitaire, rue de Seine (tout de même), sous l’oeil (bien sûr) des caméras de télévision. Ma foi, on dirait une scène tout droit sortie de son livre!
Mais José Bové peut dormir tranquille, on sent tout de même Frederic Beigbeder plus à l’aise dans les cercles médiatiques que dans la rue, cannette de peinture à la main.
Et c’est tant mieux! Car le bonhomme est extra-lucide sur la société qui l’entoure, en particulier sur le milieu de la création, qui a de moins en moins d’espace pour créer.
"Quand Vivendi, un propriétaire de tuyaux, achète Universal, ou qu’AOL et Time Warner fusionnent leurs activités; la culture perd des plumes, elle est abaissée au rang de produit. Ce ne sont plus les tuyaux qui font vendre la culture, mais la culture qui fait vendre les tuyaux. Nous, les artistes, on est des clowns. Nos disques, nos films, nos livres ne servent plus qu’à vendre, qu’à faire consommer. À boucher les espaces vides entre deux pubs, ou à servir de supports pour les placements de produits."
Dans le milieu de la pub, ils sont nombreux à applaudir les propos de l’écrivain français. En secret. Quant à ceux qui les trouvent exagérés, ils pourront méditer sur ceci: lundi dernier, dans le National Post, on pouvait lire que l’agence de publicité Cossette Communication Marketing tient tellement à conserver le compte de McDonald’s qu’elle songe à acheter une franchise McDo, question de connaître encore mieux son produit.
Et si la réalité était pire que la fiction?
Frederic Beigbeder est à Montréal jusqu’à dimanche. Samedi après-midi, il sera chez Renaud-Bray rue Saint-Denis (ex-Champigny); et dimanche, à la libraire Indigo rue Sainte-Catherine (et non, il ne s’agit pas d’une pub subliminale pour ces deux librairies).
La Tour de Babel
Après l’aventure de La Vie d’artiste, Jocelyn Barnabé (réalisateur) et Jean Barbe (rédacteur en chef) proposent une émission dans la plus pure tradition des plateaux de discussion parisiens comme Bouillon de culture ou le défunt Cercle de minuit. Laissons de côté le vocabulaire crypto-poétique du texte qui présente l’émission (on nous parle de décrocheurs d’étoiles et d’allumeurs de réverbères… au secours!), et attardons-nous à son concept.
La Tour de Babel, comme son nom l’indique, réunira des gens d’horizons, de couches sociales et de groupes ethniques divers, une rareté à la télé québécoise. Enregistrée dans un environnement à mi-chemin entre le bistro et l’agora, on y discutera d’un thème différent chaque semaine. Les téléspectateurs pourront réagir via le courrier électronique et, qui sait, être invités à participer à l’émission.
Le choix de l’animateur, le dramaturge René-Daniel Dubois, laisse sceptique. Avec ses opinions tranchées et sa grande gueule notoire (Marie-France Bazzo lui demandait l’autre jour si on allait le museler), Dubois n’a rien d’un Bernard Pivot ou d’une Laure Adler. Saura-t-il laisser la place à ses invités? C’est à voir. Une chose est sûre, la discussion ne sera pas hachurée par la pub puisqu’on nous promet un bloc de 45 minutes sans interruption. Ce n’est pas la première fois que Radio-Canada tente l’aventure avec une émission axée sur le débat et la discussion philosophique (souvenez-vous de Scènes de la vie culturelle). Espérons que cette fois sera la bonne.
Début vendredi soir vers 23 h 15, après les nouvelles du sport, sur Radio-Canada.