Nouveaux médias : Déboulonner le Culte d'Internet
Société

Nouveaux médias : Déboulonner le Culte d’Internet

Déboulonner le Culte d’Internet

Internet est-il devenu un objet de culte? C’est la question posée par le sociologue français Philippe Breton dans un essai provocateur intitulé Le Culte d’Internet: une menace pour le lien social. Pour Philippe Breton, professeur à l’université de Paris-Sorbonne, les gourous du Net tels que Steve Jobs, fondateur d’Apple et adepte du bouddhisme zen, ainsi qu’un noyau dur d’intellectuels ont réussi à créer un climat d’engouement "proche de celui d’une nouvelle religiosité" où l’espace pour les débats et la critique est presque nul. Nous avons joint Philippe Breton à sa résidence de Strasbourg.

Pourquoi Internet peut-il être une menace au lien social?
Pour un certain nombre de gens, ceux que j’ai appelés les "tenants du tout-Internet", on devrait profiter d’Internet pour basculer dans le rêve et faire en sorte que l’ensemble de nos activités sociales – le commerce, les loisirs, l’éducation etc. -, passe par Internet. Alors moi, je dis qu’il faut qu’il y ait un débat. Si toute forme de communication devient indirecte, on menace quelque chose de fondamental. Même si la réalisation concrète du "tout-Internet" est peu probable dans les faits, j’ai peur que cette illusion mène, paradoxalement, à moins de communication, voire qu’elle pousse à la séparation sociale.

Vous écrivez qu’"Internet est le cheval de Troie de valeurs profondément antihumanistes". Pourquoi?
Quand on analyse les discours des fondamentalistes du "tout-Internet", qui sont d’ailleurs proches d’une certaine religiosité, on voit qu’un certain nombre de valeurs sont attaquées, en particulier la question de la loi. Avec Internet, on pourrait construire un monde dans lequel il n’y aurait plus de loi; un monde dans lequel la communication indirecte serait plus importante que la parole directe; un monde où la personne humaine ne serait plus une valeur fondamentale, puisque l’on pourrait, grâce à Internet, collectiviser les esprits. La loi, la parole et la personne sont pourtant trois valeurs fondatrices de l’humanité, et de l’humanisme.

Pourquoi tenez-vous à démontrer qu’il y a un culte d’Internet, plutôt qu’une idéologie, tout simplement?
Il y a quelque chose de plus: un noyau dur de groupes de croyants, tels que Pierre Lévy ou Nicholas Negroponte, pour ne nommer que ceux-là, qui s’appuient sur une vision plus religieuse du monde pour nous dire qu’il faut quitter le monde matériel, le monde du corps, pour se réunir dans une grande communauté virtuelle.

Que Steve Jobs soit moine zen pourrait n’être qu’anecdotique dans un autre contexte, mais ce n’est pas le cas. La micro-informatique et l’ordinateur personnel sont nés dans la contre-culture des années 60 en Californie, un milieu qui a été très fortement marqué par l’idéologie New Age, par l’ouverture de la conscience par le LSD et par un très grand désir communautaire. Et l’on retrouve ainsi des personnages curieux tels que Timothy Leary, partisan du LSD, qui se sont convertis à Internet en croyant qu’il pourrait nous permettre d’élargir nos consciences et quitter notre corps.

Bref, une sorte de religiosité est venue se greffer sur le monde d’Internet; Internet n’est pas qu’un simple outil de communication, c’est un levier qui va permettre de construire un monde meilleur.

Vous écrivez que "le culte d’Internet est une impulsion profondément conservatrice sur le plan de la civilisation". Pourquoi?
Internet est un outil, dans la réalité concrète, très inégalitaire. Internet se développe là où il y a déjà de la richesse, de la richesse d’information, de la richesse matérielle, économique et financière. Il y a autant de lignes téléphoniques à Manhattan que dans l’ensemble du continent africain! Le développement d’Internet se fonde donc sur les inégalités déjà existantes. Et moi, j’ai peur qu’Internet ne fasse que renforcer la fracture sociale qui existe dans nos sociétés et à l’échelle du monde. On nous dit qu’Internet, c’est la promesse d’un monde meilleur, mais franchement, je ne vois pas comment.

Dans ce monde voué au culte d’Internet, êtes-vous un hérétique? Vous écrivez d’ailleurs qu’il y a très peu de place pour la critique d’Internet, et même pour la tenue de débats sur le sujet.
Un hérétique, non, je ne crois pas! Le problème, c’est qu’on a présenté l’évolution d’Internet comme étant quelque chose d’inéluctable. On nous dit qu’Internet va transformer en profondeur notre société et que nous ne pouvons rien y faire. Mais les citoyens et les gens doivent avoir leur mot à dire sur l’évolution de la société, et en particulier sur les techniques des communication.

Est-ce qu’on doit tout confier à Internet? Internet devrait-il être mis au service de l’égalité, alors que c’est l’inverse aujourd’hui? Est-ce que le politique doit prendre sa place, puisque pour la première fois, avec Internet, les communications sont entièrement laissées aux forces économiques? Voilà autant de questions qui méritent d’être débattues, mais qui ne le sont pas actuellement.

Bande à part
La Société Radio-Canada a lancé cette semaine un tout nouveau site Web véritablement multimédia consacré aux nouvelles tendances musicales et à la scène alternative. Le superbe site /bandeapart.fm, présenté dans une esthétique très léchée, propose des portraits d’artistes de la scène alternative, des reportages audio et vidéo, des critiques de disques et une station musicale que l’on peut programmer soi-même.

Dès son lancement, le site contenait déjà plus de 500 pages, de l’info sur 150 artistes et plus de 2000 pièces musicales numérisées! Parmi les collaborateurs au site, mentionnons Eric Parazelli et Nicolas Tittley, de Voir. Bandeapart.fm se présente déjà comme un incontournable. On s’en reparle d’ailleurs la semaine prochaine.