Qualité de l'air dans les édifices : Donnez-moi de l'oxygène!
Société

Qualité de l’air dans les édifices : Donnez-moi de l’oxygène!

Est-ce que vous vous êtes déjà demandé si l’air que vous inhalez au boulot est malsain? Non? Vous devriez. La ventilation est souvent déficiente dans les grands édifices, surtout en hiver. Et il en est de même dans les petits magasins, les résidences, les centres commerciaux, pire, dans les garderies. Vous manquez peut-être d’air!

"La majorité des gens respire un air qui n’est pas contaminé… Mais, la majorité respire un air qui n’est pas renouvelé: ça veut dire un air qui n’est pas bon."

David Bellemare ne se veut pas alarmiste. Il n’aspire qu’à nous éveiller à la problématique. Et il la connaît, cette problématique. Technicien en hygiène industrielle au CLSC-CHSLD Haute-Ville-des-Rivières, il traite presque toutes les demandes de vérification de la qualité de l’air de la capitale québécoise.

Dans les grandes tours à bureaux, la "menace" est plus qu’un mythe. La plupart sont alimentées par un système de ventilation à débit variable. Traduction: durant la saison froide, l’entrée d’air se ferme afin d’éviter les pertes de chaleur; durant les mois plus chauds, elle se ferme également pour maintenir une température agréable. "Quand tu n’as pas d’air frais à respirer, même si ton air est de qualité, dans le sens où il n’est pas contaminé, tu n’as pas assez de nouvel air pour être bien."

Qui a le contrôle de ce "clapet", de cette ouverture sur le monde extérieur? Les gestionnaires d’immeubles. "L’été, l’air doit être refroidi et déshumidifié (…). Ça, ça coûte cher, donc ils coupent les trappes. Il ne rentre pas d’air extérieur. L’hiver, l’air doit être réchauffé et humidifié (…). Ça aussi, ça coûte cher. On ferme les trappes et on économise."

Pourtant, au dire de M. Bellemare, les systèmes peuvent être adaptés. "Techniquement, c’est faisable, mécaniquement, c’est faisable de les organiser en conséquence, mais (…) le monde veut économiser, donc on coupe."

Selon les tests que vous avez effectués, est-ce que presque tous les grands édifices sont affligés de ce mal? L’expert rit. Puis il explique que les petits immeubles sont souvent plus affectés puisque mal ventilés. Finalement, il se lance: " C’est la majorité des bâtiments qui sont touchés par ça parce que la majorité veut économiser. Ils ferment la trappe. Et, il y en a beaucoup, beaucoup qui n’ont pas d’humidificateur. C’est un problème assez sérieux."

Néanmoins, répète M. Bellemare, il n’y aurait pas lieu de paniquer. Une prise de conscience et un appel à la collaboration des possesseurs suffiraient. " C’est ça que les gens doivent demander: »Arrêtez de couper. Donnez-nous de l’air, donnez-nous le minimum d’air dont on a besoin et donnez-nous le minimum d’humidité dont on a besoin. »"

Coupes intempestives
Médecin-conseil en santé environnementale pour la Santé publique, le Dr Henri Prud’homme apporte un éclairage supplémentaire. D’abord, il légitime les actions des propriétaires. "C’est normal, d’une certaine façon, parce que ça coûterait une fortune." Ensuite, il montre sa vraie couleur: "Mais quand c’est fait de façon intempestive et à outrance, ce sont les gens qui ont des problèmes à un moment donné (…). Ça devient un air qui est recyclé-recyclé avec finalement une augmentation de certains polluants (…). On est appelé régulièrement pour ces problèmes-là."

L’important serait de demeurer attentif. Les effets néfastes ne sont pas toujours de grande envergure. "Au début, la plupart du temps, les gens pensent que c’est lié à eux-mêmes. Mais c’est en jasant, en prenant un café avec un confrère, une consoeur, qu’on se rend compte qu’on a des symptômes similaires.

"C’est là qu’il faut y penser. Surtout quand les gens ont des symptômes d’ordre irritatif: des muqueuses sèches, des yeux secs, le nez sec, des maux de gorge, de la toux, une peau plus sèche qu’avant (…). Les gens, s’ils ont tous des symptômes semblables, qu’ils sont tous léthargiques en fin d’après-midi, il y a quelque chose qui peut se passer là! (…) Si ça joue sur le confort au travail, ça joue sur le rendement, etc. Là, les gens ont tout lieu de se poser des questions et de demander de l’aide."

Toutefois, M. Prud’homme enseigne qu’il ne faut pas tout mettre sur le dos du système de ventilation. "Ça peut être lié carrément à un édifice qui est neuf, qui a des matériaux nouveaux qui contiennent des substances chimiques (…) puis, durant les premières années où ça sèche, où ça s’évapore, il y a des gens qui peuvent se ramasser avec des problèmes."

Même danger avec le chauffage. Les systèmes à l’électricité peuvent "cuire" la poussière qui émet alors des contaminants. Ceux au bois ou à d’autres combustibles peuvent répandre du gaz carbonique.

Il est tout aussi primordial de ne pas oublier la poussière elle-même. "Il ne faut pas croire que dans les bureaux, c’est le super ménage comme on avait avant, dénonce M. Prud’homme. On n’a plus les planchers de couvents de soeurs comme avant. On coupe partout, et on coupe où c’est le plus facile."

Tous ces avertissements valent pour les résidences privées. On y reste de plus en plus longtemps et elles sont de plus en plus étanches. En outre, la Santé publique remarque une recrudescence des ennuis de moisissures. À surveiller. Principalement si vous habitez dans un appartement de type "demi-sous-sol", "sous-sol", ou si vous aménagez une chambre dans celui de votre demeure. "Il y a des maisons qui sont construites sur des swamps, des places de remplissage, des terres glaiseuses qui se drainent mal, etc.", semble réprouver M. Prud’homme.

Bébé suffoque
Tant qu’à nous brasser, le médecin poursuit. Nos enfants d’âge préscolaire ne séjournent guère dans un meilleur environnement. "On a déjà trouvé des niveaux [de CO2] assez élevés dans certaines garderies. On ne pense pas que des enfants, ça exhale du CO2 et que ça consomme de l’oxygène et on les met en grand nombre dans un petit local sous prétexte qu’ils sont tout petits. Ils ont des activités, ils hyperventilent, ils respirent deux fois et quatre fois plus souvent que nous."

"Effectivement, il y manque souvent de changement d’air", renchérit l’hygiéniste industriel, Sylvain Allaire. Il travaille à la Santé publique mais est absent pour quelques mois afin d’effectuer un contrat. Il a fait des tests en garderie.

"Ce n’est pas la même activité que dans une tour à bureaux (…). Il y a beaucoup de dépenses énergétiques. Aussi, les jeunes dans un groupe comme ça vont véhiculer certains contaminants biologiques ou autres."

M. Allaire invite donc les éducateurs à ouvrir les fenêtres, même l’hiver, et à contacter l’Association québécoise pour l’hygiène et la santé sécurité au travail (AQHSST). Elle a conçu un guide à leur intention.

Vous pensez en avoir fini avec les avertissements, il n’en est rien. Les employés de la Santé publique visitent également les centres commerciaux, les industries, etc. Le Dr Benoît Lévesque, spécialisé en santé au travail, s’est, quant à lui, déjà intéressé aux arénas, principalement aux shows de véhicules motorisés qui y sont présentés. "Je pense que tenir des spectacles de motocross ou de choses du genre dans des petits arénas, ça n’a pas bien bien de bon sens." Trop de dioxyde d’azote et de gaz carbonique.

Pourquoi ne pas revenir sur nos résidences, tant qu’à être sur une lancée? "Il y a certains taux de renouvellement d’air qui sont essentiels dans une maison pour assurer la santé des gens qui y habitent", ajoute une employée de l’Agence de l’efficacité énergétique, Sophie Giner. L’idéal: un remplacement complet aux trois heures. Il faut vraiment y penser: "Pour ce qui est de la qualité de l’air qu’on retrouve dans les maisons au Québec, on ne peut vraiment pas se péter les bretelles et se flatter la bedaine."

Laissons maintenant le soin de conclure au médecin spécialiste de la Clinique interuniversitaire de santé au travail et de santé environnementale de Montréal (CISTE), le Dr Pierre Auger. Il nous détaille les multiples effets sur le métabolisme humain d’un air imparfait.

Il y a d’abord le "syndrome des édifices malsains": symptômes irritatifs (yeux et peau secs, toux, etc.) et neurologiques (pertes de mémoire, fatigue, etc.). Ils disparaissent rapidement lorsque l’on quitte le milieu délétère et sont dus à la mauvaise distribution de l’air. On peut alors y retrouver des produits chimiques, des contaminants biologiques qui causent du stress.

Viennent en second lieu les "maladies liées à l’édifice": allergies aggravées par l’air, intoxications aux produits dans l’air comme, par exemple, le CO2 qui remonte du stationnement souterrain.

Suivent les "contaminations d’origine biologique", nettement plus rares, souvent causées par la présence de moisissures. Peut aller jusqu’à la fatigue chronique. Les effets ne sont pas permanents mais perdurent, même après que le sujet ait quitté le milieu, durant quelques semaines.

Finalement, il y a la "légionellose" ou "maladie du légionnaire": pneumonie atypique. Danger de mort pour les personnes vulnérables. Ce sont principalement les piétons qui circulent près de l’échappement du système de ventilation qui sont à risque.

On aura compris que le tout a un impact marqué sur l’excellence des travailleurs. "C’est en milliards de dollars que ça se compte", termine M. Auger.