Société

Droit de cité : Les rurbains

Le monde rural était en campagne de propagande à Montréal ce week-end, avec sa Foire des villages, organisée par Solidarité rurale.

Il y était venu pour recruter de nouveaux résidants, avec l’objectif noble de repeupler cette vaste, et de plus en plus vide, cambrousse.

Mais convaincre les urbains que la vie est possible en dehors des villes est plus difficile qu’il n’y paraît. C’est pourquoi on n’exige plus des gens des villes un retour à la terre brutal. Posez plutôt un sabot à la campagne et gardez l’autre en ville. Devenez un "rurbain".

Les rurbains n’ont pas le courage de couper les ponts avec la ville, ni celui de planter leurs deux pieds dans la bouse. La ville à la campagne, pour eux, ce n’est pas une figure de style: ils veulent le beurre et l’argent du beurre. Et les accaparent à leur seul profit. Depuis le début du phénomène, la campagne n’a jamais été aussi inaccessible pour la majorité. Les rurbains l’ont privatisée: les rives des cours d’eau, les orées des bois, les pieds de montagnes: tout leur appartient en propre.

Ils sont peu nombreux, les urbains de Montréal, de Québec ou de Hull à oser la totale en s’installant pour de bon sur les plateaux de Kamouraska ou dans le fond du rang à Laverlochère (pour ceux que ça fait tiquer, c’est au Témiscamingue).

La majorité préfère continuer à vaquer à ses affaires en ville, à se divertir en ville, mais à habiter dans la quatorzième couronne.

Pour satisfaire ce caprice, il faut leur allonger de nouvelles autoroutes, en élargir d’autres, construire des ponts. Si l’on poussait au bout la logique des rurbains, il n’y aurait plus de campagne, mais un vaste tapis de banlieue "s’évachant" à la grandeur des champs et des forêts, jusqu’au bout de l’horizon.

Dans la même mouvance, certains villégiateurs transforment leur chalet en résidence principale. À Saint-Hippolyte, à moins d’une heure de Montréal (en dehors des heures de pointe), les lacs ne sont plus qu’une épaisse soupe au brocoli: les systèmes de fosses septiques des chalets n’étant pas conçus pour une occupation permanente. Alors, elles débordent…

Je viens d’un village qui a largement profité du phénomène de la rurbanisation. Quand je l’ai quitté, il y a dix ans, la population était de 1500 habitants. Aujourd’hui, il en compte 2500: une croissance remarquable. Un succès? Il y a dix ans, on y dénombrait quatre hôtels, dix restaurants et une demi-douzaine de bars. Aujourd’hui, il ne reste plus qu’un stand à patates et un restaurant pour richissimes touristes. La quincaillerie, la charcuterie, la fruiterie, le magasin d’articles de sport, la boutique de vêtements, celle de cadeaux: tous fermés. Le rurbain continue à s’approvisionner dans les épiceries fines de la ville, et à se vêtir dans les boutiques de la rue Saint-Denis.

En matière d’occupation de territoire, le Québec est à mille lieues de l’expérience de la Suisse ou de la Norvège, les seuls pays prospères qui ne figurent pas au palmarès des nations les plus urbanisées: ils ont réussi, par une certaine forme d’industrialisation rurale, à se doter d’une campagne viable politiquement, économiquement et culturellement.

La rurbanisation, c’est l’euthanasie de la campagne.

La moitié gauche du cerveau
L’une des natures profondes des gens qui font de la politique, c’est la capacité d’ignorer certaines des facultés de raisonnement de la moitié gauche du cerveau.

C’est ce qu’ont fait les adversaires des fusions, en évoquant la nouvelle de la faillite technique de la Ville de Toronto. Ils brandissaient la manchette tel Moïse les Tables des dix commandements: 800 millions de dollars dans le trou pour une ville récemment fusionnée. Repentez-vous, bande de païens, vous êtes promis à la déchéance fiscale!

Pourtant, assimiler le projet montréalais à Toronto, c’est comparer un gaspacho avec du poulet frit du Colonel. Qu’importe, les adversaires du maire Bourque n’ont pas lâché le morceau, leur premier depuis des mois.

Les médias ont souligné les failles dans leur comparaison boiteuse. Le fait, par exemple, que la fusion du grand Toronto s’accompagnait d’une délégation de tâches très coûteuses pour une ville-centre, comme le logement social, l’aide sociale, le transport en commun. À Montréal, même si l’on peut s’attendre à un certain pelletage de responsabilités dans la cour de la nouvelle ville, le phénomène n’aura jamais la même ampleur qu’à Toronto.

Pourquoi? Parce que l’État québécois veut se garder le maximum de pouvoirs. Il ne troquera jamais ses bouts de chiffons bleus pour épargner des fonds de tiroir. L’État, au Québec, c’est le grand évêché contrôlé par une caste de hauts fonctionnaires affamés de pouvoir, ces mêmes qui font et défont des ministres de l’Éducation et de la Santé avec une aplomb déconcertant.

Il faut aussi signaler qu’à Toronto, le conseil municipal n’est pas soumis à un régime de partis politiques. Tous les élus sont indépendants. De sorte qu’aucun plan de match n’est élaboré, aucune priorité n’est avancée, aucune proposition n’est écartée. On vote sur tout, on vote OUI à tout. Champagne pour tous!