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Kevin Warwick : Docteur Frankenstein
Spécialiste des robots, le professeur britannique KEVIN WARWICK se lance dans une série d’expériences destinées à introduire la machine au sein de l’organisme humain. Le scientifique annonce la fin du langage, l’avènement des drogues téléchargeables sur Internet et le sexe à distance. Est-il brillant ou illuminé?
David Desjardins
Professeur de cybernétique à l’université Reading au Royaume-Uni, Kevin Warwick s’efforce de repousser les limites de la machine pensante. Détenteur d’une chaire universitaire depuis l’âge de 32 ans, il a publié plus de 300 documents dans lesquels il prévoit la conception de robots plus intelligents que l’humain.
De son bureau de l’université Reading, en banlieue de Londres, Warwick répond avec entrain aux différentes questions qui lui sont posées. Il faut dire qu’il est habitué: vedette de la presse scientifique, le prof a fait la couverture du magazine Wired l’année dernière. Il y expliquait de manière exhaustive les résultats de son expérimentation en matière d’introduction d’éléments électroniques à l’intérieur du corps humain. Au cours de la conversation téléphonique, il relate pour une énième fois les détails de sa toute première expérience de cet ordre en 1998: "On a placé dans mon bras gauche, sous la première couche de peau, une puce qui permettait de me suivre partout dans les bureaux du laboratoire à partir d’un ordinateur prévu à cet effet. Les différentes pièces s’illuminaient à mon arrivée, un haut-parleur me lançait des messages de bienvenue et certains appareils s’activaient à mon approche. Je sais que j’aurais pu obtenir le même résultat en plaçant la puce à l’intérieur de ma montre, mais je voulais expérimenter le port d’un implant électronique à l’intérieur du corps… histoire de saisir la sensation surtout."
Cette expérience à elle seule génère maintes interrogations quant aux applications possibles en matière de contrôle des déplacements qui viendraient assombrir le champ des libertés fondamentales. Aux objections à saveur Big Brother et autres anticipations apocalyptiques, Warwick rétorque: "Cela pourrait aussi régler les problèmes avec les pédophiles, par exemple. Lors de la première expérience, les réactions des machines à mon endroit auraient pu être inversées (lumières s’éteignant plutôt que s’allumant). En ce sens, un pédophile auquel on aurait implanté une puce semblable pourrait, aux alentours d’une cour d’école, actionner un dispositif d’alarme, faire fermer et verrouiller les portes et alerter les policiers."
Dès l’automne prochain, Warwick doit pousser ses recherches aux limites du possible. Il espère pouvoir brancher une micropuce, toujours à l’intérieur de son bras gauche, à certaines fibres de son système nerveux. Si cette première phase est concluante, des ordinateurs pourraient identifier les différents courants électriques voyageant par les circuits nerveux. Une fois ces courants identifiés, le chercheur pourra retransmettre à loisir ces décharges à son système nerveux.
Pour Warwick, cela pourrait sonner la fin du langage parlé pour faire place à une forme de télépathie électronique. "Peut-être qu’on pourra éventuellement télécharger des drogues électroniques sur Internet", avance-t-il.
L’orgasmotron
Considérant qu’une vaste portion du cyberespace est déjà occupée par l’industrie de la pornographie, on peut aisément croire qu’une découverte comme celle que prévoit faire le professeur Warwick pourrait constituer une importante source de revenus pour ces entreprises. À ce sujet, Warwick s’interroge d’ailleurs: "Je ne comprends pas pourquoi ils ne financent pas déjà ce type de recherche." Pourrait-on assister à l’émergence d’une forme de prostitution virtuelle? "C’est possible… en fait, à ce stade-là, tout serait possible. Si tout va bien et que mon épouse reçoit l’implant avec succès, nous allons bien sûr faire l’amour. Au cours de la relation, il nous serait théoriquement possible de pouvoir constater les moments de plaisir et de déplaisir de l’autre. "Faire semblant" deviendrait une notion complètement obsolète." L’objectif est de pouvoir recréer les sensations éprouvées en d’autres temps et d’autres lieux et ainsi, sonner l’avènement du véritable sexe virtuel. Toutes les possibilités étant envisageables, on pourrait communiquer avec sa copine ou son copain qui est à l’autre bout du monde et satisfaire, sur commande, ses désirs les plus lubriques. On pourrait aussi " enregistrer" l’orgasme qu’on a eu avec X, pour le revivre quand bon nous semble.
"La plus grande crainte de mon épouse est que, si l’expérience est concluante et que nous faisons l’amour en complète symbiose, le retour à la réalité soit catastrophique et que notre vie sexuelle devienne bien ennuyante."
Un hurluberlu?
Si, comme Warwick le prétend lui-même, les possibilités sont infinies, certains croient que la distance qui sépare le professeur de ses fantasmes scientifiques l’est tout autant. Simon Gagné, chercheur en bionique à l’Université Laval, croit que ce que Warwick prétend pouvoir obtenir comme résultat est "farfelu" . "Il déraille, ça n’a pas de bon sens… Aller chercher de l’information au cerveau par un nerf est complètement ridicule, car les sensations qu’il prétend pouvoir analyser se situent au niveau du cerveau moyen…"
Les attaques les plus violentes à l’endroit de Warwick proviennent cependant du Web. Les artisans du site Kevin Warwick Watch n’y vont pas avec retenue. Ils y publient un texte délirant dans lequel ils disent que le scientifique est un "lunatique assoiffé de publicité". Ses "ennemis" utilisent ce site afin de répertorier toutes les entrevues accordées par le chercheur et d’en démolir le contenu point par point. Cela ne semble pas émouvoir notre stoïque chercheur qui utilise le site afin de mettre à jour son propre dossier de presse.
En constatant ces avis contraires, on comprend difficilement qu’un magazine comme Wired se lance dans la promotion du travail d’un chercheur aussi controversé que peut l’être Kevin Warwick. Alex Heard, rédacteur en chef adjoint de la revue états-unienne, explique la décision du magazine de mettre de l’avant les idées de celui que certains qualifient de savant fou: "Chaque fois que quelqu’un s’engage dans ce type de spéculation, il peut se tromper. Il s’agit d’un exercice visionnaire… Quant à savoir si Warwick a raison ou non, je n’ai pas d’opinion là-dessus. Nous offrons aux gens un forum dans lequel ils peuvent argumenter sur les possibilités du futur, c’est tout."
En attendant de connaître les résultats de la nouvelle expérience du prof, les impatients pourront toujours se tourner vers les romans de Isaac Asimov.
Liens pour le texte sur Kevin Warwick:
Site de Kevin Warwick
Kevin Warwick Watch
Texte dans Wired
Entrevue
Reportage CNN
Reportage ABC News
Reportage MSNBC
Livre de Kevin Warwick
Texte sur l’expérience de Warwick et le cybersexe
Texte paru dans le webzine Salon
Texte contre Warwick
The New Scientist
Texte paru dans… Playboy!