Milia 2001: chiffons numériques
Société

Milia 2001: chiffons numériques

Cannes aura permis cette année encore de découvrir les nouvelles tendances en multimédia. Premier buzz word en lice: le multi-plateforme. L’avenir, nous dit-on, c’est de pouvoir adapter tous les contenus sur tous les supports: de la simple télévision à la télévision interactive, d’Internet au téléphone cellulaire, des lecteurs DVD aux consoles de jeu, des blocs-notes électroniques au papier – les producteurs devront, semble-t-il, tenter de placer leurs produits là où le consommateur se trouve.

Or, au XXIe siècle, le consommateur est partout. Morale: si vous songez à produire un remake de Bobino, n’oubliez pas la version portable et la version interactive qui vous permettront de suivre en direct le rythme cardiaque de Bobinette pendant le tournage de l’émission, tout en achetant en ligne le dernier modèle de klaxon de Tapageur.

Le grand manitou de cette course aux consommateurs de divertissements s’appelle Jean-Marie Messier, P.-D.G. de Vivendi Universal, un des géants mondiaux du marché du divertissement. Devant une foule bigarrée rassemblée au grand auditorium du Palais des festivals de Cannes, le nouveau maître du divertissement planétaire nous a démontré, avec éloquence, que l’industrie culturelle, c’est justement ça: une industrie, comme celle des boîtes de conserve. "La clef, c’est l’accès au consommateur, dit Jean-Marie Messier. Et toute notre stratégie est très simple: elle commence avec le consommateur. Nous voulons anticiper ses besoins en divertissements et en éducation, et lui offrir un bon accès au contenu avec des services locaux facilement accessibles." Ça me rappelle la stratégie de Coke avec ses distributrices de canettes: "Quand un client a soif, où qu’il soit, il doit pouvoir s’acheter un Coke."

En attendant leurs futurs sites de distribution de musique par Internet (d’ici la fin de l’année, nous promet-on, les films suivront), la nouvelle idée de Vivendi Universal (dont la philosophie est: "Le multi-accès, le multi-canaux et le multi-contenu"), c’est le site Education.com. Lancé en grande pompe au Milia, Education.com permettra à Vivendi Universal de profiter de son imposant catalogue d’éditeurs scolaires pour prendre d’assaut les salles de classe du monde. Les sites, adaptés à chaque pays (Québec non inclus), permettront aux enfants de faire leurs devoirs selon leur curriculum, d’avoir des tuteurs virtuels, et, bien sûr, de pouvoir acheter en ligne tous les livres et gadgets qui leur sont destinés. Ajoutez un peu de pub sur le site, et voilà que la classe de demain vient de se transformer en centre commercial global.

Chiffon rouge, chiffon bleu
Pour le Français Jean-Marie Messier, partisan de la French touch (ce sont ses mots), Education.com est un premier pas dans la mise au ban à la fois des tenants de "l’attitude franchouillarde" (c’est-à-dire: le protectionnisme français en matière de culture) et des tenants de "l’impérialisme culturel à l’américaine". Jean-Marie Messier, devenu prophète, réglera cette épineuse question avec une vision du monde qui se résume en un axiome simpliste répété à satiété: "Vivendi Universal, c’est la globalisation de la diversité culturelle." Soit qu’il nous prenne pour des cons (pardon, des cons-sommateurs), soit qu’il cherche une invitation chez Pivot.

Mais les "franchouillards" n’ont pas dit leur dernier mot. En visite officielle au Milia de Cannes, le premier ministre français Lionel Jospin est venu encourager les bleus du multimédia sous le crépitement incessant des caméras. Et pendant sa visite, Jospin a habilement contourné les stands de Vivendi Universal et d’Education.com pour se rendre directement à celui de Hachette, le concurrent, dirigé par Frédérique Bredin, ancienne ministre socialiste, et l’une des "franchouillardes" tant décriées par Jean-Marie Messier. "Geste hautement politique, me confie un collègue français de Libération. Vivendi Universal n’a pas apprécié du tout." Fascinants, ces jeux de coulisses français entre les grands groupes industriels et le pouvoir politique. Du gros chiffon, quoi.

"Chez nos amis du Canada", les choses se passent plutôt bien au Milia: pas de guerre de drapeaux; plutôt des petits-déjeuners-causeries sous le signe de la coopération. Le kiosque de Multimédia Québec regoupe 18 entreprises du multimédia, et le stand voisin de Téléfim Canada, une dizaine. Ajoutez une douzaine d’entreprises venues à leur compte, et voilà que le Milia aura reçu une quarantaine d’entreprises de chez nous. Une occasion propice pour Raymond Chrétien, ambassadeur du Canada en France, de venir faire une saucette sur la Croisette, histoire, lui aussi, d’encourager ses bleus… et ses rouges.