Clonage humain : Du pareil au même
Société

Clonage humain : Du pareil au même

Le clonage humain, c’est pour demain. C’est du moins ce qu’affirment les membres du Human Cloning Foundation, un organisme qui milite pour qu’on légalise cette pratique. Faut-il craindre le pire?

Deborah et Michael n’ont pas de chance. La jeune trentaine, ces deux Californiens forment un couple heureux, à tel point qu’ils veulent fonder une famille. Le hic, c’est qu’ils sont tous les deux infertiles, donc incapables d’avoir un enfant, leur plus grand rêve. Par contre, ils se sont rabattus sur quelques solutions de rechange. En vain. Ils ont bien tenté l’adoption, mais leur première tentative est tombée à l’eau après plus de 13 mois d’attente et le processus leur semble aujourd’hui trop long, pénible et coûteux. Ils ont bien pensé aux banques de sperme, d’ovules, et à l’emploi d’une mère porteuse. Mais encore, le processus leur paraît trop ardu et trop peu naturel. Bref, rien ne semble pouvoir leur permettre de réaliser leur souhait.

Rien, sauf peut-être le clonage… Car, grâce à cette technique de reproduction, il suffirait de prélever le noyau d’une cellule renfermant le code génétique d’un des deux individus et de l’introduire ensuite à l’intérieur d’un ovule vidé de son noyau (donc, de son propre code génétique). Ce couple pourrait alors avoir un enfant-clone: un bébé lié biologiquement et génétiquement à eux. Le tour serait joué!

Pas tout à fait, puisque le clonage humain n’a pas encore atteint ce stade. N’empêche, Michael et Deborah continuent de rêver. Leur cas illustre bien que le clonage n’est pas seulement l’affaire de mégalomanes narcissiques, de raéliens souhaitant l’immortalité ou d’utopistes dopés à la science-fiction, mais bien de personnes pour qui cette percée médicale serait un moyen réaliste d’avoir un enfant. D’ailleurs, l’histoire de ces deux Californiens exaspérés fait partie de centaines d’autres racontées par leurs propres acteurs sur le site d’une organisation américaine pro-clonage, la Human Cloning Foundation (www.humancloning.org). "Votre groupe nous permet maintenant d’encourager la recherche médicale pour qu’on ait enfin notre propre enfant", ont écrit Deborah et Michael à l’endroit de l’organisation. C’est dire…


Plus important groupe militant en faveur du clonage au monde (selon ses acteurs…), la Human Cloning Foundation, organisation sans but lucratif basée à New York et à Atlanta, compte 1418 membres et des "milliers de sympathisants", comme l’indique le site. Sa vocation constitue non seulement la légalisation et l’acceptation du clonage par les gouvernements et le public, mais aussi son développement scientifique.

Le conseil de la Human Cloning Foundation est composé de cinq membres, dont quatre professionnels: un avocat, un bioéthicien, un informaticien et un physicien. Le cinquième membre est moins bardé de diplômes: il s’agit d’un simple militant. Mais pas n’importe lequel. Randolphe Wicker, qui dit être le premier militant pro-clonage aux États-Unis, a été connu à travers tout le pays en 1964 après avoir été le premier gai à afficher ouvertement son homosexualité à la télévision américaine…

"Je suis vraiment déçu des discussions sur le clonage humain, se désole-t-il. On ne voit que le côté négatif de la chose. Moi, je le dis franchement: ça ne me dérange pas d’être le premier cloné. Je veux donner mon corps à la science. Le clonage est rien de moins qu’une autre étape de l’évolution de l’homme." Un illuminé, le monsieur? Pas du tout. Car il est appuyé dans sa démarche militante par des professionnels réputés, dont le bioéthicien Gregory Pence, bien connu aux États-Unis pour sa position claire en faveur du clonage et son livre Who’s Afraid of Human Cloning?.

Clonage ou réincarnation?
Contrairement aux apparences, Randolfe Wicker vit une existence paisible. Âgé de 63 ans, il est le propriétaire d’un modeste magasin de luminaires à New York. Ce qui l’allume vraiment, toutefois, c’est le clonage humain. À preuve, en plus d’être le président de la Human Cloning Foundation, il a fondé le tout premier groupe pro-clonage au monde, le Clone Rights United Front, créé le 26 février 1997, quelques jours à peine après l’annonce de la naissance de Dolly, la célèbre brebis clonée. "Cette arrivée a été une véritable révélation pour moi", soutient-il aujourd’hui.

Le 1er mars 1997, ne perdant pas un seul instant, Wicker a organisé la première manifestation en faveur du clonage, les classiques pancartes et slogans à l’appui. Tous les médias, du USA Today à ABC News, se sont littéralement précipités sur son cas. À tel point que le 14 septembre 1997, Wicker décide de réitérer l’expérience, avec une formule bien spéciale cette fois: les militants ont distribué des milliers de macarons "Oui au clonage humain!" aux gens rassemblés à Central Park pour souligner… la récente mort de la princesse Diana! Depuis, il s’investit dans une campagne politique qui l’a mené jusqu’aux audiences de commissions gouvernementales sur le clonage humain aux côtés d’éminents scientifiques.

D’où vient sa ferveur pour le clonage? En fait, une motivation bien personnelle l’anime. Car, comme Randolfe Wicker est gai, il lui est plutôt difficile d’être père… Avec les années, cependant, son désir de se reproduire grandit au même rythme que sa frustration de ne pouvoir avoir d’enfants. Pour lui, le clonage représente une solution fortement envisageable: il est d’ailleurs déjà en train de rechercher une façon d’entreposer des cellules de sa peau pour un clonage futur. "Si je ne peux me faire cloner avant ma mort et avoir ainsi un enfant, mon testament stipulera que je veux être cloné après", indique-t-il.

Selon la Human Cloning Foundation, conserver l’ADN d’un être cher constitue d’ailleurs une bonne police d’assurance… D’après l’organisation, en cas de décès, des gens pourraient faire "revivre" le défunt grâce au clonage. "Ce serait merveilleux! s’exclame Wicker. Même si je sais que cela ne veut pas dire réellement le retour de la défunte personne. Mais je crois que c’est un droit pour tous les individus qui ont perdu un être proche de souhaiter une forme de renaissance."

La Human Cloning Foundation tente même de réunir l’équipement et l’infrastructure pour emmagasiner les codes génétiques, le tout en vue de clonages futurs. Pour y parvenir, le groupe négocie avec Southern Cross Genetics, une compagnie australienne, et Canine Cryobank, une entreprise californienne. "De plus en plus de gens nous contactent pour savoir comment conserver leur ADN afin de se faire cloner lorsque la technologie le permettra", souligne Wicker.

D’ailleurs, par l’entremise du site de la Human Cloning Foundation, Randolfe Wicker reçoit sans cesse des courriels d’individus de partout à travers le monde qui expriment des souhaits semblables. Kathleen W., une jeune artiste de Floride, communique avec Wicker régulièrement. "Si quelqu’un me demandait de porter en moi son clone, je le ferais sans hésiter", lui a écrit à répétition cette mère porteuse en devenir.

"Beaucoup de personnes ont un intérêt pour le clonage, affirme Wicker. Elles se posent des questions, comme pourquoi la loi permet-elle aux gens plus de liberté pour tuer des foetus que pour en créer. C’est une bonne interrogation, n’est-ce pas? Même des médecins me disent que des patients au bord de la mort leur demandent des informations pour savoir s’ils peuvent être clonés pour ne pas disparaître complètement et laisser leur famille seule. Même si je trouve ces réflexions un peu extrêmes, je crois que le clonage pourrait répondre à un besoin réel."

Les "réflexions extrêmes" ou même les malentendus, il faut noter que la Human Cloning Foundation les entretient quand même sur son site dans le but de rassembler le maximum de gens derrière sa cause.

Combattre la mort
Randolfe Wicker s’embarrasse peu des considérations éthiques au sujet du clonage. Pour lui, les bénéfices qui peuvent être tirés de cette pratique biomédicale priment sur tout. Par exemple, il estime que la communauté scientifique devrait permettre l’essor du clonage humain afin d’enrayer l’infertilité. "Des couples stériles ont pleinement le droit d’avoir des enfants qui sont biologiquement liés à eux, indique-t-il. Il ne serait plus question de prendre le sperme ou l’ovule d’autres personnes. Ce serait bel et bien leur enfant. De plus, dans ce cas, on ne devrait pas voir le clonage comme quelque chose de mauvais. Après tout, il ne faut pas oublier que la fécondation in vitro était illégale et interdite auparavant; et que la transplantation d’organes, notamment le coeur, était vue comme une pratique horrible, voire inhumaine. Il faut réaliser que l’opinion publique évolue avec le temps et accepter les choses."

Plus qu’à des fins de reproduction, le clonage pourrait avoir des applications insoupçonnées dans les recherches médicales. Grâce au clonage appelé thérapeutique, les scientifiques pourraient cloner des cellules d’un individu, qui, à un certain stade de développement embryonnaire, pourraient être transplantées dans son propre corps pour régénérer des tissus ou des organes déficients. "Par exemple, des personnes avec des anomalies au coeur pourraient, grâce à leurs propres cellules clonées, être guéries, explique Wicker. De plus, dans ces transplantations, il n’y a aucun risque de rejet, car la compatibilité est assurée." Des scientifiques fondent même de sérieux espoirs pour trouver, grâce au clonage, des cures pour la maladie d’Alzheimer, le diabète et le Parkinson. "Pourquoi laisser des gens mourir alors que la technologie permet de les soigner par le clonage? se demande-t-il. Il faut mettre de côté ses peurs. C’est bien beau l’éthique, mais nous avons besoin d’aller au-delà. Ici, nous parlons d’une question de survie, d’une question médicale."

Certes, Randolfe Wicker admet que son discours se situe à contre-courant, mais il estime que son opinion est partagée par des scientifiques qui ne peuvent avouer leur position à cause de la perception négative actuelle à l’égard du clonage. "Les militants pro-clonage ne sont pas des freaks, conclut Wicker. Ce sont certainement des rêveurs. Ils rêvent de faire avancer la science. Par contre, ceux qui sont contre le clonage font parfois usage de mauvaise foi en ne voyant pas ses usages bénéfiques. Par exemple, le pape est contre le clonage, mais il faut se rappeler qu’il est aussi contre l’avortement et contre la contraception. De toute façon, il se contredit, car c’est écrit dans la Bible: "Multipliez-vous!""

Liens sur le clonage:

Human Cloning Foundation
www.humancloning.org

Clone Rights United Front
www.clonerights.com

Human Cloning Portal: des nouvelle sur le clonage de partout à travers le monde
www.human-clones.com

Un site sur les arguments pour et contre le clonage humain
www.vuhs.org/apbio/clone/

Un site sur les considérations éthiques du clonage
www.med.upenn.edu/~bioethic/

Right to Life, un groupe américain conservateur contre le clonage humain:
www.tennesseerighttolife.org


Vraiment bénéfique, le clonage?
Pour les bioéthiciens du monde entier, le clonage humain représente le sujet chaud de l’heure. Marcel Mélançon, professeur et chercheur en bioéthique à l’Université du Québec à Chicoutimi, se penche depuis déjà quelques années sur la question. Il fait partie du Groupe de travail spécial sur la recherche avec des cellules souches, de l’Institut de recherche en santé du Canada (IRSC), qui travaille sur des nouvelles pratiques biomédicales.

Très critique, Mélançon ne manque pas de soulever de sérieux doutes. "Le clonage à but reproductif est moralement inacceptable parce qu’il porte atteinte à la dignité et à l’intégrité humaines. À la base, chaque être humain est unique. Avec le clonage, on franchit la barrière. Que pensera un clone? Il sera tourmenté par le fait qu’il est la copie d’un autre, non? De plus, le clonage sera peut-être réservé à une élite. Il faut se méfier et poser les vraies questions."

Mélançon s’en prend également aux fausses croyances concernant le clonage. "Des gens pensent, par exemple, qu’en conservant le code génétique de personnalités comme Mozart ou Einstein, on pourrait leur permettre de continuer leur oeuvre en les clonant, souligne-t-il. C’est complètement faux. Les clones auront le même code génétique, c’est vrai, mais pas le même savoir et la même personnalité." En fait, cloner Wayne Gretzky ne veut pas dire créer une nouvelle étoile du hockey, comme cloner son père ne veut pas dire se retrouver avec une personne identique ayant les mêmes comportements…

Pourtant, des gens désespérés écrivent à la Human Cloning Foundation pour demander de tout faire afin de cloner leur enfant ou leur parent qui vient de mourir. Pour Mélançon, "il est faux de croire à un retour à la vie d’un individu grâce au clonage". Mélançon s’en prend aussi aux personnes qui croient qu’en étant clonés à leur mort, elles revivront et deviendront ainsi immortelles. "Le clonage, pour certains, c’est la quête de l’immortalité, mais sous une présentation pseudo-scientifique, affirme-t-il. Il faut arrêter cette pensée magique. Il faut plutôt évaluer le clonage selon son vrai visage."


La course au premier clone
Le clonage d’animaux est devenu routinier: souris, moutons, vaches, cochons, singes. Une bonne partie du règne animal s’est déjà fait doubler. Devant un tel essor, des scientifiques aventuriers se disent prêts à appliquer le clonage aux êtres humains.

Un scientifique de Chicago, Richard Seed, a été le premier à déclarer publiquement s’être lancé dans la course au clonage d’un humain, en 1998. Presque au même moment, Raël et ses fidèles ont annoncé vouloir être les premiers à y parvenir. Puis, des chercheurs sud-coréens, après avoir réussi à cloner un embryon humain, ont annoncé la même intention. De plus, en janvier dernier, un spécialiste très connu de l’infertilité, Pannayiotis Zavos, de l’Université du Kentucky, a annoncé que lui et un chercheur italien, Severino Antinori, avaient formé un consortium international pour cloner le premier être humain. Bref, la course au premier clone est lancée. Qui l’emportera? "Du moins, affirme Randolfe Wicker, la naissance du premier clone arrivera bientôt, dans quelques mois ou cinq ans maximum."

Malgré cette course effrénée et ces annonces publiques, la recherche sur le clonage humain se fait en cachette et en secret, à l’abri des questionnements éthiques. Pourtant, des scientifiques s’inquiètent de ces pratiques clandestines. Après tout, le taux d’échecs dans le clonage de mammifères atteint… 95 %! Et les clones, une fois nés, sont même parfois déformés… "Il faut vraiment se demander si nous sommes prêts à passer à l’homme avant de faire de erreurs", indique Marcel Mélançon.


Le créateur de Dolly nous répond!
Chercheur au Roslin Institute d’Édimbourg en Écosse, Ian Wilmut est devenu mondialement célèbre après avoir réalisé le clonage de la brebis Dolly, il y a quatre ans. Un ardent défenseur du clonage, alors? Malgré les apparences, il a récemment fait une fracassante sortie publique… contre le clonage humain!


Dans une brève réponse qu’il nous a envoyée par courriel, monsieur Wilmut indique que "les risques d’accidents lorsqu’on clone un mammifère sont très élevés". Après tout, il a fallu 277 essais aux chercheurs écossais avant de cloner Dolly… Pour Wilmut, il est alors "criminellement irresponsable pour les scientifiques d’expérimenter sur les humains, car les chances de succès sont encore trop minces et les questions éthiques n’ont pas encore été suffisamment débattues au sein de la communauté scientifique et au sein des gouvernements".

Comme Ian Wilmut représente le maître à penser de Randolfe Wicker, ce dernier est pour le moins déçu par sa récente prise de position. Pour réagir aux inquiétudes de Wilmut, Wicker a décidé de créer le Clone Bill of Rights, des règles pour baliser le clonage et prévenir les dérapages:

* La recherche, et non pas la rhétorique et les restrictions légales, constitue la seule façon de découvrir les effets réels du clonage. Les restrictions touchant la recherche sur le clonage humain ne devraient pas être considérées, à moins qu’une véritable menace sociale puisse être démontrée.

* L’ADN de chaque personne est sa propriété personnelle. Cloner cet ADN en un autre individu correspond au droit de cette personne à souhaiter sa propre reproduction.

* Constitutionnellement, ce droit n’est accordé ni aux législatures d’État, ni au gouvernement fédéral, ni aux autorités religieuses. Vouloir être cloné, quand et comment, est l’unique choix de chaque citoyen.


Ce que dit la loi
Aussi étonnant que cela puisse paraître, cloner un être humain au Canada est aussi simple et légal qu’acheter un carton de lait.

C’est que le Canada est l’un des rares grands pays industrialisés qui n’ait aucune loi et aucun règlement sur les nouvelles techniques génétiques et reproductives rendues possibles par la science. Tout usage de ces techniques, dont le clonage, est donc autorisé au Canada, puisque rien n’est légalement interdit.

Le ministre de la Santé, Allan Rock, a promis de déposer prochainement un projet de loi sur les techniques de reproduction, un engagement qui ne cesse de traîner en longueur depuis au moins cinq ans. Pour l’instant, donc, il est légalement possible de cloner un être humain au Canada.

Dans quelques États américains, le clonage a été interdit, alors que, en décembre dernier, le Parlement britannique a autorisé le clonage d’embryons humains, mais uniquement à des fins thérapeutiques. Peut-on s’attendre au même geste de la part de Rock?