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Nouveaux Médias : Requiem pour Napster?Major Tom to Ground Control
Carlos Soldevila
Requiem pour Napster?
Le jugement porté la semaine dernière contre Napster par la Cour d’appel de San Francisco est venu jeter une douche froide sur les tenants d’un Internet libre. Si d’autres sites du genre attendent au portillon depuis belle lurette, entre autres les sites proposant des versions piratées de Gnutella, il faudrait qu’on réponde à certaines questions avant de pouvoir crier impunément: "Le roi est mort. Vive Gnutella!"
Parce que l’affaire Napster, c’est beaucoup plus qu’une question de royalties non payées à des artistes de l’industrie du disque. C’est une question d’accès: accès à de la musique impossible à trouver sur les tablettes des disquaires; accès à des versions live de groupes; accès à des pièces libres de droits; accès à la plus importante librairie musicale jamais créée, celle d’une cinquantaine de millions d’utilisateurs de Napster; accès à de la musique d’un peu partout à travers le monde, autrement méconnue; accès à des parodies de tubes à la mode; accès à la plus grande révolution dans la distribution de la musique depuis l’invention du phonographe.
Heureusement, le plus récent jugement contre Napster en cour d’appel n’a pas sous-estimé le fait qu’environ 30 % des pièces téléchargées sur Napster soient libres de droits. Et c’est pourquoi Napster n’a pas encore fermé ses portes puisque son site fonctionne parfaitement encore aujourd’hui (pendant que j’écris ces lignes, je télécharge d’ailleurs, en toute impunité sur Napster, Recordare, du Requiem de Mozart, question de me mettre dans l’ambiance…).
En demandant au juge Patel de refaire ses devoirs en réécrivant son jugement d’interdiction pour n’y inclure que les chansons protégées par les droits d’auteur, la Cour d’appel de San Francisco offre donc un court répit aux utilisateurs de Napster. Mais du même coup, Napster doit se résoudre à la tâche de trouver une solution technologique permettant à ses usagers de partager des fichiers libres de droits tout en les empêchant de le faire pour des titres régis par les droits d’auteur. "Mission impossible", clame-t-on chez Napster.
Major Tom to Ground Control
Pour Metallica, le groupe à l’origine de cette affaire en justice contre Napster, la poursuite n’était pas motivée par une question de royauties ou d’un sentiment anti-Internet: "Nous ne sommes pas contre la technologie, ni d’ailleurs contre Internet ou la distribution numérique de la musique, annonçait Metallica publiquement à la suite du jugement. Tout ce que nous avons demandé, c’est que les artistes soient en mesure de contrôler comment, quand et sous quelle forme leur créativité est distribuée par ces moyens."
Et c’est justement à cette question que j’aimerais qu’on me réponde avant de lâcher Napster aux mains des Bertelsmann et autres requins de l’industrie du disque qui s’apprêtent tous, d’ici la fin de l’année, à lancer leurs propres sites de distribution payants. Parmi ceux-ci, notons Vivendi Universal, qui prévoit inaugurer leur nouveau site d’ici la fin de l’été. La question n’est pas que leurs services deviennent payants. On s’en fout, à la limite, de la gratuité!
La révolution Internet, comme outil de démocratisation de l’information et, par extension de la musique, c’est justement qu’il a donné le pouvoir aux individus: le pouvoir d’échanger; le pouvoir de modifier; le pouvoir de choisir; le pouvoir d’écouter autre chose que la soupe infecte préparée non pas par les artistes, mais plus souvent qu’autrement par tous les gourous du marketing de l’industrie. (Tiens, il y a un utilisateur de Napster qui est en train de télécharger J’aime les filles, de Jacques Dutronc, directement de mon disque dur. Pas mal plus intéressant à siffloter que le Requiem!)
Contrôler le "comment, le quand et la forme" de la distribution de la musique, c’est revenir à la case départ. Et c’est profondément anti-Internet, que Metallica le veuille ou non. Isoler l’affaire Napster et ses cinquante millions d’utilisateurs ou simplement se ruer sur les sites de Gnutella (www.gnutellaworld.net) pour étancher la soif d’Internet ne tiennent pas la route. Dans le contexte des mouvements antiglobalisation, Napster représente un cas d’espèce, une sorte de Seattle du monde Internet. Et lâcher prise sur Napster, c’est lâcher prise sur une idée qu’on se fait du monde, d’un idéal d’Internet qui ne cesse de se faire attaquer de toutes parts par l’establishment.
Le mouvement de contestation et d’appui à Napster ne dérougit d’ailleurs pas sur le Net. La page Speak Out du site de Napster (www.napster.com/speakout) permet ainsi aux internautes d’écrire au Congrès américain, d’organiser des manifestations et d’écrire aux grands labels de disque. "La bataille juridique n’est pas terminée", écrivent les responsables de Napster. Vous pouvez aussi constater les états d’âme des utilisateurs de Napster sur le site Boycott Metallica (www.boycottmetallica.org).
Mais la meilleure façon de contester l’industrie du disque et ses cédés à 25 dollars qui servent surtout à payer les marchands d’emballages de plastique, c’est encore d’enrichir la grande bibliothèque Napster de vos titres préférés. Et de venir sur mon disque dur télécharger Ça plane pour moi, de Plastic Bertrand. (Si vous êtes du genre pessimiste, j’ai aussi You Can’t Always Get What You Want, des Rolling Stones.)