L’idée d’établir un revenu minimum garanti pour tous est de plus en plus populaire. Déjà, en 1985, la Commission Mc Donald avait recommandé un projet de ce type. Et au lendemain de l’élection fédérale de novembre dernier, Jean Chrétien déclarait que son gouvernement étudierait la possibilité d’établir au pays un système de revenu minimum garanti.
Ces deux promesses sont tombées à l’eau. Mais l’idée fait tout de même son chemin et amasse de plus en plus d’appuis dans les différentes couches de la société. Considéré comme une utopie hier, ce projet est maintenant perçu, par plusieurs économistes et récipiendaires du prix Nobel, comme une solution logique et incontournable aux problèmes qui assaillent l’État providence.
Est-ce maintenant un virage obligé? La société est-elle prête à le prendre? Nous avons posé la question à François Blais, professeur au Département de science politique de l’Université Laval, qui vient tout juste de publier Un revenu garanti pour tous, un ouvrage qui fait le tour du sujet.
Aujourd’hui, l’État providence semble devenu inefficace. Vous en appelez ainsi à une refonte de la solidarité à travers la mise en place d’une allocation universelle. En quoi cela consiste-t-il?
L’allocation universelle est un revenu de base inconditionnel accordé à tous. La prestation peut être modulée en fonction de l’âge, et majorée périodiquement. On peut imaginer un montant de départ de 300 dollars par mois par adulte et un peu moins pour les enfants, mais ça reste à voir. L’universalité est nécessaire pour des raisons d’efficacité; et, dans le cas des plus riches, il y aura récupération par un ajustement fiscal.
Quels sont les effets pervers et les déficiences du système de sécurité sociale actuel que cette politique corrigerait?
Premièrement, il y a les problèmes criants de la Poverty Trap, ou "piège de la pauvreté", qui fait en sorte que les pauvres se trouvant un petit boulot sont tellement taxés qu’ils se demandent s’ils n’auraient pas plus intérêt à demeurer sur l’aide sociale qu’à travailler. Au Québec, les taux marginaux de taxation des personnes à faibles revenus atteignent des sommets de 75 %, alors que ceux des assistés sociaux sont de 100 %. Ajoutons le problème des catégories (aptes au travail, inaptes au travail, etc.) qui stigmatisent les gens, et vous avez une bonne idée des effets pervers du ciblage des politiques sociales.
Un revenu garanti serait-il un remède rapide et efficace à l’exclusion sociale et à la pauvreté?
Ce ne serait pas une solution immédiate au problème. On a laissé pourrir des situations depuis une vingtaine d’années; il existe des pièges de la pauvreté difficiles à défaire, il faut y aller progressivement. On doit s’attaquer au plus pressant et établir une vision en rendant d’abord le travail plus attrayant.
Quelle serait l’incidence sur les autres programmes sociaux? Serait-ce la fin de l’État providence actuel?
Pas du tout. Certains programmes seraient appelés à disparaître, mais graduellement. Il pourrait y avoir une période de transition où, par exemple, l’aide sociale comblerait l’allocation universelle de départ pour maintenir les barèmes actuels. Il faut que les arrangements institutionnels demeurent au profit des plus démunis.
Comment serait financé le programme?
On pourrait le réaliser à coût nul, en le substituant à des programmes existants. Mais pour ce faire, on doit débuter avec une allocation partielle et l’augmenter en l’indexant sur le coût de la vie – ou, mieux encore, sur le PNB. Il faudrait oeuvrer simultanément sur la fiscalité, en ajustant les taux d’imposition, et sur l’abolition de programmes, transformés en allocation universelle.
La clé serait d’éviter les transferts monétaires et fiscaux inefficaces sur le plan de la redistribution. La fin du crédit d’impôts personnel de base serait un gain pour les assistés sociaux qui ne paient pas d’impôts. L’abolition des subventions aux entreprises et des REER, inefficaces économiquement, selon moi, serait aussi envisageable. Pour les programmes, on pourrait éliminer ceux qui sont ciblés, et redistribuer les surplus de la caisse d’assurance-emploi à tout le monde.
La mondialisation bouleverse la structure du marché du travail et crée beaucoup d’insécurité. Vous soutenez, dans ce contexte, qu’un droit au revenu doit se substituer à un "faux droit" au travail. Quels seraient les impacts sur le marché de l’emploi de l’arrivée de l’allocation universelle?
La nouveauté est que des activités qui sont non rentables aujourd’hui, car rémunérées au taux minimum, trouveraient dorénavant preneurs. On pense au milieu communautaire. Cela serait à l’avantage des pauvres inactifs qui n’ont pas toujours intérêt à travailler. En général, une telle mesure rendrait le travail plus attrayant.
Qu’adviendrait-il du salaire minimum?
Sil’on part du principe qu’il faut dissocier travail et revenu, on devrait le maintenir, sinon le diminuer pour des raisons économiques, en fonction de la hausse de l’allocation universelle. C’est que le salaire minimum perd de son importance dans le contexte d’un revenu garanti. Le problème est qu’il tue des activités qui ne peuvent être rémunérées à leur taux, alors que le revenu garanti, lui, ne s’oppose pas au travail.
N’y a-t-il pas un risque de voir ainsi scellée pour longtemps la question de la marginalité sociale, que l’on dise: "Vous, les pauvres, vous avez votre revenu garanti, cessez vos revendications maintenant"?
Effectivement, il y a toujours un risque en ce sens. Mais je crois que ce sera surtout positif, car l’avantage de l’allocation universelle est de solidariser la société en favorisant des mécanismes de transfert où tous se sentent concernés. Par exemple, le stigmate d’assisté social disparaîtrait.
Historiquement, les débats entourant les politiques sociales ont opposé la gauche et la droite. Or, celui sur l’allocation universelle a cette particularité qu’il dépasse ce clivage, en ayant des partisans et des adversaires des deux côtés. Comment expliquez-vous ça?
Ça, c’est intéressant. Pendant plusieurs années, la gauche s’est opposée à ce projet, surtout la gauche syndicale, car elle y voyait une simple subvention au travail. Mais Michel Chartrand, lui, y est favorable. Il a même écrit un livre sur le sujet avec Michel Bernard, Manifeste pour un revenu de citoyenneté. À droite, on n’a rien à perdre, on fait des propositions parce qu’on constate que l’aide sociale est un non-sens économique. Charles Sirois, de Téléglobe, est un partisan de l’allocation universelle. Bref, la gauche devrait y réfléchir et constater qu’il y aurait des avantages sociaux et économiques.
La population est-elle favorable à une allocation universelle?
Nous sommes davantage universalistes sur le plan des services que sur celui des transferts: ce qui est paradoxal. Les gens ont de la difficulté à accepter que tous les citoyens sans exception reçoivent une allocation.
En Europe, Jean-Marc Ferry plaide cette cause depuis quelques années. Vous avez espoir que cela se réalisera bientôt?
La question est discutée depuis les années 60, et la Hollande est aujourd’hui le pays qui en est le plus près. Madame Harel a dit qu’elle étudierait la question; alors que Lucien Bouchard, lui, soutient que nous ne sommes pas prêts. Je crois qu’il faut donc continuer de nous battre pour l’universalité et sensibiliser les gens à cette option.
Un revenu garanti pour tous: introduction aux principes de l’allocation universelle
Boréal, 2001, 211 pages
Liens sur le Revenu garanti pour tous:
Association pour l’instauration d’un revenu d’existence
www.etes.ucl.ac.be/BIEN/BasicIncomeEventsFrance.html
Basic Income European Network
www.etes.ucl.ac.be/BIEN/
Basic Incomes Pages
www3.sympatico.ca
Basic Incomes Garantee USA
www.widerquist.com
Basic Income For All (essai paru dans le Boston Review)
bostonreview.mit.edu
Essais sur le sujet:
www.globalideasbank.org
www.globalideasbank.org
www.etes.ucl.ac.be
www.unites.uqam.ca
Universal Basic Income (Nouvelle-Zélande)
www.geocities.com/~ubinz/
Liste exhaustive de liens
www.geocities.com
Site belge
www.ibelgique.com/hugolejeune/
Site francais:
www.csn.qc.ca
Liens francophones
fr.google.yahoo.com
Définition
"L’allocation universelle constitue un revenu inconditionnel accordé par l’État à chaque citoyen et citoyenne. Il s’agit d’un revenu garanti pour tous: étudiants, travailleurs ou chômeurs, hommes et femmes, riches ou pauvres, jeunes ou vieux, de la naissance jusqu’à la mort. Ce transfert non imposable devrait normalement, mais pas exclusivement, être financé par un prélèvement adéquat sur l’ensemble des autres revenus de l’emploi et du capital, et se substituer, complètement ou partiellement, aux principaux mécanismes actuels de la sécurité du revenu: l’aide sociale, les prestations aux familles et aux retraités, divers crédits d’impôt aux particuliers et aux entreprises, le régime des prêts et bourses aux étudiants, certaines assurances sociales, etc.
Il s’agit d’un authentique revenu de base à partir duquel chacun peut librement exercer certains choix de vie en ayant à l’esprit ce qui est bon pour lui-même et ses proches. Dans une période de déclin de l’État providence, où les politiques de ciblage des populations à risques demeurent les seules solutions qu’ont à nous proposer nos gouvernants, l’allocation universelle représente une véritable révolution dans notre manière d’envisager la lutte contre la pauvreté et l’exclusion."
– François Blais, Un revenu garanti pour tous