Certains juifs critiquent ses méthodes : B’nai Brith va-t-elle trop loin?
B’nai Brith vient de publier son fameux rapport sur les incidents antisémites au Canada. Surprise: l’Affaire Michaud n’y figure pas. C’est pourtant l’organisme qui est à l’origine de cette crise. ROBERT LIBMAN, directeur du chapitre québécois, trouve-t-il qu’on est allé trop loin?
C’est surprenant, mais à l’écouter parler, on croirait presque que Robert Libman a de la sympathie pour Yves Michaud. Un peu plus, et on l’imaginerait même en train de défendre le dinosaure du PQ. "Depuis le déclenchement des événements, la parole de monsieur Michaud a été déformée de façon incroyable. Les gens l’accusent de minimiser l’Holocauste, alors qu’il n’a jamais fait ça. On l’accuse aussi d’être antisémite. Moi, je pense qu’il ne l’est pas."
C’est étonnant, parce que Robert Libman est le président du chapitre québécois de B’nai Brith, et que c’est un communiqué de presse de cet organisme juif qui a, en quelque sorte, mis en marche le premier psychodrame majeur du XXIe siècle au Québec: l’Affaire Michaud. La crise qui aura ravivé pour une énième fois le débat sur le nationalisme québécois et les ethnies, et qui a peut-être même précipité la démission d’un des premiers ministres les plus populaires de l’histoire de la province.
L’Affaire a débuté au mois de décembre quand B’nai Brith a émis un communiqué de presse dénonçant Yves Michaud pour ses "injures contre les juifs et en particulier contre B’nai Brith", qu’il avait prononcées sur les ondes de CKAC. Le communiqué s’adressait au Parti québécois et au premier ministre Bouchard. "On n’a jamais demandé un vote de blâme à l’Assemblée nationale; tout cela nous a étonnés énormément."
"Ce qu’on a fait, c’est de rendre publique la transcription des propos de monsieur Michaud. Et, c’est la société québécoise qui a décidé de la suite des événements. C’était avant que monsieur Michaud ne se présente devant les États généraux sur la langue, où il est allé encore plus loin en parlant du vote ethnique."
Yves Michaud avait dénoncé le fait que plusieurs bureaux de scrutin de Côte-Saint-Luc n’avaient enregistré aucun vote pour le Oui lors du dernier référendum. Robert Libman (qui est, soit dit en passant, le maire de Côte-Saint-Luc) semble pourtant partager l’analyse d’Yves Michaud. "Nous (les juifs) ne sommes pas homogènes en ce qui concerne la question nationale. Mais presque…"
Les bisons des Prairies
B’nai Brith est un organisme de charité fondé il y a plus de 150 ans pour venir en aide aux démunis de la communauté juive. En fait, la "Phalange extrémiste du sionisme mondial", comme l’affirmait Yves Michaud, ressemble surtout à un Club Optimiste juif.
Comme les Optimistes ou les Lions, B’nai Brith est présent dans une trentaine de pays. Les membres sont regroupés en loges et s’occupent de charité et de bénévolat. "On fait beaucoup de travail dans la communauté, explique monsieur Libman. On donne des paniers de nourriture aux personnes âgées habitant des centres d’hébergement; on aide des membres de la communauté juive sous le seuil de la pauvreté; on porte aide aux victimes de crise…"
À Toronto, B’nai Brith exploite trois immeubles à loyer modique, et l’organisme prépare la construction d’un quatrième immeuble pour les personnes âgées à Montréal. Le jour du Rosh Ashana et du Passover, les bénévoles de B’nai Brith distribuent plus de 4000 paniers alimentaires aux familles dans le besoin, seulement à Montréal. B’nai Brith a aussi une ligue de bowling, une ligue de hockey et une ligue de balle molle.
B’nai Brith Canada, qui a le statut d’organisme de charité, administre, depuis Toronto, un budget de quatre millions de dollars. L’argent est redistribué aux bureaux de Montréal, d’Ottawa, de Winnipeg, de Missisaugua et de Calgary. Cette somme provient de dons privés.
Avec le temps, B’nai Brith s’est aussi donné le mandat de défendre les juifs contre la discrimination et de lutter contre l’antisémitisme. Depuis 1982, la Ligue des droits de la personne de l’organisme publie son rapport sur l’antisémitisme au Canada. Cette année, la ligue a répertorié 280 incidents antisémites de toutes sortes, depuis un jeune qui s’est fait battre presque à mort au métro Lionel-Groulx jusqu’à un graffiti raciste dans une toilette de Toronto. "On inscrit les incidents qui sont rapportés à notre organisation, explique monsieur Libman. Si quelqu’un nous appelle pour nous dire qu’il y a une inscription antisémite ou agressive sur le mur de sa maison, ça se retrouve dans notre rapport. On n’a pas créé une police qui se promène partout pour trouver des graffitis haineux dans les toilettes!"
Détail surprenant: l’Affaire Michaud n’est pas cataloguée dans le rapport.
Verser de l’huile sur le feu
L’Affaire Michaud aura démontré au moins une chose: quand le B’nai Brith parle, la société québécoise écoute. Malgré tout, des juifs trouvent que l’organisation n’a pas l’indépendance nécessaire pour faire ce genre de travail.
"Le B’nai Brith est un organisme légitime en ce qui concerne la défense des droits de la personne, explique Salomon Cohen, ex-candidat du PQ dans la circonscription d’Outremont. Cela étant dit, il y a des choses avec lesquelles je ne suis pas d’accord. Le directeur-général de cet organisme au Québec, Robert Libman, n’est pas du tout crédible envers la société dans laquelle il vit puisque, comme tout le monde le sait, il est antisouverainiste. Je dirais même qu’il est presque contre la majorité des francophones. Comment peut-il être directeur d’un organisme qui porte un jugement sur notre société tout en étant directement mêlé à l’Affaire Michaud?"
À l’âge de 28 ans, Robert Libman a fondé le Parti Égalité pour protester contre la politique linguistique du gouvernement Bourassa. Élu député à l’Assemblée nationale, il a démissionné du Parti Égalité en 1994. "On peut dire que les radicaux ont alors pris contrôle de l’organisation, déclare monsieur Libman. En 1994, on s’acheminait vers un nouveau référendum, et à ce moment-là, j’étais préoccupé par la consolidation des forces fédéralistes."
Salomon Cohen accuse Robert Libman de se servir de l’immense prestige de B’nai Brith pour poursuivre sa lutte contre les souverainistes et, systématiquement, de remettre en doute leurs intentions. "Pour moi, Libman, Galganov et Mordecai Richler sont des bougie d’allumage de l’antisémitisme au Québec; par leur personnalité, ils font mousser l’antisémitisme. Pourtant, le rôle de Robert Libman est d’atténuer l’antisémitisme, mais sa personnalité fait en sorte que c’est le contraire qui arrive."
Robert Libman se défend de vouloir salir la réputation du Québec. "Aujourd’hui, si l’on regarde ailleurs dans le pays, c’est très clair que le Québec est probablement la province la moins antisémite. Toutes les inscriptions antisémites qu’on a trouvées au Québec sont en anglais; ça dit quelque chose."
Anti-juifs ou anti-Israël?
Justement, dans le rapport sur l’antisémitisme 2000, on apprend que la majorité des incidents antisémites aux Québec sont dus à la reprise du conflit au Moyen-Orient et aux tensions entre les communautés juives et arabes. Dans le Rapport de B’nai Brith, on peut lire que "le fait que certains Canadiens s’opposent à d’autres Canadiens en raison d’événements survenus outre-mer rappelle aux juifs à quel point l’antisémitisme n’est pas enfoui si loin dans l’esprit des gens".
Pourtant, le 11 octobre dernier, Robert Libman lui-même prenait la parole devant 2500 juifs qui participaient à une manifestation d’appui à Israël. Dans son discours, Robert Libman a accusé Yasser Arafat de ne pas vouloir la paix et a accusé les manifestants propalestiniens qui participaient à une autre manifestation de répandre "la pire rhétorique skinhead néo-nazie".
Est-ce que B’nai Brith a réellement le recul nécessaire pour passer ce genre de jugements quand on sait qu’en 2001, près de la moitié des communiqués de presse de B’nai Brith étaient des appuis à Israël et à son premier ministre? Robert Libman croit que oui. "Moi, j’ai assisté à deux manifestation proisraëliennes, et il n’y avait pas une seule remarque anti-arabe ou anti-palestinenne."
Les juifs hassidiques d’Outremont boudent habituellement les principales institutions juives. La communauté possède son propre réseau de synagogues, d’écoles et de services communautaires, et ne fait que très rarement appel aux grosses institutions de l’establishment comme B’nai Brith. Certains hassidiques ont fait exception à la règle il y a deux ans quand une dispute autours du zonage d’une synagogue a commencé à faire monter les tensions dans le quartier. L’interminable saga juridique autour de la synagogue avait un effet terrible sur les relations entre les hassidim et leurs voisins.
Comme monsieur Cohen, Alex Wertzberger, de la Coalition des organismes hassidiques d’Outremont, juge que les méthodes agressives de B’nai Brith peuvent être contre-productives. "B’nai Brith, c’est trop fort, ça fait trop de publicité, dit-il. Les hassidim aiment mieux régler leurs problèmes avec leurs voisins en dessous de la table." B’nai Brith attire l’attention des médias, et monsieur Wertzberger croit que toute l’attention peut avoir des répercussions négatives. "B’nai Brith fait trop de bruit. Parfois, on en a besoin, mais ce n’est pas notre style."
D’autres hassidim comme Jack Hartstein ont été agréablement surpris par l’action de B’nai Brith et ont remis en cause certains de leurs propres préjugés. "Je crois qu’ils font très attention quand ils prennent la parole. Ils font beaucoup de lobbying, contactent les gens directement. Quand ils s’en remettent à la presse, c’est vraiment en dernier recours."
"Oui, B’nai Brith peut parfois être contre-productive, conclut-il. Mais, au bout du compte, c’est parce que ses membres croient fortement que quelqu’un doit prendre la parole pour dénoncer la haine."
B’Nai Brith et la censure du Web:
www.mnsinc.com/SkyWriter/ZOA/Z_bbuic.html
B’Nai Brith coupable de Libel?
www.freedomsite.org/exposed/bnai_brith
Ligue anti-défamation
www.nizkor.org/hweb/orgs/canadian/league-for-human-rights
Camp B’Nai Brith à Ottawa
www.sagin.com/cbb