Homosexualité dans les écoles : Rencontre du stéréotype
Société

Homosexualité dans les écoles : Rencontre du stéréotype

Chaque année, les élèves québécois rencontrent des "spécialistes" qui leur parlent de contraception, des drogues, etc. Mais lorsqu’il est question de démystifier l’homosexualité, le milieu scolaire s’érigerait en gardien des valeurs morales et fermerait ses portes à toute intervention.

Québec et Montréal. Même combat: tenter d’éveiller étudiants et professeurs à la "réalité" homosexuelle. Même barrière: une carapace blindée construite à même les craintes des parents et des acteurs du réseau de l’éducation. Même problématique: des jeunes qui se sentiraient incompris et sombreraient.

"Ils se prennent pour des modèles. Mais est-ce qu’ils en sont vraiment? Des fois, je me dis: est-ce qu’ils sont vraiment responsables?" C’est aux enseignants, aux directeurs d’écoles, aux familles que fait allusion le porte-parole du Groupe régional d’intervention sociale (GRIS) de la capitale, Luc Pharand. À tous ceux qui, selon lui, refusent que ses bénévoles détaillent le fait homosexuel aux étudiants.

Il rappelle qu’une forte proportion du taux de suicide faramineux enregistré en notre contrée serait liée à la difficulté d’accepter son orientation sexuelle. Autrement dit: l’adolescence est déjà tumultueuse, alors imaginez pour un jeune découvrant qu’il est gai.

"Il faut absolument qu’il puisse en parler", lance la directrice générale du Centre de prévention du suicide, Claire Garneau, corroborant en partie les dires de M. Pharand.

Pourtant, depuis de nombreuses années, le GRIS patiente sur le seuil des écoles secondaires et des cégeps. Mais presque personne ne le laisserait entrer. "On a beau dire que l’homosexualité a été décriminalisée il y a 30 ans (en 1969), que ça a été dépathologisé progressivement durant les années 70-80 […], dans les mentalités, il y a encore beaucoup de résistance", s’insurge M. Pharand.

"Il y a eu la haine des Noirs, il y a eu la haine des Juifs, il y a eu le mépris des femmes, mais il y a encore le mépris des homosexuels."

Lui y aurait goûté durant son passage au secondaire. Entre autres, une balle à blanc tirée à proximité de son oreille pour "fêter" son dernier jour de classe. Devant des profs. "Ce sont des gens qui sont supposément responsables. En pratique, ils ont un pouvoir, et ils laissent aller ça. Ils sont aveugles, muets et sourds à cette discrimination-là dans leurs propres écoles. Moi, j’appelle ça de l’irresponsabilité."

"Les jeunes ne se tuent pas pour rien. Ça crée une détresse réelle. Ce n’est pas de la fiction. Les statistiques sur le suicide, c’est peut-être des statistiques, mais les jeunes qui sont derrière, ce ne sont pas des stats." M. Pharand ne mâche pas ses mots. "Je pense concrètement au degré de détresse des jeunes qui se voient aller et qui ne comprennent pas ce qui se passe."

Le message qu’il leur adresse? "C’est normal. L’amour n’a pas de sexe et tous les stéréotypes et les 1 000 heures de conditionnement homophobe auxquelles vous avez pu être soumis, [il faut les relativiser]." Le tout en une période de cours. "On a 55 minutes pour gagner notre pari."

Recruter des jeunes
À quoi peut-on attribuer les résistances observées? "Parce qu’ils s’imaginent qu’on enseigne l’homosexualité. C’est ça la chose, tente d’expliquer notre interlocuteur. L’idée, c’est plutôt de démontrer […] qu’on s’assume comme adulte et qu’on peut être épanoui, interagir avec les gens et qu’on n’est pas des caricatures de La Cage aux folles."

"Il y a des causes de principes moraux, de valeurs religieuses, mais il y a aussi des préjugés parce qu’il y a des gens qui pensent […] que si on parle aux étudiants, on va leur donner des idées. Ce sont les grands préjugés: soit on est tous pédophiles, soit on peut recruter les gens", poursuit son vis-à-vis montréalais, Jean-François Hallé.

Voilà maintenant 10 ans que le GRIS de la métropole – où l’acronyme signifie Groupe de recherche et d’intervention sociale – tente un rapprochement avec la Commission scolaire de Montréal (CSDM). "On ne sait plus par quel bout les prendre. […] C’est vraiment difficile. C’est un milieu très très conservateur et qui est très hermétique."

Histoire d’étayer ses propos, il souligne que la polyvalente située dans le Village gai n’accepte pas de les recevoir. "C’est comme si les écoles s’imaginaient qu’elles avaient le seul et unique micro face aux jeunes. Qu’ils n’écoutent pas la télévision, qu’ils ne vont pas sur Internet et qu’entre la maison et l’école, ils ne font rien."

Qui fait le plus montre d’obstruction? "On sait que ce sont les parents qui sont peut-être les plus conservateurs. Mais je vous dirais aussi que les professeurs qui sont plus "expérimentés" sont souvent plus réfractaires."

Mais il y a maintenant de la lumière au bout du tunnel, du point de vue des tenants de la cause. Après avoir pris connaissance des données sur le suicide, l’Alliance des professeurs de Montréal aurait contacté le GRIS. Le but? Revendiquer conjointement qu’il y ait de l’éducation sur l’homosexualité dans les écoles de la CSDM.

Justement, à quoi ça peut bien ressembler, un "cours" d’éclaircissement? Un homme et une femme, un gai, une lesbienne, se présentent en classe, explique la coordonnatrice en démystification du GRIS de Québec, Josée Bilodeau. "Des gens de tous âges, avec du vécu bien clair. Des gens qui sont bien dans leur peau, qui ont assumé leur sortie et qui sont prêts à en parler ouvertement." Aucun exposé magistral. Que des réponses aux interrogations des élèves, généralement de secondaires 4 et 5.

"C’est de savoir que c’est possible, que ça existe et qu’on peut s’épanouir, qu’on peut vivre là-dedans. […] Ça peut te rassurer aussi dans l’effet contraire. Des fois, tu penses que peut-être que tu pourrais l’être […] et ça te "rassure"."

Évidemment, le franc-parler des jeunes est de notoriété publique. Les questions peuvent parfois être directes, mais demeureraient dans les limites de l’acceptable. "C’est très poli. C’est très encadré, on est à l’école!" soutient Mme Bilodeau. Elle reconnaît néanmoins que, dans les maisons de jeunes, "c’est plus direct" parce que l’intervenant se retrouve sur leur territoire.

Si la discussion porte sur la sexualité, les intervenants font des parallèles avec les pratiques de conjoints de sexes opposés. "Même dans les couples hétérosexuels, il y a plusieurs façons de faire ça. Ça se ressemble beaucoup, énormément", fait-elle valoir.

En définitive, le message tournerait autour de vivre et laisser vivre. D’ailleurs, Mme Bilodeau a un exemple fait sur mesure pour les étudiants: "Quand quelque chose ne fait pas leur affaire dans un bar hétérosexuel, ils ne vont pas nécessairement réagir agressivement. Alors, ils n’ont pas à réagir agressivement s’ils ont des avances de quelqu’un du même sexe qu’eux. Juste à dire: "Non, ça ne m’intéresse pas. Ce n’est pas mon trip.""

"Nous, ce qu’on aide à faire, c’est que quand c’est présent dans la tête de quelqu’un, c’est simplement de leur dire: "Regarde, ce n’est pas si dramatique que ça. Malgré tout ce qu’on entend, il y a moyen de bien vivre là-dedans", renchérit un intervenant qui a visité de nombreuses écoles, Paul Genois. Et pour les autres, ceux qui sont hétérosexuels, ce que ça peut leur montrer, c’est qu’on est du monde comme les autres."

"On essaie de diminuer ou d’éliminer le plus possible les préjugés que les gens ont encore sur notre mode de vie. Finalement, on va les voir pour leur expliquer qu’on n’est pas des étranges."

Prof aux études
Le ministère de la Santé offre aussi une formation sur l’homosexualité. Mais celle-ci s’adresse aux professionnels. "On essaie de faire une percée en milieu scolaire. C’est moins évident [que dans les hôpitaux]", remarque un des "profs" du programme, Pierre Berthelot.

Parrainé par le cégep Maisonneuve, l’apprentissage est étalé sur trois jours. On y dissèque certains mythes, y fait l’historique de la discrimination et y découvre qu’il n’y a pas deux catégories distinctes de pratiques sexuelles. "Les frontières entre les orientations sexuelles sont beaucoup moins étanches qu’on le pense." Les "élèves" apprennent également à intervenir tant auprès des jeunes qu’auprès des adultes.

"[On explique] comment, dans son langage, dans son attitude, manifester qu’on est ouvert à ça de sorte que, s’il y a un jeune qui vit ça en secret, il va savoir que cet adulte-là pourrait avoir une oreille attentive."

Fait étonnant, bien que le cours ait été créé il y a huit ans, ce n’est que depuis un an et demi que des gens s’y inscrivent en nombre tangible. Et qu’est-ce qui les intéresse le plus, les titille le plus? "La parade gaie." Il faut souvent remettre les pendules à l’heure et faire voir que d’abord, c’est une fête, et que les images montrées à la télévision sont les plus accrocheuses."

Pour s’inscrire, il suffit de communiquer avec le responsable de la formation de la Régie régionale de la santé de sa communauté. Dès qu’un groupe de 20 est constitué, les formateurs, encore une fois un homme, une femme, se déplacent.

Notons, en terminant, que la situation serait identique pour les GRIS des autres régions du Québec.