Left Behind : Le septième art au septième ciel
Société

Left Behind : Le septième art au septième ciel

Irritée par les oeuvres hollywoodiennes qui manquent de moralité, la droite religieuse américaine produit aujourd’hui ses propres films et se retrouve derrière la caméra. Une de ces oeuvres, Left Behind, prend l’affiche cette semaine. Oh God

Chaque fois qu’Hollywood produit des blockbusters dopés aux artifices, elle essuie des rebuffades. En effet, les groupes religieux américains manifestent souvent leur profond désaccord à l’égard des films qui sortent des studios hollywoodiens. Trop de violence, trop de sexe, pas assez de morale: les superproductions se vautrent dans le péché. Jusqu’à maintenant, les groupes religieux se sont contentés de dénoncer le milieu du cinéma. Mais aujourd’hui, le vent tourne. Insatisfaits et ignorés par les gros producteurs, les communautés religieuses encouragent, financent et produisent maintenant leurs propres films, des petits catéchismes à la sauce hollywoodienne. Oil pour oeil, dent pour dent!

Avec la sortie de Left Behind, un autre film de la nouvelle vague du genre "chrétien" apparaît maintenant sur les écrans. Basé sur le premier livre d’une série de romans populaires écrits par l’évangéliste Tim LaHaye et l’écrivain Jerry B. Jenkins (best-sellers solides du New York Times), l’oeuvre réalisée par Vic Sarin (un vétéran de la série Spenser: For Hire) se veut apocalyptique: 142 millions de personnes disparaissent littéralement de la surface de la Terre sans laisser de traces. Cette situation provoque le chaos et la tristesse à travers le monde. Qui est à l’origine de ce drame? En fait, un pilote d’avion (Brad Johnson) et un célèbre reporter (Kirk Cameron) découvrent qu’il s’agit d’une prophétie de la Bible: les disparus sont partis tout droit au ciel (au paradis, plus précisément) parce qu’ils étaient croyants, laissant les pécheurs et les incultes derrière eux, sur Terre. Ce même journaliste s’aperçoit qu’une autre prophétie biblique est en train de se réaliser: la montée de l’Antéchrist (Gordon Currie), qui veut dominer le monde en prenant les traits du nouveau… secrétaire général des Nations unies! S’ensuit une course folle pour contrecarrer les plans du Mal, et une fin qui laisse présager une suite. Bref, tous les éléments sont réunis pour séduire les croyants et convertir les incultes…

Du moins, c’est ce qu’ont prétendu à plusieurs reprises les dirigeants de la boîte de production derrière Left Behind, les frères Paul et Peter Lalonde de Cloud Ten Pictures, une entreprise située à St.Catharines, en Ontario. "Depuis trop longtemps, les communautés chrétiennes dénoncent les pratiques d’Hollywood, mais sans offrir une solution réelle. Avec Cloud Ten Pictures, nous voulons changer cela." C’est sur ces mots que le président Peter Lalonde a lancé son studio à vocation chrétienne en 1996.

En fait, l’objectif des producteurs dépasse la simple critique d’Hollywood: ils veulent bel et bien attirer les foules avec des films qui portent sur les paroles et les histoires de la Bible. Comment peuvent-ils mener à bien cette tentative d’évangélisation devant la désaffectation patente des gens face à l’Église? La logique est simple: les producteurs se munissent d’un contenant populaire à grand renfort de suspense, d’intrigues et de pétarades (le secret qui attire tant le cinéphile moyen du côté des films hollywoodiens), tout en présentant un contenu religieux plus palpitant que par le passé (grâce à des histoires de fin du monde dans lesquelles des valeurs comme le pardon et la piété sont louangées). Du marketing subtil, quoi.

Solidarité chrétienne
Avec un budget de 17 millions de dollars, les frères Lalonde (des croyants, bien sûr) ont misé gros sur Left Behind. Ils n’ont pas raté leur coup, puisque la sortie en vidéocassette (qui a exceptionnellement précédé la sortie en salle) a entraîné la vente de pas moins de 2,8 millions de copies du film! Pourtant, le résultat s’avère plutôt moche… Quand un film commence sur la réalisation d’une prophétie biblique, se poursuit avec des scènes de pauvres âmes qui se repentent à genoux ("Qu’ai-je fais, mon Dieu? Pardonne-moi!") et se termine par des gens qui prient à l’église pour sauver leurs âmes d’une catastrophe ("Sauve-moi, Seigneur!"): il y a de quoi être sceptique…

Malgré tout, les communautés chrétiennes ont parié sur Left Behind. Elles se sont même liguées derrière l’oeuvre pour assurer son succès. Quelque 700 églises et organisations religieuses ont accordé pas moins de 3000 dollars chacune pour appuyer sa production et sa distribution. Des publicités ont été diffusées dans les feuillets paroissiaux pour annoncer la sortie du film en salle; alors que des communautés ont même incité les fidèles à envoyer des lettres aux propriétaires de salles de cinéma pour leur demander de projeter le film sur leurs écrans. La technique a porté fruit, puisque 1000 salles ont accepté de présenter Left Behind aux États-Unis, du jamais vu pour un film de ce genre.

Le but des producteurs semble atteint: montrer à Hollywood que les films chrétiens valent leur pesant d’or et que les croyants méritent des films à la mesure de leur croyance. Est-ce suffisant pour persuader Hollywood?

Le show-business au paradis
Left Behind ne représente pas le premier film "chrétien" à avoir été produit récemment: il fait partie d’une vaste offensive menée par les groupes religieux. Cloud Ten Pictures a déjà quelques films à son actif: Apocalypse (1997), Revelation (1998) et Tribulation (2000), qui ont tous rapporté environ 12 millions de dollars chacun. De plus, coproducteurs de Left Behind, Namesake Entertainment (compagnie créée également en 1996) se voue aussi à la production de séries télévisées et de films "au contenu acceptable sur le plan de la moralité", comme l’indique leur site Internet.

L’année dernière, le film The Omega Code, avec un budget de 7,5 millions US, a récolté 12,5 millions au box-office, notamment grâce à une histoire de fin du monde qui s’apparente en tout point aux films de catastrophe hollywoodiens. The Omega Code a été produit par Gener8Xion Entertainment, une boîte de Los Angeles fondée par le très célèbre Trinity Broadcasting Network (TBN), qui produit déjà une pléiade de séries télévisées à vocation évangélique. TBN prévoit la sortie prochaine de deux autres films, dont la suite de The Omega Code. Bref, l’entreprise cinématographique chrétienne est florissante.

D’ailleurs, les groupes religieux investissent de plus en plus le monde du show-business, insatisfaits des productions de cette industrie trop peu pieuse à leur goût. Plus que le cinéma, le monde de l’édition connaît bien la valeur du public chrétien. Depuis 1991, les livres à caractère religieux ont plus que doublé leur part de marché. Côté chanson, selon la Christian Music Trade Association, les artistes de musique gospel et chrétienne en général ont totalisé des ventes en hausse constante, passant de 164 millions de dollars en 1990 à… 863 millions en 1998! Bref, la droite religieuse se lance dans une entreprise pieuse, certes, mais surtout lucrative…

Liens sur Left Behind:

Le site officiel du film Left Behind
www.leftbehind.com

Cloud Ten Pictures, producteur de Left Behind
www.cloudtenpictures.com

Namesake Entertainment, coproducteur de Left Behind
www.namesakeentertainment.com

Trinity Broadcasting Network, producteur de films et séries évangéliques
www.tbn.org