Homosexualité dans les écoles : Pas dans ma classe!
Société

Homosexualité dans les écoles : Pas dans ma classe!

Chaque année, les élèves québécois rencontrent des "spécialistes" qui leur parlent de contraception, des drogues, etc. Mais lorsqu’il est question de démystifier l’homosexualité, le milieu scolaire s’érigerait en gardien des valeurs morales et fermerait ses portes à toute intervention. L’exemple du GRIS, à Québec, est révélateur.

À Québec comme à Montréal, on tente d’éveiller les étudiants et les professeurs à la "réalité" homosexuelle. Mais on se frappe à la même barrière: les craintes des parents et des acteurs du réseau de l’éducation.

"Les profs, les directeurs d’écoles et les familles se prennent pour des modèles, dit Luc Pharand, porte-parole du Groupe régional d’intervention sociale (GRIS) de la ville de Québec, un organisme qui tente de faire le tour des écoles afin de démystifier l’homosexualité. Mais est-ce qu’ils en sont vraiment? Des fois, je me demande s’ils sont vraiment responsables…"

Monsieur Pharand rappelle qu’une forte proportion du taux de suicide faramineux enregistré au Québec serait liée à la difficulté d’accepter son orientation sexuelle. Autrement dit: l’adolescence est déjà tumultueuse, alors imaginez pour un jeune découvrant qu’il est gai.

"Il faut absolument qu’il puisse en parler", lance la directrice générale du Centre de prévention du suicide, Claire Garneau, corroborant en partie les dires de monsieur Pharand.

Depuis de nombreuses années, le GRIS tente d’entrer dans les écoles secondaires et les cégeps pour parler de la réalité homosexuelle aux étudiants. Mais presque personne ne le laisserait entrer. "On a beau dire que l’homosexualité a été décriminalisée il y a 30 ans, dans les mentalités, il y a encore beaucoup de résistance, s’insurge Luc Pharand. Il y a eu la haine des Noirs, il y a eu la haine des Juifs, il y a eu le mépris des femmes, mais il y a encore le mépris des homosexuels."

Luc Pharand y aurait goûté durant son passage au secondaire. On lui a tiré une balle à blanc à proximité de son oreille pour "fêter" son dernier jour de classe. Devant des profs! "Les profs sont supposément responsables, dit-il. Mais en pratique, ils laissent aller ça. Ils sont aveugles, muets et sourds face à cette discrimination. Moi, j’appelle ça de l’irresponsabilité."

"Les jeunes ne se tuent pas pour rien. Ça crée une détresse réelle. Ce n’est pas de la fiction. Les statistiques sur le suicide, c’est peut-être des statistiques, mais les jeunes qui sont derrière, ce ne sont pas de simples chiffres."

Le message qu’il leur adresse? "L’homosexualité est normale. L’amour n’a pas de sexe et tous les stéréotypes et les 1 000 heures de conditionnement homophobe auxquelles vous avez pu être soumis, il faut les relativiser." Le tout en une période de cours. "On a 55 minutes pour gagner notre pari."

Une façon de recruter des jeunes?
À quoi peut-on attribuer les résistances observées? "Les profs s’imaginent qu’on enseigne l’homosexualité. Or, l’idée, c’est plutôt de démontrer qu’on s’assume comme adulte et qu’on peut être épanoui, interagir avec les gens et qu’on n’est pas des caricatures de La Cage aux folles."

"Il y a encore des gens qui pensent que si on parle d’homosexualité aux étudiants, on va leur donner des idées, dit Jean-François Hallé, du GRIS de Montréal. Pour eux, on est des pédophiles, ou alors on veut recruter des gens."

Voilà maintenant 10 ans que le GRIS de la métropole tente un rapprochement avec la Commission scolaire de Montréal (CSDM). "On ne sait plus par quel bout les prendre. C’est vraiment difficile. C’est un milieu très, très conservateur et très hermétique."

Histoire d’étayer ses propos, Jean-François Hallé souligne que même la polyvalente située dans le Village gai n’accepte pas de les recevoir! "C’est comme si les écoles s’imaginaient qu’elles avaient le seul et unique micro face aux jeunes. Qu’ils n’écoutent pas la télévision, qu’ils ne vont pas sur Internet et qu’entre la maison et l’école, ils ne font rien."

Qui fait le plus montre d’obstruction? "On sait que ce sont les parents qui sont peut-être les plus conservateurs. Mais je vous dirais aussi que les professeurs qui sont plus "expérimentés" sont souvent plus réfractaires."

Mais il y a maintenant de la lumière au bout du tunnel. Après avoir pris connaissance des données sur le suicide, l’Alliance des professeurs de Montréal aurait contacté le GRIS. Le but? Revendiquer conjointement qu’il y ait de l’éducation sur l’homosexualité dans les écoles de la CSDM.

Justement, à quoi ça peut bien ressembler, un "cours" d’éclaircissement? Un gai et une lesbienne, se présentent en classe, explique la coordonnatrice en démystification du GRIS de Québec, Josée Bilodeau. "Des gens de tous âges, avec du vécu bien clair. Des gens qui sont bien dans leur peau, qui ont assumé leur sortie et qui sont prêts à en parler ouvertement." Aucun exposé magistral. Que des réponses aux interrogations des élèves, généralement de secondaires 4 et 5.

Évidemment, le franc-parler des jeunes est de notoriété publique. Les questions peuvent parfois être directes, mais demeureraient dans les limites de l’acceptable. "C’est très poli. C’est très encadré, on est à l’école!" soutient madame Bilodeau. Elle reconnaît néanmoins que, dans les maisons de jeunes, "c’est plus direct" parce que l’intervenant se retrouve sur leur territoire.

Si la discussion porte sur la sexualité, les intervenants font des parallèles avec les pratiques de conjoints de sexes opposés. "Même dans les couples hétérosexuels, il y a plusieurs façons de faire l’amour. Ça se ressemble beaucoup, énormément", fait-elle valoir.

En définitive, le message tournerait autour de vivre et laisser vivre. D’ailleurs, madame Bilodeau a un exemple fait sur mesure pour les étudiants: "Quand quelque chose ne fait pas leur affaire dans un bar hétérosexuel, ils ne vont pas nécessairement réagir agressivement. Alors, ils n’ont pas à réagir agressivement s’ils reçoivent des avances de quelqu’un du même sexe qu’eux. Juste à dire: "Non, ça ne m’intéresse pas. Ce n’est pas mon trip.""

"Nous, ce qu’on aide à faire, c’est que quand c’est présent dans la tête de quelqu’un, c’est simplement de leur dire: "Regarde, ce n’est pas si dramatique que ça. Malgré tout ce qu’on entend, il y a moyen de bien vivre là-dedans", renchérit Paul Genois, un intervenant qui a visité de nombreuses écoles. Et pour les autres, ceux qui sont hétérosexuels, ce que ça peut leur montrer, c’est qu’on est du monde comme les autres."

"On essaie de diminuer ou d’éliminer le plus possible les préjugés que les gens ont encore sur notre mode de vie. Finalement, on va les voir pour leur expliquer qu’on n’est pas des étranges."

Sensibiliser les profs
Le ministère de la Santé offre aussi une formation sur l’homosexualité. Mais celle-ci s’adresse aux professionnels (profs, intervenants, etc.). "On essaie de faire une percée en milieu scolaire, mais c’est moins évident que dans les hôpitaux", remarque un des "profs" du programme, Pierre Berthelot.

Parrainé par le cégep Maisonneuve, ce programme d’apprentissage est étalé sur trois jours. On y dissèque certains mythes, y fait l’historique de la discrimination et y découvre qu’il n’y a pas deux catégories distinctes de pratiques sexuelles. "Les frontières entre les orientations sexuelles sont beaucoup moins étanches qu’on le pense." Les "élèves" apprennent également à intervenir tant auprès des jeunes qu’auprès des adultes.

Fait étonnant, bien que le cours ait été créé il y a huit ans, ce n’est que depuis un an et demi que des gens s’y inscrivent en nombre tangible. Et qu’est-ce qui les intéresse le plus? "Le défilé gai. Il faut souvent remettre les pendules à l’heure et faire voir que d’abord, c’est une fête, et que les images montrées à la télévision sont les plus accrocheuses."

Pour s’inscrire, il suffit de communiquer avec le responsable de la formation de la Régie régionale de la santé de sa communauté. Dès qu’un groupe de 20 est constitué, les formateurs, un homme et une femme, se déplacent.

Notons en terminant que la situation serait identique pour les GRIS des autres régions du Québec.