"Nous sommes passés dans les dernières années du concept de communauté globale vers une globalisation culturelle. Il ne faut pas perdre de vue que cette promotion de l’uniformité est faite par ceux dont le seul intérêt est la rentabilité."
D’où vient cette réflexion anti-mondialiste? D’une conférence de Michel Chussodovsky? D’un ouvrage de Noam Choamsky?
Elle est tirée du discours prononcé par le chanteur ontarien Bruce Cockburn lors de son intronisation au Canadian Music Hall of Fame durant le Gala des Juno dimanche dernier.
Et quel meilleur endroit, en effet, pour parler d’uniformisation culturelle que cette trentième célébration du pathétique manque d’originalité de la musique canadienne.
Débuté par une avalanche d’allusions à la scène américaine et suivi de près par la parade de deux des membres des N Sync, l’événement s’est terminé comme il avait commencé par l’attribution du trophée de l’album de l’année.
À ceux qui cartonnent le plus de l’autre côté de la frontière, les Barenaked Ladies, cinq braves garçons débonnaires, inoffensifs, ennuyeux et colonisés à souhait qui lèvent la patte comme le Bonhomme Carnaval.
Entre les deux?
Entre les deux, un ramassis de boys bands bleachés à la Nick Carter, si inintéressants que même leurs noms échappent à tout Canadien qui ne se trouve pas entre l’est et l’ouest de Toronto, se sont disputé les horribles trophées avec un troupeau de jeunes fachos tondus d’âge préscolaire dont les prestations scéniques prouvent avec éloquence qu’ils ont moins qu’un verre d’eau tiède entre les deux oreilles. Ces petiots croient faire du rock, mais c’est bien plutôt de l’art conceptuel à grande échelle, éphémère et malodorant comme il en traîne parfois quand on a oublié de tirer la chasse.
Car si selon les spécialistes – et j’abonde -, il existe bien un rock canadien, il se distingue surtout depuis des lustres par sa banalité, sa platitude et sa grossièreté croissante. Trois accords, un rotte de bière, sinon l’inverse, et vous savez à quelle bande de désoeuvrés venus de Thunder Bay ou Hamilton vous avez affaire. Bien sûr, il existe des exceptions: The Tea Party, Our Lady Peace, Matthew Good Band… parfois. De quoi réussir son cours secondaire en copiant sur les doigts d’une seule main.
Ainsi les Moffatts ne seront jamais que la pâle imitation des Hanson. The Tragically Hip, une version alternative de R.E.M., Bryan Adams restera toujours le Bruce Springsteen du pauvre, récrivant éternellement la même chanson d’amour, et les Skydiggers pilleront toujours l’essentiel de leurs harmonies vocales directement chez les Byrds. Il y a autant de raisons d’acheter canadien que de choisir du Cheez Whiz au rayon des fromages importés.
Reste notre rap national pour sauver l’honneur. Des zwippzwippzwipp accompagnés d’un discours urbain si authentiquement canadien qu’il suffirait à faire sortir un orignal du bois. Rien à envier au crétinisme américain. C’est déjà ça. Yo, respect.
Une culture aussi superficielle, étouffée par de lourds voisins, a nécessairement besoin de temps en temps d’oxygène, sinon de respiration artificielle. Après tout, on ne voit pas pourquoi les géants du disque ne devraient pas bénéficier indirectement des généreuses subventions de la branche anglophone de Musication.
Elle devait être contente, Sheila Copps, notre très sexy ministre du Patrimoine (c’est ainsi qu’elle fut présentée), d’entendre en retour la très ravissante Nelly Furtado, grande gagnante de la soirée, évoquer à travers ses origines portugaises bigarrées la formidable diversité nationale et prononcer le mot Canada toutes les trente secondes. Évoquant immanquablement – mais un an plus tard dans les Maritimes – Jennifer Lopez jusque dans sa tenue vestimentaire, Nelly portait une très jolie robe, légère comme un petit chiffon rouge, que n’aurait pas dédaigné Bernard Landry.
Cette propension au clonage, pour ne pas dire au plagiat, s’est propagée jusqu’où on ne l’attendait pas: dans les musiques du monde où les nominés Jane Burnett et Los Cubanosmachinchose en tête ne sont pas capables de piquer autre chose que la très rentable tendance cubaine inauguré par le Buena Vista Social Club.
Pathétique.
Aussi pathétique que la prestation de Burton Cummings et compagnie qui ont confirmé hors de tout doute raisonnable que l’expression "Guess who’s coming back (again) for dinner" était faite sur mesure pour cette bande de pionniers que les outrages du temps ont transformé en beaux-frères obèses et lamentables.
Dans le contexte d’un Canada anglophone dominant outrageusement cette soirée, on n’en voudra pas à ceux qui seraient tentés de marquer au fer rouge de ce racisme francophobe que nos voisins ne se gênent pas pour étaler à chaque changement, le gag de la soirée: il paraît que le petit René-Charles a déjà pris une date avec son gérant. Qu’est-ce qu’on rit…
Et, tant qu’à parler de nos talents francophones, nous avons tous été heureux d’apprendre qu’après des cours d’anglais intensifs, Lara Fabian poursuit son ascension triomphante vers l’aseptisation culturelle internationale.
Car il faut dire que contrairement à ce qui se passera au Sommet des Amériques, en matière de mondialisation culturelle, nous, Québécois, ne nous contentons pas d’un rôle de figurant. Paris, Bruxelles, Genève, Londres, toute l’Europe, et demain le monde nous fait un triomphe. Ça s’entend… nous avons pris les choses en main.