Line Beauchamp : Où sont les femmes?
Société

Line Beauchamp : Où sont les femmes?

Députée de Sauvé (PLQ), LINE BEAUCHAMP est entrée en politique après avoir été directrice générale. de CIBL et de Pro-Est. Selon elle, il est temps que les femmes, surtout les jeunes, prennent la place qui leur revient. Pas seulement en Chambre, mais aussi dans les coulisses… Témoignage d’une jeune politicienne.

Olympe de Gouge, vous connaissez? À l’époque de la Révolution française, elle a rédigé une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne en réaction à la Déclaration des droits de l’homme. Résultat: elle a été guillotinée en 1793. Lorsqu’une femme veut prendre du pouvoir publiquement, c’est à ses risques et périls!

Plus de 200 ans plus tard, les femmes qui, rappelons-le, composent 50,8 % de la population mondiale, ne représentent toujours que 23 % des élus de l’Assemblée nationale du Québec (29 femmes sur 125) et 20 % des élus de la Chambre des communes (62 femmes sur 301).

Pourquoi cette sous-représentation des femmes en politique? Eh bien, nous sommes très occupées ailleurs! Au Québec, une femme sur trois est à la tête d’une famille monoparentale. En 1999, les femmes gagnaient environ 71 cents pour chaque dollar gagné par un homme. Selon l’organisation internationale WIDE (Women in development Europe), les femmes assument 67 % des heures de travail dans le monde, pour 10 % de la rémunération, et elles détiennent 1 % des biens. Les femmes s’activent donc à améliorer leur sort. Elles sont non seulement occupées à concilier travail et famille mais ce sont aussi elles, selon le Conseil du Statut de la femme, qui paient en plus les frais du virage ambulatoire et de la réforme de notre système de santé!

J’ai 38 ans (en politique, on me considère comme une jeune!), et j’avais cinq ans quand la pionnière, madame Claire Kirkland-Casgrain, a fait son entrée à l’Assemblée nationale. J’ai le privilège de siéger avec la première femme nommée ministre des Finances et présidente du Conseil du Trésor, la députée de Saint-François, Monique Gagnon-Tremblay. Faut-il rappeler que, au Québec, l’histoire des femmes en politique est encore toute jeune?

Au moment où nous faisons timidement notre entrée sur la scène politique, une question s’impose: sommes-nous dévouées aux causes difficiles, voire impossibles? On dit souvent que les femmes arrivent dans des postes de pouvoir au moment où il n’y a plus beaucoup d’hommes qui veulent les occuper! Le prestige de la profession politique n’est pas à son zénith, loin de là! C’est pourtant dans ce contexte que les femmes doivent occuper la place. Et c’est important. Je peux témoigner que, de toutes mes expériences professionnelles dans le milieu des communications ou dans des groupes de pression, c’est dans le monde politique que ma parole et mes idées ont le plus de poids.

Il y a aussi d’autres lieux de pouvoir que les femmes n’ont pas encore assez envahis: les tribunes de la presse dans les parlements et l’entourage professionnel des chefs politiques. Cela explique peut-être pourquoi les femmes élues semblent rester sur la sellette plus longtemps que leurs collègues masculins dans les moments de grande controverse. Mais les temps changent lentement: les femmes forment des réseaux de plus en plus forts. Vous devriez voir l’air intrigué (ou inquiet?) de mes collègues masculins quand on leur annonce qu’on a soupé entre femmes députées!

Personnellement, j’apprivoise le pouvoir politique dans l’opposition officielle à Québec depuis novembre 1998. Je suis certaine de vivre une situation complètement différente de celle de mes collègues masculins élus en même temps que moi. Par exemple, plusieurs de mes confrères, qu’ils soient libéraux ou péquistes, jouent au hockey une fois par semaine contre les journalistes de la tribune de la presse à Québec. Ils fraternisent et, après, peuvent déguster une bière pour commenter la partie. Dans des moments difficiles, cela peut être utile de pouvoir appeler un journaliste par son petit nom en lui rappelant en toute amitié son exploit sportif!

Et puis, il y a toute l’importance et tout le poids de l’image en politique qui se vit différemment pour les femmes. En descendant de la tribune où j’avais livré un de mes premiers discours, longuement préparé, le premier commentaire auquel j’ai eu droit, chuchoté dans l’oreille, fut: "Vous avez de beaux bas de nylon, madame Beauchamp!" On dirait qu’il y a encore une impossibilité à correspondre à l’image d’une "femme de pouvoir", c’est-à-dire d’être à la fois femme ET de pouvoir, comme si les deux termes renvoyaient à des images contradictoires…

Je suis personnellement convaincue que notre univers politique changera lorsqu’il y aura un nombre suffisant de femmes élues dans nos institutions démocratiques. Il faut que les femmes envahissent le milieu politique, car cela demeurera toujours un lieu de pouvoir important où la prise de parole compte. Mais j’estime que les femmes auront gagné la vraie bataille lorsqu’il y aura plus de JEUNES femmes en politique. Cela manque cruellement à l’Assemblée nationale ou à la Chambre des communes. Pour cela, il nous faudra être un peu moins conformistes, laisser place à l’audace et à la créativité car, en matière de pouvoir politique, beaucoup reste à inventer par les femmes!

Et, croyez-moi, cela en vaut la peine: c’est encore dans l’univers politique que se dessine, au quotidien, une bonne part du destin des Québécois et des Québécoises.