Médias : Christiane Charette au pilori
Société

Médias : Christiane Charette au pilori

Levée de boucliers dans le petit monde des médias la semaine dernière au lendemain du passage de Bernard Landry, nouveau premier ministre du Québec, à l’émission Christiane Charette en direct, le mercredi 28 février dernier sur Radio-Canada.

Levée de boucliers dans le petit monde des médias la semaine dernière au lendemain du passage de Bernard Landry, nouveau premier ministre du Québec, à l’émission Christiane Charette en direct, le mercredi 28 février dernier sur Radio-Canada.

Pour ceux et celles qui auraient raté ce moment de télévision mémorable, rappelons brièvement les faits: Bernard Landry est l’invité de Christiane Charette. Dehors, des manifestants marchent devant les vitrines du bar du boulevard Saint-Laurent, pancarte à la main. On devine que l’atmosphère est survoltée. Dès les premières secondes, on sent que l’entrevue va mal se passer. L’animatrice n’a visiblement aucune sympathie pour Bernard Landry qui reçoit ses questions (devrait-on dire ses attaques?) avec sa froideur habituelle. Christiane Charette, qui maîtrise habituellement très bien l’art de l’entrevue intelligente et un tantinet déstabilisante, passe du coq à l’âne et lance des affirmations du genre: "Vous êtes venus vous faire du capital de sympathie?"… Rien pour mettre son invité à l’aise, quoi!

Avant la première pause publicitaire, Christiane Charette aborde la vie privée de monsieur Landry et lui parle du fait qu’il est grand-père. Landry riposte en demandant à Christiane Charette si elle a des petits-enfants. Et vlan! Un coup en bas de la ceinture. Monsieur Landry, ce grand homme du monde, sait très bien ce qu’il fait. Devant la réaction outrée de l’animatrice, Landry en rajoute. En parfait démago, il déclare à peu près ceci: "Vous savez, il n’y a rien de honteux à être grand-mère. Je suis certain qu’il y en a parmi vos téléspectatrices…" Et re-vlan.

Bernard Landry n’occupe pas le poste qu’il occupe pour rien. Les politiciens sont des chats de gouttière habitués aux combats de ruelle. Il n’a fait qu’une bouchée de l’animatrice, et il n’y a jamais eu d’échange entre les deux. L’entrevue s’est terminée dans un climat polaire; je crois même avoir vu des stalactites pendre du plafond des Bobards…

Que s’est-il passé? Christiane Charette craignait-elle d’être accusée de complaisance à l’endroit d’un politicien? Voulait-elle éviter à tout prix la cassette habituelle, la langue de bois et la propagande souverainiste de monsieur Landry? (À ce sujet, il a pu se rattraper vendredi soir à 21 h sur les mêmes ondes radio-canadiennes alors qu’il fut confirmé – ou devrait-on dire couronné ou sanctifié? – président du Parti québécois.)

Bref, il n’y a peut-être pas eu d’entrevue mais il y a eu un moment de télé comme on en voit peu. Heureusement que l’émission était en direct.

À lire et à entendre les commentaires qui ont suivi l’entrevue, on peut en conclure que le sexisme dans les médias est toujours bien vivant. Le lendemain matin, René Homier-Roy et Marc Laurendeau de l’émission C’est bien meilleur le matin (sur la première chaîne de la radio de Radio-Canada) y sont allés d’un laïus plutôt paternaliste à l’endroit de leur collègue, lui donnant un petit cours de journalisme et lui rappelant les règles de base d’une bonne entrevue. Aurait-on eu la même attitude à l’endroit d’un collègue masculin? Permettez-moi d’en douter.

Un peu plus tard, à l’émission Indicatif présent, l’animatrice Sophie-Andrée Blondin (qui remplaçait Marie-France Bazzo) bavardait avec les anthropologues Bernard Arcand et Serge Bouchard. Au fil de la discussion, on a insinué que les gens qui travaillent à la télévision passent beaucoup de temps dans les salles de maquillage alors qu’ils devraient utiliser ce temps pour préparer une entrevue… avec un premier ministre, par exemple. Pour la subtilité, on repassera.

Enfin, la cerise sur le sundae est parue dans les pages du Journal de Montréal samedi dernier. Pierre Bourgault, maître ès misogynie, a écrit en parlant de Christiane Charette: "Si je l’avais eue devant moi, je l’aurais frappée." Le lendemain, comme pour mettre un peu d’eau dans son vin, le chroniqueur précisait apprécier le travail de Christiane Charette mais soulignait que le métier d’intervieweur en est un très difficile. Il rappelait à son tour le b.a. – ba d’une bonne entrevue. Décidément, la classe médiatique montréalaise regorge d’aspirants professeurs qui rêvent de partager leur savoir. Bravo!

Cette vague de paternalisme et de condescendance à l’endroit de Christiane Charette rappelle en ce 8 mars qu’il reste encore beaucoup de combats à mener avant d’éliminer les attitudes sexistes à l’endroit des femmes dans les médias. Un animateur qui aurait raté une entrevue aurait-il eu droit au même ton professoral de la part de ses collègues? Voilà un beau sujet de réflexion.

Cette rencontre met en lumière un autre problème: le piège que représente l’entrevue de politiciens dans le cadre d’une émission de variétés.

Depuis que Bill Clinton a joué du saxophone chez Arsenio Hall et que Kim Campbell s’est confiée à Julie Snyder, on voit plus souvent des politiciens participer à ce type d’émissions.

Pour les intervieweurs, ces entrevues sont des catch 22. S’ils sont trop gentils, on les accuse d’être complaisants; mais s’ils sont trop agressifs, l’invité en ressort gagnant car le téléspectateur s’identifiera toujours à la victime. Encore plus si l’intervieweur est une femme, car on n’accepte pas l’agressivité féminine. C’est donc laid!

Les politiciens, eux, sont ambivalents face aux émissions de divertissement. D’un côté, ils sont sur leurs gardes, car il s’agit d’un terrain glissant et d’un contexte peu familier; de l’autre, ils aiment bien pouvoir dévoiler le côté plus humain de leur personnalité.

On devrait se poser la question suivante: comment se fait-il que les politiciens aient besoin d’être invités à une émission de variétés pour dévoiler aux téléspectateurs leur côté humain? Il y a quelque chose qui ne tourne définitivement pas rond dans notre système politique pour que le public ait l’impression d’être gouverné par des gens sans humanité, non?

Au fond, ce n’est pas aux médias de faire la job de bras pour nous convaincre que les politiciens sont AUSSI des êtres humains chaleureux et remplis d’émotions. C’est aux politiciens de nous démontrer, dans leur travail quotidien, qu’ils sont aussi des êtres humains. Mais ça, c’est une autre histoire.