

Nouveaux médias : Rotten.comComputers, Freedom and PrivacyLibération et la Fête
Carlos Soldevila
C’est franchement dégueulasse. Sans doute le site le plus dégoûtant du Web. Mais Rotten.com (lire: Pourri.com) dépasse-t-il les bornes? Cadavres humains en décomposition, visages humains déchiquetés et, tout récemment, un homme qui s’apprête à manger un foetus humain frit. "Tout comme chez les humains, l’infanticide est commun dans le règne animal, peut-on lire sur Rotten.com. Et cet acte est souvent suivi par l’infantphagie, le fait de manger des bébés. Les cas de chimpanzés dévorant leurs petits sont bien documentés. Bien manger, après tout, c’est bien manger."
Présentant leur matériel avec la réelle (et unique) intention de choquer, les responsables de Rotten.com s’abreuvent de correspondants anonymes dispersés à travers le monde. Si cette photo d’un homme dévorant un foetus humain est peut-être truquée (on l’espère), il n’en demeure pas moins qu’elle fait surgir un vieux débat concernant les limites de la liberté d’expression sur le Net. Peut-on afficher impunément quoi que ce soit sur le Web?
Pour Soylent, le pseudonyme de celui qui dirige Rotten.com, afficher des photographies de corps pleins de pustules, de corps brûlés, de corps criblés de balles, de testicules atrocement infectés, de mains et de bras arrachés, c’est une question de droit. Et de liberté. Dans son manifeste, repris en partie dans un article sur le sujet publié dans Salon www.salon.com, Soylent prétend que Rotten.com sert à démontrer que la censure d’Internet est impraticable, non éthique, et tout simplement mauvaise. "Si l’on censure ce site, affirme-t-il, il faudrait censurer des textes médicaux, des textes d’histoire, les palais de justice et les preuves qu’on y soumet; les musées d’art, les bibliothèques et toutes les sources d’information utiles au bon fonctionnement d’une société libre."
Commencé comme une blague en 1996, Rotten.com attire plus de 200 000 personnes par jour. Comme quoi le mauvais goût a son public. Et selon Soylent, son site, plusieurs fois menacé de fermeture aux États-Unis, n’est ni meilleur ni pire que ce que le commun des mortels peut trouver en bibliothèque ou voir à la télévision. "Si vous regardez Discovery Channel ou The Learning Channel, vous y voyez des photos de morts et des cadavres de personnages célèbres, soutient Soylent. Les horreurs sont présentes tout au long d’une vie, et je ne vois aucun problème à les concentrer (sur un site). Si vous voulez, nous pouvons aller à la librairie du coin, et nous y trouverons des photos de cadavres. On ne peut tout simplement pas écrire une loi pour empêcher la diffusion de ce type de matériel, même pour les enfants. Ce serait une pente trop glissante à emprunter."
Et si je vous disais que je suis d’accord avec ce provocateur masqué? Et si l’on ne pouvait plus montrer les images de l’Holocauste? Et si l’on ne pouvait plus montrer les ecchymoses sur le corps de Lizotte, tabassé à mort par la police sur la Main?
Computers, Freedom and Privacy
Les limites du Net, et de la liberté qu’on peut y exercer, font d’ailleurs l’objet d’une conférence incontournable. Cette semaine, du 6 au 9 mars, se déroule ainsi à Boston la conférence annuelle intitulée Computers, Freedom and Privacy. On y reçoit des représentants de différents secteurs impliqués dans le développement d’Internet: des gens du gouvernement, du monde de l’éducation, de l’industrie, mais aussi des hackers, des programmeurs et, bien sûr, un bon lot d’activistes. Faute de pouvoir vous y rendre, leur site Web www.cfp2001.org propose une bonne dose d’information sur les thématiques qui y seront abordées, de l’impact des caméras cachés lors du Super Bowl jusqu’aux impacts des codes de programmation très pointus sur notre vie privée sur le Net. Un forum www.cfpdot.org vous propose d’ailleurs de participer virtuellement à l’événement.
On y remettra également les traditionnels US Big Brother Awards, des prix récompensant ceux qui enfreignent la liberté d’expression et la protection de la vie privée sur le Net, dans les catégories suivantes: Pire fonctionnaire ou organisation gouvernementale, Pire entreprise, et Pire projet, pour ne nommer que ceux-là.
L’Electronic Frontier Foundation (EFF), un organisme de défense de la liberté d’expression et de la vie privée sur le Net, y remettra aussi ses prix honorifiques www.eff.org. Parmi les trois lauréats de cette année, on retrouve d’ailleurs la Canadienne Stéphanie Perrin, une experte reconnue internationalement dans les affaires liées à la protection de la vie privée et à la liberté d’expression. En plus de travailler pour le développement d’une loi de la protection privée au Canada, Stéphanie Perrin a oeuvré pendant plusieurs années au sein de l’OCDE. Elle travaille aujourd’hui, entre autres, pour la multinationale Compaq.
On le comprendra, avec tous les assauts à la liberté d’expression sur le Net (autant par ceux qui semblent en abuser que par ceux qui tentent de la bâillonner), le rôle de l’EFF n’aura jamais été aussi crucial. Et c’est pourquoi je vous promets pour la semaine prochaine une entrevue avec le nouveau porte-parole de l’EFF… s’il a réussi à sortir indemne de la superbe tempête de neige qui s’est abattue sur Boston cette semaine.
Libération et la Fête
La Fête d’Internet, lancée il y a quelques années en France pour promouvoir l’usage d’Internet, a poussé le quotidien Libération à lancer un dossier sur les cent personnalités qui marquent le plus le Net hexagonal www.liberation.fr/multi/trombinet. Ce palmarès, qui propose des portraits de personnalités venant autant des milieux économiques que culturels, s’avère un excellent outil pour la découverte de ce qui se fait de mieux chez nos cousins, de plus en plus versés dans le virtuel. On leur rend la pareille l’an prochain?