

Nouveaux médias : Expressions de la liberté
Pour ses défenseurs les plus radicaux, la liberté d’expression sur le Net n’a tout simplement pas de limites. Le Net devrait-il être libre de toute censure, même dans le cas de sites diffusant des images violentes ou de la pornographie infantile?
Carlos Soldevila
Pour ses défenseurs les plus radicaux, la liberté d’expression sur le Net n’a tout simplement pas de limites. Le Net devrait-il être libre de toute censure, même dans le cas de sites diffusant des images violentes ou de la pornographie infantile? C’est ce que nous avons demandé à Will Doherty, activiste en ligne pour l’Electronic Frontier Foundation www.eff.org, un prestigieux organisme américain de défense de la vie privée et de la liberté d’expression dans le domaine des nouvelles technologies de l’information. En plus de son rôle à l’EFF, Doherty est fondateur et directeur de Privacy Online Group www.onlinepolicy.org. Première d’une série de deux entrevues.
La défense de la liberté d’expression sur le Net passe-elle aussi par la défense de contenus obscènes?
L’EFF a une approche fondée sur la liberté d’expression et de distribution d’information sur le Net. Selon la loi américaine, certains contenus (pornographie infantile, violence extrême, obscénité) sont illégaux sur le Net. Cependant, il est difficile de définir ce qui est véritablement obscène, ou encore ce qui constitue de la pornographie infantile. Un juge de la Cour suprême a déjà dit qu’il était incapable de décrire ce qui constituait un contenu obscène, mais qu’il savait le reconnaître lorsqu’il en voyait!
L’EFF n’entend pas départager ce qui est obscène de ce qui ne l’est pas; c’est pourquoi nous nous appuyons sur les différentes cours américaines pour établir de tels jugements. À l’exception des contenus qui ont été légalement reconnus comme obscènes ou comme étant de la pornographie infantile, nous appuyons la liberté de distribution de tous les contenus sur le Net.
Pourtant, c’est facile de reconnaître de la pornographie infantile sur le Web!
La photo d’un enfant nu, est-ce que c’est de la pornographie infantile? Si oui, la plupart des parents devraient être poursuivis en justice. Pour moi, la question la plus importante est de savoir si un enfant a été molesté dans la production de ce type de contenu. Les enfants ne sont pas aptes à consentir à la production de ce type de contenu. C’est pourquoi je m’oppose, d’un point de vue personnel, à la production de toute pornographie infantile. Mais que ce matériel soit distribué ou pas relève d’un autre ordre d’idées. Même si la distribution de ces contenus est interdite aux États-Unis et au Canada, on pourrait argumenter en disant qu’il faudrait plutôt régir la conduite des producteurs de pornographie infantile, et non pas la distribution de ces contenus.
Est-il nécessaire, pour défendre la liberté d’expression, d’avoir une position aussi radicale?
Je ne crois pas que notre position soit radicale! Elle est enracinée dans la Constitution américaine. Certains contenus choquants à mes yeux peuvent être parfaitement acceptables pour d’autres. Dites-moi: qui peut être l’arbitre ultime de ce qui devrait être considéré ou non comme étant approprié?
Qui sont les principaux ennemis de la liberté d’expression sur le Net aux États-Unis?
Certaines lois du Congrès américain nous préoccupent beaucoup, surtout le Children Internet Protection Act, signé par Bill Clinton le 21 décembre dernier. Selon cette loi, toute école ou bibliothèque participant à un ou plusieurs programmes fédéraux devra installer des technologies pour bloquer certains contenus sur le Net (comme la pornographie, les contenus obscènes et les contenus pouvant nuire aux mineurs). Mais cette loi permet aussi aux écoles d’utiliser ces technologies pour bloquer d’autres contenus qu’elles jugent inappropriés pour les enfants.
Et il y a plein de problèmes avec ces technologies: elles ne bloquent pas tous les contenus qui devraient être bloqués; et elles en bloquent d’autres qui ne devraient pas l’être! Il est d’ailleurs prouvé que l’application de ces technologies est discriminatoire. Par exemple, elles bloquent plus de sites provenant du Parti démocratique que de sites du Parti républicain; elles bloquent des sites sur le droit à l’avortement; des sites sur les gais et lesbiennes; des sites de la communauté transsexuelle, pour ne nommer que ceux-là.
Cependant, les parents demandent à ce que leurs enfants soient protégés de l’exposition à certains contenus…
Nous croyons que l’éducation des jeunes, des profs et des parents est la meilleure façon d’aider les enfants à maîtriser Internet. Il faut créer un environnement sain pour les enfants, et non pas utiliser des technologies qui bloquent des contenus protégés par la constitution américaine. C’est tout simplement discriminatoire. Plusieurs personnes croient qu’une simple exposition à des contenus pornographiques causera des torts irréparables chez l’enfant. C’est faux; ce qui est dangereux, c’est l’exposition répétée et compulsive à ce type de contenu. Et dans des cas semblables, les parents et les profs devraient être en mesure de détecter et de régler ces problèmes de comportement.
Pourquoi le Net devrait-il être régi différemment des autres médias?
Le Net est porteur d’une promesse: que tous les contenus puissent être accessibles partout à travers le monde, et que tous puissent participer à la création d’information et de contenu. La télé et les journaux sont contrôlés parce qu’ils nécessitent de grands investissements. Mais d’autres médias, comme le téléphone, sont plus libres: on ne régit par les contenus des conversations téléphoniques!
Chaque technologie a ses caractéristiques propres; et c’est pourquoi les lois devraient être conçues en fonction de ces caractéristiques. Il faut cependant comprendre qu’Internet est une technologie encore très jeune, et savoir que les sociétés sont toujours préoccupées par l’arrivée de nouvelles technologies de communication. Les craintes liées à Internet, comme celles liées à la radio et à la télévision au moment de leur apparition, devraient s’estomper graduellement avec le temps.
Êtes-vous optimiste quant à l’avenir de la liberté d’expression sur le Net?
John Gilmore, l’un des fondateurs de l’EFF, a dit déjà qu’"Internet perçoit la censure comme des torts qu’on lui fait subir, et trouve toujours des moyens pour la contourner". Prenez le cas de Napster: à la suite du récent jugement, Napster doit trouver un moyen d’empêcher la distribution de contenus protégés par des copyrights. Mais quoi que Napster fasse, les utilisateurs trouveront des moyens de contourner ces interdictions! Les utilisateurs ont déjà recours à certains subterfuges pour modifier les noms des fichiers musicaux interdits de distribution de façon à ce que vous puissiez reconnaître qu’il s’agit de telle ou telle chanson, même si elle porte un titre différent. On finit toujours par contourner la censure. C’est la force du Net.
La semaine prochaine: la vie privée sur le Net.