Condom invisible : Protection rapprochée
Société

Condom invisible : Protection rapprochée

On entend parler depuis quelque temps de la commercialisation à venir du condom invisible pour femmes. Développé à Québec, il serait bien plus qu’un simple contraceptif ajouté sur le marché; il pourrait s’avérer le premier moyen permettant à la femme de se protéger de façon entièrement autonome contre les MTS. Un pas de plus vers ce qu’il est convenu d’appeler l’égalité des sexes.

N’en déplaise à Jean-Paul II et autres catholiques orthodoxes, la contraception est une réalité sociale depuis des lunes. Évidemment, les connaissances scientifiques n’ayant pas toujours été ce qu’elles sont, l’aspect magico-mythique occupa longtemps une place importante en la matière. Ainsi, durant le règne de l’empereur romain Hadrien (117-138), on recommandait aux femmes, afin d’éviter la conception, de courir, de tousser et même de ne plus respirer! Au Moyen Âge, le philosophe Albert Le Grand soutenait sans sourciller que les femmes qui ne voulaient pas enfanter devaient cracher trois fois dans la bouche d’un crapaud, manger des abeilles ou garder du blé dans la main gauche. On était encore bien loin de la pensée rationnelle et scientifique consacrée au cours des XVIIe et XVIIIe siècles…

Tout pragmatisme n’était cependant pas absent. Des papyrus égyptiens vieux de 4 000 ans témoignent qu’à cette époque, on insérait des excréments de crocodiles ou d’éléphants au fond du vagin des femmes, qui jouaient le rôle de spermicides à cause de leur acidité. Dans l’Antiquité grecque et romaine, de petits tampons faits de toile, de figues, de cèdre et de miel avaient la même fonction, tandis qu’en Inde, ceux-ci étaient faits de sels minéraux imbibés d’huile. À partir du XVIIe siècle, les spermicides à base d’eau et de vinaigre faisaient leur apparition. Au XVIIIe siècle, les Européennes s’introduisaient un morceau de citron près du col de l’utérus; l’acidité de l’agrume faisait le travail.

Les XIXe et XXe siècles voyaient les techniques s’affiner. En 1838, l’Allemand Wilde inventait le premier véritable diaphragme. Le médecin berlinois Gräfenberg créait en 1928 le stérilet moderne. Finalement, l’année 1956 voyait Pincus inventer les premiers contraceptifs oraux.

Contraception et protection
Si certaines de ces techniques utilisées à travers les âges font sourire et que l’on devine que leur efficacité était très variable, elles ont toutes en commun de n’avoir jamais su protéger la femme contre les diverses maladies. C’est cette déficience qu’a voulu pallier le Dr Michel G. Bergeron qui dirige le Centre de recherche en infectiologie du CHUL, le premier au pays, à l’amorce du projet de condom invisible il y a sept ans. L’objectif n’est donc pas tant de mettre sur le marché un nouveau contraceptif, mais bien de poursuivre la lutte contre le SIDA et les autres MTS en empêchant leur propagation à la source, par le biais d’un préservatif féminin ayant une efficacité comparable à celle du condom classique, tout en comblant les lacunes de sa sous-utilisation. Parce que si le VIH, selon certains indicateurs, fait moins de victimes en Occident depuis l’apparition de la trithérapie en 1996, il continue de faire des ravages au tiers-monde où cette thérapie demeure inabordable dans la plupart des pays. Par exemple, en Afrique subsaharienne, on dénombre 2 400 000 décès pour la seule année 2000… et 25 millions de personnes infectées.

Pour André Désormeaux, docteur en biophysique et membre de l’équipe du Dr Bergeron, le condom invisible est porteur de très beaux espoirs. "Constatant que les femmes doivent très souvent négocier l’utilisation du condom, on a voulu créer un produit qui leur permettrait de se protéger de façon indépendante. Nous avons ainsi mis au point un gel thermoréversible, spermicide et microbicide (incolore et inodore), liquide à la température de la pièce mais qui se gélifie au contact des muqueuses vaginales. Un applicateur spécial permettra de libérer le produit de façon uniforme en couvrant non seulement le col de l’utérus, mais aussi toute la surface du vagin, optimisant la protection contre les maladies. Une formule gélifiée, tout aussi efficace, sera également disponible. Cette variante vise surtout le marché africain. Tout comme dans le cas du condom pour hommes, on en fera une seule utilisation et la femme l’appliquera juste avant la relation sexuelle. Le but est d’offrir une barrière tant physique que chimique contre les spermatozoïdes et les pathogènes, le VIH en particulier."

L’équipe entreprendra sous peu des essais cliniques en trois phases visant à tester la sécurité et l’efficacité du produit. "Lors de la première phase au CHUL, 60 femmes testeront l’acceptabilité et la toxicité du produit. Les deuxième et troisième phases mesureront la toxicité et l’efficacité du produit sur une plus grande échelle, dans plusieurs pays et avec un groupe élargi. Ce sera l’occasion d’effectuer les tests de l’herpès et du VIH entre autres; des critères éthiques et un protocole très serré devront cette fois être respectés. Nous sommes très optimistes car lors des essais sur des souris auxquelles nous avons injecté le virus de l’herpès, celles qui avaient reçu le gel sont demeurées saines, alors que les autres ont été infectées. Pour le VIH, on a des données in vitro qui démontrent que le gel microbicide est efficace contre le virus. Pour ce qui est de la toxicité, de multiples études ont fait la preuve que le produit est bien toléré chez les animaux."

Mise en marché
Selon Josée Fortin, présidente et chef de direction chez Gealth Prevention, entreprise responsable de la fabrication et de la mise en marché du produit, il existe une demande bien réelle pour le condom invisible. "Le besoin est là car les femmes n’ont pas de moyen propre afin de se protéger et sont, en un sens, dépendantes des hommes. L’utilisation du condom masculin passe de 63 % chez les 14 à 19 ans à 15 % chez les 45-49. Bien qu’il y ait plusieurs facteurs d’explication, le fait demeure que le condom classique s’adresse à l’homme avant tout. Si tout va bien, le produit, qui aura la même diffusion que le condom masculin et se vendra au même prix, devrait être disponible vers la fin de 2003."

La mise en place d’un plan d’affaires et la recherche de financement constituent les principaux mandats dévolus à Mme Fortin; le second est particulièrement critique. "Les trois phases d’essais cliniques coûteront très cher. L’alliance des microbicides évalue qu’avant de mettre un produit comme celui-là sur le marché, on doit injecter entre 40 et 50 millions de dollars. Mais nous sommes confiants de pouvoir couvrir les frais, nous bénéficions en ce moment du support d’Innovatech qui a injecté 650 000 $ et qui montre de l’intérêt afin d’investir des sommes additionnelles. Nous sommes aussi en négociations avec d’autres entreprises afin de compléter le financement du projet."

Gealth Prevention envisage de mettre le produit en vente graduellement sur le marché mondial. Les pays d’Afrique noire aux prises avec de graves problèmes de santé publique pourraient y trouver une planche de salut. Il y a cependant des étapes à respecter. "Du moment où on aura fait la preuve que le produit est efficace, qu’il est sans risque pour la santé et ne cause pas d’irritation, il pourrait être révolutionnaire et avoir une large diffusion. La mise en marché devrait se faire en premier lieu au Canada et en Europe car le système de normalisation est comparable. Puis, ce seraient les États-Unis où il est plus long d’obtenir une licence de la Food and Drug Administration. Ensuite viendraient l’Asie, l’Amérique du Sud et l’Afrique. Dans ce dernier cas, la mise en marché serait différente. On ferait affaire avec des institutions comme l’Organisation mondiale de la santé, qui donneraient le produit aux populations qui ne peuvent se l’offrir."

Et l’érotisme?
De l’avis de la sexologue Francine Téssier, l’idée est très intéressante, mais on doit demeurer prudent et attendre les résultats des tests cliniques. "Cela pourrait s’avérer extraordinaire et j’ai l’impression que les femmes aimeront l’utiliser, elles pourraient se sentir plus en contrôle, mais en pratique, il y a encore beaucoup d’inconnues. L’efficacité devra être aussi élevée que celle du condom classique, qui est de 95 % avec un spermicide, car il suffit d’un spermatozoïde ou d’un pathogène et tout bascule. Le gel couvrira-t-il toujours toute la surface vaginale? On sait que pour des raisons physiologiques, les femmes ont trois fois plus de chances de contracter une MTS que les hommes lors de relations avec un partenaire infecté; l’enjeu est donc élevé."

Les contraintes que pourrait poser le produit sur le plan de la dimension érotique et des jeux sexuels interpellent également madame Téssier: "On ne doit pas se leurrer, il y a beaucoup de variantes au niveau des relations sexuelles; est-ce que le gel viendra perturber l’amour oral, par exemple, si le pénis est tout englué? Est-ce que cela pourrait nuire à la lubrification vaginale? Est-ce que cela la remplacera? Ce n’est pas si simple. En un mot, le produit conviendra-t-il à ceux et celles voulant autre chose qu’une relation très classique?"