

Débris dans l’espace : La poubelle du monde
Les ingénieurs de la NASA doivent désormais considérer un nouveau paramètre lors de la planification des vols de la navette spatiale: des débris de toutes sortes en orbite autour de la planète sont susceptibles d’entrer en collision fatale avec la navette.
Alexis de Gheldere
L’espace. Ce seul mot suffit à nous mettre en tête des images de néant infini. Une fois sorti de l’orbite de la Terre, c’est effectivement le noir et la désolation qui prévalent.
Mais l’accès vers l’espace est de plus en plus encombré. En effet, des milliers d’objets issus de missions passées flottent autour de la planète à des altitudes variables et à des vitesses vertigineuses, entraînant un risque supplémentaire pour les nouvelles missions.
Depuis les débuts de leurs programmes spatiaux respectifs, les États-Unis et l’ex-URSS ont réalisé plus de 4000 missions dans l’espace. Les restes de ces missions (satellites désuets, fusées de transport, composantes scientifiques de toutes sortes et même jusqu’à un gant échappé par un cosmonaute) se sont peu à peu accumulés autour de la Terre. "Les Russes et nous avons placé des objets là-haut pendant plus de 30 ans, et ils sont exactement là où nous les avons laissés", constate Nicholas Johnson, responsable du programme des débris orbitaux à la NASA.
Au fil des ans, certains de ces débris sont avalés par l’attraction terrestre. Ils franchissent l’atmosphère, où ils se consument et disparaissent. Mais on peut parfois compter jusqu’à plusieurs dizaines d’années avant que l’atmosphère ne dispose de ces déchets. De plus, les débris situés dans les orbites plus éloignées ne seront vraisemblablement rattrapés par l’atmosphère qu’après plusieurs siècles, voire quelques millénaires.
Débris sous écoute
Des radars qui servaient jadis, pendant les pires années de la guerre froide, à détecter la présence de missiles soviétiques ont aujourd’hui changé de vocation. "Actuellement, indique Nicholas Johnson, le US Space Command suit la trajectoire d’environ 10 000 objets en orbite autour de la Terre." Ce réseau transmet les informations à la NASA qui s’assure ensuite que le plan de vol de la navette lui permette de se faufiler entre deux débris.
Mais le US Space Command ne peut détecter que les débris de plus de 10 cm de diamètre. Or, l’orbite terrestre contiendrait pas moins de 100 000 objets de moins de 10 cm. "Pour la plupart des engins spatiaux, l’impact causé par la rencontre d’un objet d’un seul centimètre pourrait être très sérieux, commente Nicholas Johnson. Les vols habités impliquent des engins plus grands. Donc, le risque d’être touché par un débris orbital d’importance augmente."
Des boulons et d’autres pièces de métal déchiquetées provenant d’explosions dans l’espace composent la majorité de ces débris. Même si beaucoup d’entre eux sont plus petits qu’une balle de tennis, ils demeurent extrêmement dangereux. En effet, la vitesse des objets en orbite avoisine les 30 000 km/h et rend toute rencontre avec une tierce partie indésirable, voire fatale. Au moins deux ou trois fois par année, un satellite ou une vieille fusée explosent dans l’espace et créent un nuage de débris supplémentaires dans l’orbite de la planète. De plus, la NASA évalue que pour chaque engin spatial en orbite, il y en a trois qui ne fonctionnent plus et qui continuent de flotter autour du globe.
Par ailleurs, chaque fois que la navette spatiale revient d’une mission, des hublots doivent être remplacés parce que des débris microscopiques les ont considérablement grugés. La NASA va jusqu’à modifier l’angle de la navette en orbite, lui mettant l’arrière vers l’avant et le dessous vers le dessus, de manière à protéger l’habitacle et les sections plus vulnérables.
Un rapport du US National Research Council publié en 1997 met en garde contre les dangers de la pollution de l’orbite terrestre. Ledit rapport conclut logiquement que la meilleure stratégie pour faire face au problème des débris, c’est de limiter le nombre de satellites envoyés en orbite, nombre qui s’élève à une centaine par année.
Selon Nicholas Johnson, il faudrait regrouper les sources de débris dans des orbites où ils seraient inoffensifs. C’est aussi l’avis exprimé dans le rapport du US National Research Council, qui propose de créer des orbites spécifiques réservés aux satellites à la fin de leur vie utile, de manière à limiter les dangers de collision et l’accroissement des débris. Bref, créer des orbites-cimetières (voir encadré)!
Mais cette solution ne plaît pas à tous, particulièrement à l’entreprise privée, responsable de près de la moitié des satellites envoyés chaque année. "Se livrer à des activités dans l’espace est coûteux, remarque Molly Macauley, chercheuse spécialiste des politiques spatiales pour Ressources for the Future, une organisation sans but lucratif dédiée à l’étude des ressources naturelles et des questions environnementales. Il faut trouver des solutions qui n’augmenteront pas trop la facture des compagnies."
Car l’espace n’appartient plus qu’à l’armée ou aux chercheurs: les compagnies de télécommunications veulent aussi avoir leur mot à dire. Les orbites de faible altitude leur sont très précieuses car elles permettent de transmettre un signal aux téléphones portables. "L’industrie a intérêt à conserver ces orbites disponibles", raconte Nicholas Johnson.
Un trou noir légal
La loi internationale a-t-elle prévu une clause relativement à la pollution spatiale? Pas encore. "Toutes les agences spatiales du monde disposent de principes qu’elles appliquent et recommandent aux entreprises privées", dit Johnson.
"Dans un certains sens, l’espace ressemble beaucoup aux océans, fait remarquer Molly Macauley, Nous avons des lois qui régissent les déversements dans les océans. Malheureusement, ce ne sont pas tous les pays qui respectent ces lois. Nous pouvons faire la même chose avec l’espace: nous pouvons encourager les gens à respecter certaines lois. Ce n’est pas tout le monde qui s’y conformera et il y aura des accidents, mais ce sera très embarrassant pour les pays qui seront tenus responsables d’une catastrophe majeure."
Le Comité sur l’usage pacifique de l’espace (COPUOS), sous la juridiction de l’ONU, a étudié la question des débris dans l’espace. Consultant du comité, Nicholas Johnson explique que les recommandations de l’organisme favorisent également l’établissement d’orbites-cimetières où les engins désuets ne causeraient aucun tort. "Comme ce sont des recommandations, dit-il, il s’agit de mesures auxquelles les intervenants sont invités à se plier. Mais ce ne sont pas des lois rigides et explicites."
Bref, il faut se fier à la bonne volonté des agences spatiales nationales pour imposer des mesures comme les orbites-cimetières afin de freiner l’accroissement de débris autour de la planète. Mais comme l’explique Molly Macauley: "Habituellement, c’est à la suite d’un événement catastrophique que les législateurs agissent."
Pour l’instant, moins de la moitié des satellites envoyés en orbite chaque année finissent leur vie dans des orbites-cimetières. Le reste hante les couloirs de l’espace.
Liens les débris dans l’espace:
Reportage dans la revue The Atlantic:
www.theatlantic.com
Les débris causent-ils des maladies?
www.observer.co.uk
Surveiller les débris:
octopus.gma.org
Collision avec un satellite évitée de justesse:
www.cnn.com
Comment éviter les débris lorsque vous naviguez dans l’espace:
www.spaceviews.com
Des fusées qui tombent au sol:
www.abcnews.go.com
NASA:
www.nasa.gov/
Orbites cimetières
Il y a deux types d’orbites principaux où l’on trouve des satellites et des débris. Celle de faible altitude (moins de 2000 km) s’appelle LEO (Low Earth Orbit). Quant à la GEO (Geosynchronous Orbit), il s’agit d’une orbite où les satellites tournent à la même vitesse que la Terre. Leur altitude correspond à environ 36 000 km, soit un dixième de la distance qui sépare la Terre de la Lune.
Les satellites qui peuplent la LEO transportent du matériel scientifique servant à évaluer les changements météorologiques et relaient des signaux pour les téléphones cellulaires. Ceux qui se trouvent dans la GEO transmettent les signaux captés par votre téléviseur. Les missions spatiales habitées voyagent dans la LEO.
Même si réduire le nombre de satellites se révèle la solution idéale au problème des débris, des solutions secondaires existent. La plus répandue consisterait à créer des orbites-cimetières réservées aux satellites désuets. Juste avant de rendre l’âme, les satellites de la LEO iraient dans une zone réservée. Ils finiraient par se désintégrer lors de leur passage dans l’atmosphère (passage qui ne pourrait avoir lieu que 25 ans plus tard). Quant aux satellites de la GEO, ils grimperaient d’au moins 300 mètres avant d’arrêter de fonctionner. Une fois parvenus à cette orbite, ils ne dérangeraient plus personne.
Toutefois, conserver du carburant afin de déplacer les satellites dans une zone orbitale qui leur serait exclusive va à l’encontre de la pensée économique. En effet, ce carburant pourrait prolonger la vie du satellite pendant quelques mois supplémentaires. Encore et toujours, l’argent qui s’accumule dans le portefeuille est une drogue beaucoup plus puissante que celle du développement durable.
Satellites consignés?
Afin de contrer le problème des débris orbitaux, Molly Macauley, de l’organisme Ressources for the Future, a émis une proposition originale. Chaque compagnie qui lance un satellite devrait payer un dépôt, exactement comme lorsque vous achetez votre caisse de 24. Vous rapportez les bouteilles vides après avoir bu leur contenu et vous récupérez vos 2,40 $. De même, vous placez votre satellite dans une orbite-cimetière à la fin de sa vie utile et vous récupérez votre dépôt. "Si vous échouez à montrer que votre satellite a modifié son orbite à la fin de sa vie utile, alors vous perdez votre dépôt. Celui-ci est réinvesti dans un fonds qui viendra en aide aux autres satellites, lorsque ceux-ci entreront en collision avec des débris." Pour l’instant, la proposition de Molly Macauley est à l’étude.