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Droit de cité : Réplique au critique
Éric Grenier
Si j’étais vous, ami lecteur, je serais perplexe, voire un brin fourré. Il y a deux semaines, je dénonçais à quel point le pouvoir de Montréal était inféodé à celui de Québec. Victime d’une curatelle éloignée, tel un piètre département d’outre-mer, Montréal n’avait rien à dire sur rien. Des ministres de Joliette ou de Chicoutimi avaient la main plus haute sur le développement de Montréal que les Montréalais eux-mêmes.
La semaine suivante, trois collègues de ce véritable empire multirégional qu’est devenu Communications Voir, issus donc "des régions", faisaient une démonstration sophistique du contraire. Montréal est une brute qui siphonne le reste du Québec de ses talents, de ses richesses et de sa vitalité. Tout est à Montréal, tout est pour Montréal, tout est de Montréal. Elle pratiquerait, pour citer Éric-Olivier Dallard, le rédacteur en chef de Voir Outaouais, un maraudage affolant, vampirisant les régions.
Ce n’est pas d’hier que le Québec a maille à partir avec sa métropole. Ce n’est tellement pas d’hier qu’à l’époque, le Québec n’existait pas. Ni même le Canada, encore moins Montréal.
Il faut remonter au temps de monseigneur de Laval, du sieur de Maisonneuve et de Jean Talon. Québec, gardienne de la colonie et majordome du pouvoir colonialiste, tournée vers la France et son royaume ecclésiastique, la bonne curie romaine; et Ville-Marie, le regard pointant vers le centre du continent, pour le commerce, la traite et l’aventure, terre de batifolage entre colons et sauvages. Depuis, le Canada français n’a jamais compris sa métropole; plus tard, ce sera le Québec.
À intervalles réguliers, les régions sortent en ville pour mieux la détester, et évoquent les mêmes vieux clichés, qui n’ont guère évolué en 200 ans: les Anglais, les ghettos ethniques, les logements hors de prix, les bouchons de circulation, la pollution, la violence, le manque de foi (il y a 200 ans, envers le catholicisme; aujourd’hui, envers la cause nationaliste).
(Ça m’a fait rire quand les trois collègues ont dénoncé les logements hors de prix de Montréal. Où ça? Montréal est un HLM à comparer avec les villes de son rang. Certes, quand on vient de Trois-Rivières, ville qui présente le record du logement le moins cher au Canada selon Statistique Canada – même à Moose Jaw et Thunder Bay, c’est plus cher! -, un 4 et demi à 500 dollars, ça fait sursauter.)
Le Québec n’a jamais compris sa métropole. Lorsque des Québécois des régions migrent vers Montréal, ils démontrent les mêmes réflexes qu’un immigrant du Viêt Nam ou du Chili, signe révélateur qu’ils se sentent étrangers à Montréal. Comme ces derniers, l’Abitibien descend à Montréal pour des raisons économiques. Comme le Chilien, il débarque souvent pour la première fois chez un cousin ou une cousine. Ils conservent une nostalgie du pays, en se regroupant avec leurs semblables.
Si, si, il y a une diaspora abitibienne, gaspésienne ou saguenéenne au même titre qu’il y a la diaspora salvadorienne. Quand il y a un tremblement de terre au Salvador, les Salvadoriens de Montréal organisent des collectes. Quand un déluge frappe le Saguenay, les Bleuets organisent un show du tonnerre au Centre Molson. Une question de moyens, c’est sûr, mais le réflexe est le même.
Il y a des bars abitibiens, des restaurants gaspésiens… Quand même curieux qu’en général, les reproches faits aux communautés culturelles de se fermer sur elles-mêmes viennent de l’extérieur de Montréal. Les "communautés culturelles" – expression vide de sens, qui permet de séparer le "eux" et le "nous" -, on les accepte en région dans la mesure où elles se fondent dans la tapisserie canadienne-française. Oh! c’est un peu plus difficile avec les Noirs, mais bon, s’ils peuvent au moins adopter l’accent de Normand Brathwaite, ce sera déjà ça.
En quoi, comme le dénonçait François Desmeules de Voir Québec, le fait que 20 % des Montréalais habitent la ville depuis moins de deux ans constitue-t-il un problème? C’est le propre des grandes villes; des lieux de migrations, externes comme internes. Sinon, vous êtes un hameau, un village, un bourg provincial… ou, au mieux, un chef-lieu régional, et vous épousez vos cousins.
Partout
Le Québec "provincial" n’a pas le monopole de la bouderie contre sa métropole; et la métropole n’a pas le monopole des gros sabots de la grandiloquence contre son entourage. L’affrontement métropole-province a lieu partout. La France contre Paris, les États-Unis contre New York, l’Australie contre Sydney. Ça n’a rien à voir avec la taille des villes: c’est la même chose entre Dublin, grosse comme Québec, et le reste de l’Irlande. La plus grande ville d’une communauté s’attire toujours les critiques des membres de sa famille.
Chez nos voisins, la guerre est ouverte entre Toronto et le reste de l’Ontario. Le maire de Toronto, Mel Lastman, a même fait réaliser des études sur la possibilité de séparer sa ville de l’Ontario, pour créer une onzième province. Et dans le Nord de l’Ontario, il existe un mouvement prônant la séparation de leur bout de province de l’Ontario torontoise, trop colorée, trop postmoderne, trop antitout.
Désolé pour Desmeules et Dallard, mais il n’y a pas que Montréal qui se montre indifférente envers les régions. Vous pensez que la Gaspésie s’intéresse à ce qui arrive en Beauce? Et que la Côte-Nord est fascinée par l’Estrie? Voyons donc!
Radio-Québec a essayé ça, la télé régionale, il y a quatre ans. Résultat: les pires cotes d’écoute de son histoire.
Les régions se crissent des régions.