Parti, l’indélogeable Lucien Bouchard. Parti, envolé vers son exil volontaire, le charismatique leader, plus populaire que son option. Retiré des affaires, l’homme qui résistait à l’opprobre des coupures, à l’odieux des lois spéciales et aux dérives néo-libéralistes du PQ.
Merci mon Dieu, thank God, s’écrièrent sans doute en choeur messieurs Chrétien, Dion, Martin et Charest, rendant grâce à pleins poumons pour cette défection inespérée.
Mais plutôt que de monter sur les genoux les marches de l’Oratoire, de faire un don à l’Association des golfeurs de Grand-Mère, ou d’introniser trois sénateurs directement au paradis, nos larrons ont choisi de battre le fer pendant qu’il est chaud.
Mettant à profit quelques écarts de langage inoffensifs, on tente à Ottawa de faire passer notre imprudent et peu charismatique premier ministre pour un malappris, un extrémiste et même un… barbare! (dixit Paul Martin)
Peu importe que l’on ait méchamment monté en épingle quelques déclarations banales.
Peu importe qu’afficher la conviction que "le Canada ne sert pas les intérêts du Québec" n’ait rien de barbare, de raciste, de sexiste, de violent, bref, qu’il n’y ait rien là de condamnable.
Peu importe que la liberté d’expression, cet argument qui arrange toujours celui qui parle et rarement celui qui écoute, en prenne encore un coup.
Peu importe, dis-je, encore un peu et le Québécois, fatigué de ces chicanes de ménage, finira par se souvenir que Jean Charest, l’homme qui s’agite derrière un fleurdelisé flambant neuf, possède toujours un bureau et un casier postal au parlement.
Nous ne sommes que l’impression que nous donnons.
Aussi, afin d’épargner aux Québécois les frais d’un changement de régime qui ne changera rien à rien (retraites anticipées, pensions, indemnisations, décorateurs, déménageurs, call girls, gigolos, imprimeurs, etc.), il me semble nécessaire de rappeler à notre nouveau premier ministre les bons usages de l’étiquette, avant que le pire ne se produise.
Dans le Guide du savoir-vivre, un ouvrage à lire en mettant la bouche en cul-de-poule, la pittoresque Gisèle d’Assailly (1907-1977), péteuse française snobinarde et grande spécialiste en matière d’étiquette, expose les règles délicieusement surannées du comportement général. Débutons par ces conseils judicieux que l’on croirait spécialement destinés à Bernard Landry: "Le comportement le plus simple est à la fois le meilleur et le plus habile […] Vous donnerez une impression d’autant plus favorable que vous ne chercherez pas à en imposer ni à étonner par vos gestes et votre langage […] bannissez l’arrogance […] même si vous ne pouvez pas dire tout ce que vous pensez […] si vous avez tendance à trop parler, dominez-vous." (chapitre six: "Les Bonnes Manières", p.80)
Madame d’Assailly expose un peu plus loin quelques principes essentiels afin de maîtriser l’art difficile de la conversation, qui devraient permettre de maintenir un dialogue constructif avec le reste du Canada. "Le ton de la conversation doit toujours être, comme on disait autrefois, "de bonne compagnie", quelles que soient les circonstances dans lesquelles on se trouve, quelle que soit la pertinence des propos de son interlocuteur […] ce qui n’empêche ni liberté de jugement, ni vigueur d’expression."
Et cet avertissement à ceux qui voudraient vendre la peau de l’ours avant de l’avoir battu dans son comté: "Il n’est pas irrémédiable de manquer de finesse ou de modération dans ses propos, une attention constante vous corrigera. Être mesuré ne veut pas dire être médiocre."
Ah! vraiment, les règles du savoir-vivre et de l’étiquette ne se démodent pas!
Que dire par exemple de la singulière pertinence de cet extrait d’un chapitre consacré à la tenue vestimentaire, mais qui semble tout autant vanter les mérites du statu quo sur la question nationale: "Évitez de changer un modèle qui a été étudié, équilibré ou composé par son créateur, une variante risque de rompre l’équilibre voulu […] Un homme doit être de son temps, mais sans exagérations." Et de cette tirade qui pour un peu semblerait destinée à faire réfléchir le premier ministre sur son attitude lors de discussions entourant la péréquation: "Il faut être beau joueur: pas de réflexions amères sur les gains de vos voisins et votre malchance."
Grande épicurienne, la tante Gisèle a consacré bien des pages à l’art des rencontres et de la table. Selon elle, à ce chapitre, l’étiquette prescrit la discrétion. De quoi se demander si la visibilité exigée par Louise Beaudoin lors du prochain Sommet des Amériques ne fait pas passer les Québécois pour des malappris: "Lorsque vous êtes présenté, même s’il s’agit de la personne que vous désirez le plus rencontrer, ne vous jetez pas sur elle en manifestant votre satisfaction. Restez à votre place. Conservez votre dignité humaine, c’est la seule manière d’établir des rapports sincères avec autrui." (Chapitre quatre: "Briller en société", p.65) Ma chère! Que cela est bien dit!
Quoique le Guide du savoir-vivre reste muet sur l’art de se retirer le pied de la bouche avec grâce et sans faire de bruit, je tiens à consoler notre premier ministre de ses déboires en lui citant cette phrase qui sied bien aux prouesses verbales de son homologue fédéral, le très honorable Jean Chrétien.
"Appliquez-vous à la correction grammaticale, des locutions vicieuses sont pires qu’un mot cru ou grossier." (Chapitre cinq: "Savoir perler", p.72 )