Droit de cité : Sondages: that's entertainment!
Société

Droit de cité : Sondages: that’s entertainment!

Les premiers sondages sur l’allure de la campagne à la mairie, parus dans les journaux récemment, ont de quoi étonner. Ce qui est stupéfiant, c’est que les médias tiennent encore compte des résultats des sondages, comme s’ils n’avaient pas appris la leçon de la dernière élection municipale, en 1998. Vous rappelez-vous le fameux retour spectaculaire de Bourque?

Or, il n’y a pas eu de retour spectaculaire de Bourque, ou si peu. Les 15, 20 ou 25 % de Montréalais qui affirmaient dans les sondages favoriser la réélection du maire sont allés voter. Les autres sont demeurés à la maison. D’où la surprise.

Les sondages lors d’une cabale électorale à la Ville de Montréal sont du divertissement. Ils n’indiquent en rien les probabilités quant aux résultats de la prochaine élection. Parce que lors du jour J, seulement 40 % des électeurs votent.

Le sondeur considère pour acquis que son échantillon de 1000 personnes représente assez fidèlement l’ensemble de la population. Mais quand plus de la moitié de votre ensemble reste à la maison, ça ouvre une grande brèche dans votre diagramme de Wenn. Et malgré toute leur science, les sondeurs ne peuvent pas déterminer d’avance qui, dans leur échantillon choisi, n’ira pas voter le 4 novembre.

Le problème n’est pas que les citoyens qui s’abstiennent de voter ne s’intéressent pas à la politique municipale: si c’était le cas, leur nombre serait facile à déterminer et l’on pourrait les retirer de l’échantillon. Non, le problème, c’est que ceux qui vont aux urnes n’ont pas trouvé mieux à faire ce dimanche-là. La passion et les convictions qui mènent l’électeur jusqu’à l’urne n’existent tout simplement pas au niveau municipal. L’électeur vote pour se désennuyer, ou par intérêt particulier.

Or, il y a un gros intérêt particulier cette fois-ci, pour ne pas dire des convictions, et ceux qui ont à les défendre vivent en banlieue. Malgré la quinzaine de points d’avance dont jouit Bourque dans les sondages, l’avantage est du côté de Gérald Tremblay.

Ce que le sondage n’indique pas, c’est que la participation au vote dans l’actuelle ville de Montréal ne devrait pas tellement différer; mais en banlieue, ce sera une tout autre histoire. Les banlieusards ont un réel savon à faire passer à Pierre Bourque, par qui leur malheur est arrivé.

Bref, les chances de l’opposition de déloger Bourque résidant dans la grogne des résidents de banlieue contre la loi 170. Cette grogne doit maintenir la flamme de la colère jusqu’au 4 novembre, mais de manière indirecte. Parce que la maintenir publiquement pourrait être fort mal interprété par les Montréalais "d’origine". L’opposition de la banlieue aux fusions était dirigée non contre le maire de Montréal, mais contre la ville elle-même. Elle a sous-entendu tout au long du débat que Montréal était une ville de gueux, de locataires, de sans-éducation, incapables de s’administrer, de gérer les nids-de-poule et le déneigement.

Pour le parti de Gérald Tremblay, il ne suffit pas de balayer la banlieue pour remporter l’hôtel de ville. Il faudra aussi réussir des percées dans le fief de Bourque. Et l’on ne mord pas la main qui nous nourrit.

Et les élections provinciales?
L’autre grande inconnue dans cette élection municipale, c’est la date des prochaines élections provinciales. La possibilité que Bernard Landry déclenche des élections provinciales anticipées est fortement évoquée dans les coulisses du Parlement. Peut-être ce printemps, peut-être cet automne; et deux "peut-être" en politique font un "c’est fort probable".

Si le Parti québécois l’emporte haut la main, la fatalité risque de gagner les électeurs de la banlieue, qui sentiraient du coup moins l’intérêt de voter. Si ce sont les libéraux qui prennent le pouvoir, avec leur promesse de permettre les "défusions", eh bien, on ne change pas de main mais de jeu! Les banlieusards resteront-ils chez eux le 4 novembre, sachant bien que les libéraux leur redonneront leur petite ville?

Et qu’arriverait-il si le nouveau premier ministre Jean Charest revenait sur sa promesse (c’est ce qui apparaît le plus probable)? Gérald Tremblay, issu de la belle grande famille libérale, en paiera-t-il le prix?

Miroir aux alouettes
La tournée du maire Bourque en banlieue est un franc succès. Les foules se massent pour se prosterner devant Son Altesse. À chaque station de son chemin de Troie, le maire est accueilli sous une averse de joie et d’appuis, et tout semble indiquer que l’objectif initial, celui de s’emparer du maquis sous le contrôle de ses adversaires, soit atteint.

Je délire? Moi, non. Mais le parti du maire, oui. Sur le site Web du parti Équipe Bourque/Vision Montréal, un texte attribué à Pierre Bourque trace le bilan de sa visite des villes de banlieue. Ceauçescu, du temps où ce considérable fêlé sévissait à la tête de la Roumanie, n’aurait pas détesté le ton lénifiant de cette adresse aux supporters de Bourque:

"J’ai rencontré des dizaines de personnalités des milieux d’affaires, communautaires et culturels ainsi que des centaines de citoyens, que ce soit à Anjou, Saint-Léonard, Outremont, Sainte-Geneviève, Verdun ou Lachine. (…) L’accueil a été très chaleureux et les témoignages extrêmement riches et instructifs(…)"

Odipe aussi imaginait fuir son destin en courant au-devant de lui.