Société

La semaine des quatre jeudis : Le bal des vampires

Un matin de printemps, le colleur d’affiches annonce l’événement: pour peu qu’on lui épargne les frais de stationnement, le cirque pourrait bien passer par chez vous. Enfin un peu d’action, de quoi égayer l’ordinaire et stimuler l’imagination.

Les saltimbanques vont faire rire.

Imaginez l’affiche! Réunis sur une même scène: l’homme le plus fort du monde, l’inventeur de la dictature avec ses chiens féroces, le roi de la cocaïne et ses amis de la kommandantur de police, les valets de l’impérialisme déguisés en mécènes de l’ACDI, l’assassin des favellas et, en prime, l’orchestre de mariachis venu tout droit du tiers-monde quêter quelques dollars américains afin de nourrir une famille de 13 enfants!

Quel est le programme du spectacle? Peu importe. Rien n’est trop cher, rien n’est trop beau pour sortir de l’ordinaire. Et comme on le dit dans les cocktails de la chambre de commerce, il faut faire tourner les affaires, vendre de la crème glacée au sirop d’érable et des cartes postales du Château Frontenac.

Le deal s’est fait, mine de rien, avec un émule du colonel Parker, éminence grise en semi-exil qui nourrit des relations opportunes dans les hautes sphères du spectacle.

Super, le cirque arrive, il installe sa tente, son guichet, ses clôtures. On remet au roi des clowns les clefs du village. Le cirque parade et défile sous les caméras satisfaites. Au soir de première, la salle est pleine.

Malheur! Voici que durant la représentation, quelqu’un a laissé ouverte la cage des lions. Les fauves se jettent sur la ville, dévorent quelques badauds inconscients, tandis que les célèbres saltimbanques se réfugient dans les cages vides. Après deux jours de bombance, on finit par abattre les fauves avec des balles de caoutchouc. Un matin, le cirque repart, sans excuses et sans honte. On payera les dégâts avec la taxe d’amusement.

Faute d’afficher une quelconque morale, ce fabliau a le mérite de résumer les symptômes qui affligent une ville de province lorsque, comme le crapaud, elle se gonfle d’aise pour séduire. Tout est bon à prendre. Y compris les emmerdes dont personne ne veut.

Car moins d’un mois avant son commencement, le visage de la fête au village a bien changé. Et ces visiteurs attachants, spéculateurs de misère, déménageurs d’usines et autres mangeurs de chair fraîche, sont subitement devenus indésirables. Oh! ce n’est pas que l’on mette en doute leur moralité, l’argent n’a pas d’odeur, mais l’on craint que des gens ordinaires veuillent leur signifier bruyamment leur désaccord. Jean-Paul L’Allier, dont l’enthousiasme initial a fondu au soleil, a même évoqué l’annulation pure et simple de l’événement.

Si le maire L’Allier a compris à temps qu’il vaut mieux faire le dos rond plutôt que de souscrire bêtement à un événement dont la préparation ressemble à une partie de chasse au tyrannosaure dans le Parc jurassique, d’autres pratiquent la politique de l’autruche tout en faisant semblant de cracher dans la soupe.

C’est le cas de la moitié gauche de l’Assemblée nationale qui, aveuglée par des préoccupations partisanes, continue à se couvrir de ridicule en se cherchant un coin de table au bal des vampires.

Que penser des voix discordantes d’un Jean-Pierre Charbonneau exigeant la transparence alors que le ministre de la Sécurité publique vide Orsainville, que son homologue des Relations internationales se perd en jérémiades, tandis que d’autres évoquent subitement le respect du droit de manifester?

Que penser? Que les nationaleux du PQ privilégient l’ego-trip national au lieu de réfléchir aux conséquences de la mondialisation sur de petites sociétés distinctes comme le Québec. À moins que les élucubrations de Jacques Parizeau lancées dans sa bouteille à la mer ne fassent recette parmi les élus. À moins que quelqu’un quelque part souscrive à ces théories abracadabrantes selon lesquelles nous saurons mieux tirer notre épingle du jeu dans une perspective globalisante que dans l’inconfortable contexte géopolitique actuel. Une farce…

Auquel cas notre gouvernement – national – aurait tout faux. Du côté du sens autant que de celui des apparences.