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Sommet des Amériques : À touristes et périls
Vancouver, Toronto, New York… Dans presque toutes les grandes villes d’Amérique du Nord, ils se préparent pour leur périple vers Québec. Mais leurs trajets seraient parsemés d’écueils, surtout s’ils escomptent traverser la frontière. Le Canada ne voudrait pas d’eux en son sol. Petites histoires de "touristes" anti-mondialisation.
Baptiste Ricard-Châtelain
Photo : Érick Labbé
"Il est clair que le gouvernement fait tout ce qui est en son pouvoir pour garder les gens à l’extérieur du pays."
Pour Julie Carlson, coordonnatrice aux droits de la personne du Urban Justice Center de New York et membre de la Coalition to Stop FTAA (acronyme anglais pour Zone de libre-échange des Amériques), il ne fait aucun doute que les autorités canadiennes ferment leurs frontières à la contestation. En fait, elle s’est déjà vu refuser l’accès à notre territoire.
En janvier, elle devait visiter la capitale québécoise en compagnie d’un groupe de militants. Un séjour préparatoire. Après une longue attente à la frontière, ils auraient été interrogés individuellement par des agents des douanes. "Ils nous ont dit que nous ne pouvions pas passer parce que nous prévoyions nous rendre à Québec."
Vous certifiez que la raison invoquée était votre désir de venir dans la capitale québécoise? "Oui, c’est ce que le représentant de l’immigration nous a dit."
D’ailleurs, la veille de notre entretien, elle aurait participé à une émission radiophonique aux côtés d’un porte-parole de notre gouvernement. "Il a dit, en résumé, que les gens qui veulent se rendre au Canada pour manifester ne pourront pas passer. C’est la politique […] C’est du fascisme. Les frontières deviennent de plus en plus ténues pour les entreprises. Mais, en même temps, elles deviennent de plus en plus hermétiques pour le public en général", vitupère-t-elle.
Mme Carlson n’entend pas en rester là. Ce dimanche, 1er avril, les douaniers retrouveront leurs "amis". "Nous voulons attirer l’attention des gens sur la militarisation grandissante de la frontière."
Vive les tomates libres!
"Nous allons retourner au même poste-frontière [Champlain]. Certains d’entre nous seront habillés en activistes et nous dirons clairement que nous voulons entrer au Canada pour manifester. Selon nous, on nous refusera l’accès. Au même moment, il y aura un autre groupe qui se costumera en "produits du libre-échange", des choses qui peuvent franchir la frontière sans problèmes, comme des tomates Monsanto, George Bush, un billet de banque américain, etc. La farce, c’est qu’une tomate peut avoir plus de liberté qu’un individu!"
"Il est clair que nous ne vivons plus dans une démocratie, lance, plus sérieusement, Mme Carlson. En réalité, tel que nous le démontre le Sommet, plus vous avez d’argent, plus vous avez de votes. On s’en va vers un système où les corporations vont avoir plus de pouvoir que les gouvernements. Nous ne sommes plus des citoyens, nous sommes des consommateurs. C’est comme cela que ça fonctionne dans le monde."
Malgré tout, des centaines de New-Yorkais se prépareraient pour le voyage. De nombreux autocars ont déjà été réservés, détaille Mme Carlson. Et, s’il est difficile d’entrer, tous feront route vers Akwesane, et contourneront le poste de Cornwall. Les traditionalistes ont certifié à notre interlocutrice qu’ils les aideraient. "Ce sera un gros point de passage."
Le porte-parole de Citoyenneté et immigration pour le Québec, Richard Saint-Louis, les met évidemment en garde. "La loi prévoit qu’une personne qui sollicite l’admission au Canada doit se présenter dans un point d’entrée […] Les gens qui circonviennent ça, s’ils sont détectés à l’intérieur du territoire, pourront se faire viser par une mesure de renvoi. Entrer au Canada, ce n’est pas un droit, c’est un privilège."
Est-ce que les agents des douanes ont reçu des ordres en prévision du Sommet des Amériques? "Les directives que nous avons sont les mêmes directives que nous avons en temps normal", fait valoir laconiquement M. Saint-Louis.
Il n’y a vraiment pas d’ordres émanant du gouvernement? "Quand il y a des événements spéciaux ou d’envergure internationale, on demande toujours, à ce moment-là, aux agents d’être beaucoup plus vigilants. Plus l’événement est important, plus on peut leur demander, à l’occasion, de nous assurer que les personnes qui se présentent à nos frontières sont des personnes qui ont légitimement le droit d’entrer au Canada. Dans ce sens-là, il est certain que ce serait naïf pour moi de vous dire qu’on ne fait rien." Le mur est tombé.
"Il faut que la personne ait de bonnes intentions. La personne qui s’en vient ici dans le but de troubler l’ordre public, à ce moment-là, l’agent d’immigration peut lui refuser d’entrer au Canada." Donc, si le motif de la visite n’est pas touristique, l’interrogatoire sera plus pointu. Mais cela ne signifierait pas que tous les manifestants seront refoulés, au dire de M. Saint-Louis.
Autres provenances, autres problèmes
Bien entendu, pour Oline Twiss, membre de Mobilization for Global Justice de Vancouver, la question des frontières ne se pose pas. Ici, on se souvient de la rencontre de l’APEC, du poivre de Cayenne et de son arrière-goût amer, toujours imprégné dans les esprits. "Pendant l’APEC, ça a été une des premières fois qu’on a pu voir les forces de l’ordre s’organiser contre les citoyens qui manifestent."
Néanmoins, des dizaines de résidants de la côte ouest se mettront en route vers Québec. Seuls, par petits groupes, ou au sein d’un grand train de voitures et d’autobus. "Il y a une caravane qui traversera le pays. Elle va s’arrêter dans toutes les villes sur sa route pour embarquer de plus en plus de gens." Départ le 12 avril, arrivée le 17 avril.
Ceux qui feront le voyage veulent démontrer leur solidarité, explique Mme Twiss. Mais, puisqu’il est acquis "que le site du Sommet est littéralement une forteresse et qu’il est clair qu’il n’y aura aucun moyen d’empêcher sa tenue", certains préfèrent demeurer chez eux. Ils y annoncent une manifestation de soutien.
Le coordonnateur de campagne pour le Parti action canadienne, David Banerjee, déplore lui aussi l’image projetée par les forces de l’ordre, la "répression mentale" qui aurait des échos dans les médias à la grandeur du pays. "C’est pour dire aux gens: >Restez chez vous<."
Mais peu importe. En collaboration avec la Fédération canadienne des étudiants, il a réservé une dizaine d’autobus à Toronto. Cinq cents personnes qui déboursent entre 60 et 100 $, selon leurs revenus, pour un forfait tout inclus. Et c’est sans compter la multitude d’autres organisations de la Ville reine et les sections locales de son parti politique qui en feront de même.
M. Banerjee l’admet, son bureau s’est transformé en véritable agence de voyages anti-mondialisation. Pour des manifestants de tous âges et de tout acabit. "Il y a des personnes pour les travailleurs, des personnes pour l’environnement, nous sommes pour le Canada et contre les banques, il y en a beaucoup contre les OGM… beaucoup de gens qui savent que les problèmes sociaux ne seront pas réglés avec la mondialisation."
Le Parti action canadienne collabore avec Opération Québec printemps 2001 et le Comité d’accueil du Sommet des Amériques "pour coordonner les services légaux, les services médicaux, tous les détails logistiques" et en fournissant de la nourriture.
Notons finalement que plusieurs groupes ont fait état de difficultés à dénicher des autobus parce que les forces de l’ordre auraient demandé aux propriétaires de ne pas les louer aux manifestants. La porte-parole de la GRC, Julie Brongel, nie toute implication. "Cette information-là est complètement erronée."
Il est vrai, par contre, que ses troupes d’interventions tactiques disposent de fusils à balles de plastique. "La possibilité existe, mais on ne peut pas confirmer que ça va être utilisé lors du Sommet."
ENCADRÉ
Capitale action
Vous doutez encore que Québec sera submergée par les manifestants à l’occasion du Sommet des Amériques. On en attend quelque 35 000 pour la plus importante marche, le 21 avril. Tout un défi de gestion pour les bénévoles locaux.
Durant la période de pointe, les 19, 20 et 21 avril, "il va y avoir au moins 15 000 personnes à héberger", lance le porte-parole d’Opération Québec printemps 2001, Stéphane Paquet. Mais il précise que les "festivités" débutent dès le 16 avril.
"Il y a plein de caravanes qui s’en viennent. Probablement même du sud des États-Unis. Il y a même des gens de l’Alaska qui s’en viennent", poursuit le responsable des contacts internationaux, Sean Stencil.
"Il y a des syndicats qui cherchent de l’hébergement. On accueille également des étudiants, des gens du troisième âge, des religieux, etc. […] Pour les plus vieux, nous cherchons des choses spécifiques. Ils ne sont pas capables de dormir sur le plancher." De plus, une garderie sera en service pour les familles. "Il faut que les gens réalisent que ce sont des personnes normales. C’est comme des voisins."
"On sera vraiment, au cours de cette fin de semaine-là, une ville internationale."
En passant, les besoins en nourriture sont criants bien que de l’aide arrive de Winnipeg et de Toronto. Le mot clé est végétarisme. Pour que tous, peu importe leur religion ou leurs habitudes, puissent manger sans crainte. (524-5225; www.oqp2001.org)