La réfection de la rue Notre-Dame : Woh les moteurs!
Société

La réfection de la rue Notre-Dame : Woh les moteurs!

Le gouvernement du Québec projette de transformer la rue Notre-Dame en quasi-autoroute. Officiellement, c’est pour le bien des résidants du quartier. Mais, en fait, on agit de la sorte pour améliorer le sort des banlieusards et des automobilistes. En donnant son aval à un tel projet, Québec est-il allé un peu trop vite?

La gestion du trafic dans l’Est de Montréal a toujours été un casse-tête pour les décideurs. Après les échecs politiques des Robert Bourassa et René Lévesque, c’est au tour du gouvernement Bouchard/Landry d’y aller de son projet de "modernisation de la rue Notre-Dame". Un euphémisme, puisque le futur axe présente toutes les caractéristiques d’une véritable autoroute à six voies, avec bretelles de sortie et passages souterrains.

Selon Québec, cette "modernisation" permettra "l’amélioration de la sécurité et du confort des piétons et des cyclistes, l’intégration de mesures pour améliorer le climat sonore et la qualité de l’air, l’augmentation de 40 % des espaces verts et la création d’un axe récréotouristique afin de revitaliser le secteur". Rien de moins.

Par contre, dans le Plan de gestion des déplacements pour la région montréalaise, les objectifs énumérés sont d’un autre ordre: "Amélioration de la desserte de l’est de la CUM, de la sécurité routière, des conditions de camionnage – plus particulièrement de l’accès aux installations portuaires – et de la desserte en transport en commun." Bref, c’est un projet qui visera surtout les automobilistes…

Voie rapide
Le ministère des Transports s’apprêtait à faire passer ce projet en quatrième vitesse, avant que la contestation des plans du gouvernement ne s’organise dans Hochelaga-Maisonneuve, début 2000. Selon le coordonnateur de la Table d’aménagement du quartier (TAQ), Normand Robert, le projet "était vendu d’avance". En avril 2000, le Ministère espérait commencer les travaux, fort de l’appui du milieu économique. Mais la grogne les a considérablement retardés et pousse maintenant le gouvernement à soumettre le projet à des audiences publiques sur l’environnement.

Le but premier de cette autoroute: dégorger l’axe et réduire la circulation sur Sherbrooke, Hochelaga et l’autoroute Métropolitaine. Les automobilistes provenant de ces artères convergeront à l’échangeur Souligny avec le flux de l’autoroute 25, qui doit être prolongée jusqu’à Laval. L’ajout de deux voies à la rue Notre-Dame portera d’un peu plus de 60 000 à presque 90 000 le nombre moyen de véhicules y circulant chaque jour, selon le concepteur du projet, l’urbaniste Jean-Michel Boisvert.

Pierre Brisset, du Groupe de recherche urbaine Hochelaga-Maisonneuve, craint que la fluidité de la circulation pousse de plus en plus de gens à faire le trajet est-ouest en voiture. "Plus on rend la vie facile aux automobilistes, plus ils utilisent les routes", dit-il. L’architecte préconise plutôt l’aménagement d’un réseau de systèmes légers sur rail (SLR) dans l’axe de la rue Notre-Dame et des boulevards Pie-IX et Galeries d’Anjou. Cette mesure, selon lui, inciterait les usagers du réseau routier à abandonner leurs voitures au profit des transports en commun, rendant ainsi inutile le prolongement de l’autoroute Ville-Marie vers l’Est.

Un vieux problème
Mille deux-cents logements ont été démolis le long de la rue Notre-Dame sous Robert Bourassa, en 1972. C’est qu’il fallait élargir considérablement l’emprise du ministère des Transports pour construire ce qui devait être le tronçon est de l’autoroute Ville-Marie. Groupes communautaires, regroupements de citoyens et militants du PQ étaient alors mobilisés contre le projet.

Abandonnée par le premier gouvernement péquiste, l’idée allait être troquée en 1983 contre un projet de "boulevard urbain". La grogne des citoyens a fini par avoir raison de cette deuxième tentative d’augmenter la capacité de la rue Notre-Dame. Dans son rapport, la Commission de consultation populaire sur l’aménagement du boulevard Ville-Marie dénonçait l’imposition d’"un projet qui ne correspond aucunement au passé et au futur souhaitable" du quartier.

Presque 20 ans plus tard, face au projet du ministre Guy Chevrette de "moderniser" l’axe, les commissaires du Collectif en aménagement urbain d’Hochelaga-Maisonneuve (CAUHM) écrivent dans leur rapport: "Le milieu [n’acceptera pas] de payer de sa qualité de vie cet accès rapide au centre-ville pour les banlieusards."

Le ministère des Transports propose donc de creuser une tranchée d’un mètre de profondeur pour y construire l’autoroute, et d’ériger, sur le flanc nord de l’artère, un talus d’une hauteur de quatre mètres, augmenté d’un mur de béton. Le tout dans le but de minimiser le bruit de la circulation.

Reste qu’un élargissement de la rue implique le rapprochement des véhicules des logements riverains. La situation semble déjà plutôt intenable pour les habitants de ces constructions. "La maison shake quand un camion passe, assure une locataire d’un HLM situé à quelques dizaines de mètres de Notre-Dame. L’été, c’est l’enfer; si t’ouvres les fenêtres, tu peux pas dormir." Une fois les travaux terminés, les poids lourds – presque 20 % de la circulation totale – passeront dix mètres plus près du logement où elle habite.

"On augmente la capacité des infrastructures dans la ville centrale pour desservir les gens de la banlieue, en dérangeant les gens du milieu", déplore Paul Lewis, spécialiste des transports à l’Université de Montréal. Pierre Brisset y va d’une proposition draconienne: "Si on n’a pas le courage politique de démanteler l’autoroute Ville-Marie et l’échangeur Souligny, qu’on envoie au moins le problème de circulation sur la Rive-Sud!"

L’architecte préconise la construction d’un réseau de tunnels à péage sous le pont Jacques-Cartier, raccordant la fin de l’autoroute Ville-Marie à la route 134 à Longueuil.

Aménagement paysager
Québec compte également augmenter de 40 % les espaces verts des quartiers Sainte-Marie et Hochelaga-Maisonneuve. Le projet prévoit l’accès au fleuve par-dessus l’autoroute, qui plongerait sous terre entre l’avenue De Lorimier et la rue Fullum, entre les rues Dézéry et Winnipeg et sous les parcs Morgan et Champêtre – reliés après les travaux. Les recouvrements ainsi créés seraient aménagés en aires de verdure, particulièrement rares dans le quartier. Le tout agrémenté de points d’interprétation du patrimoine historique et parcouru par l’actuelle piste cyclable.

Les citoyens de Sainte-Marie et Hochelaga-Maisonneuve seront-ils intéressés à utiliser les espaces verts qui longeront l’autoroute, malgré la poussière et le bruit? Certains résidants sont sceptiques: "Vois-tu le monde faire de la bicyclette à côté d’une autoroute?" demande une riveraine de la rue Notre-Dame, Carole Bolduc. Paul Lewis croit que ces mesures sont du marketing visant à faire accepter le projet: "Faut être insignifiant pour penser que quelqu’un va aller se promener dans cet espace infect!"

L’urbaniste en charge du projet, Jean-Michel Boisvert, rétorque que les aménagements récréatifs pourront servir "à donner un sentiment d’estime de soi" aux habitants du quartier. Il souligne également que les espaces verts sont conceptualisés en fonction "d’activités qui peuvent supporter un niveau élevé de bruit". Il cite l’exemple du parc Champêtre, situé au sud de la rue Notre-Dame, qui sert surtout de terrain de soccer et de base-ball.

Pour améliorer l’offre en transports en commun, le Ministère planifie aussi la circulation d’un autobus sur une voie réservée, du centre-ville jusqu’à Repentigny. Mais Paul Lewis se rappelle avec inquiétude le plan de transports de l’ancien ministre libéral Marc-Yvan Côté, qui, il y a plus de 10 ans, prévoyait le prolongement du métro vers Montréal-Nord, la mise en service d’un train de banlieue vers Châteauguay et la réservation d’une voie pour autobus sur l’estacade du pont Champlain et sur le pont Mercier. "Ces projets-là n’ont pas été aménagés." Et si le même sort attendait la voie réservée aux autobus?

Démocratie directe?
Les audiences publiques sur l’environnement peuvent mettre le projet en échec s’il est jugé non viable, mais la décision finale est entre les mains du Conseil des ministres. Les résidants d’Hochelaga-Maisonneuve, en tout cas, sourcillent quand ils entendent parler de consultations: "Quand les projets sont faits, c’est bien dur à arrêter", estime Carole Bolduc, dont le HLM est situé à 50 mètres de la rue Notre-Dame. L’attitude du gouvernement péquiste, qui a tenté de procéder à la construction de la ligne à haute tension Hertel-Des Cantons malgré l’avis contraire du BAPE, tend à justifier son cynisme.

Y aura-t-il foule aux audiences publiques sur l’environnement? Plusieurs des citoyens rencontrés ont effectivement l’intention de s’y rendre. D’autres se montrent moins enthousiastes: "Moi, je n’ai pas assez de temps pour y assister, avoue Deliba Nadjib, propriétaire d’une buanderie à deux pas de la rue Notre-Dame. Qu’on s’y intéresse et qu’on en parle, c’est déjà bien."