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Alexa McDonough : Rencontre au Sommet
L’établissement, d’ici 2005, d’une zone de libre-échange s’étendant de l’Alaska à la Terre de feu et regroupant 800 millions de consommateurs dans 34 pays; voilà le projet qui sera discuté lors du Sommet des Amériques. La chef du Nouveau parti démocratique, ALEXA McDONOUGH, nous livre ses impressions à ce sujet.
Denoncourt Frédéric
À quelques jours de son lancement, le Sommet des Amériques a déjà fait le plein de controverse. Les questions du périmètre de sécurité et des affrontements potentiels entre manifestants et forces policières ont occupé un espace démesuré dans l’actualité: supputations autour du nombre d’arrestations, tergiversations sur le port de la cagoule et les permis de manifester, refoulements potentiels de manifestants à la frontière… On se croirait sur le pied de guerre. Ajoutons la contestation du caractère secret des négociations. Quel regard posez-vous sur toute cette agitation?
"Les mesures de sécurité excessives ressemblent à de la provocation, mais je ne suis guère surprise. Cela fait partie de la stratégie de diversion des gouvernements afin de ne pas parler des véritables enjeux et de régler des accords en catimini, sans débats élargis. Le refus du gouvernement fédéral de dévoiler les textes sur les négociations est un geste regrettable; on occulte ainsi le processus démocratique à propos d’enjeux essentiels qui concernent tous les acteurs sociaux, en anglais nous disons "walling off democracy". Trop souvent, les gouvernements prétendent représenter les peuples dans leur diversité d’intérêts, mais c’est faux, il y a encore trop de perdants dans ce type de processus."
Quelle est, en quelques mots, la position du Nouveau parti démocratique sur la mondialisation des marchés?
"Nous prônons une mondialisation qui n’ignore pas les droits sociaux et le respect de l’environnement, une mondialisation qui ne profite pas qu’aux grandes entreprises, mais qui permet une redistribution plus équitable de la richesse. Déjà le modèle qu’offre l’Union européenne, avec des standards établits au départ en matière d’environnement et de droits des travailleurs, est beaucoup plus valable que ce qui se trame avec la ZLÉA. On trompe les gens ici en leur disant qu’en Amérique, on suit le mouvement européen."
Quelles seraient les implications de la ratification de la ZLÉA, en quoi cet accord serait-il différent de l’ALÉNA ?
"La nouveauté, et ce qui est inacceptable, c’est qu’avec la ZLÉA, tout pourrait devenir élément de marché: la santé, l’éducation, l’environnement, l’eau… Cet accord irait donc beaucoup plus loin que l’ALÉNA dont le chapitre 11 concède déjà des pouvoirs extraordinaires aux corporations. En vertu de ce dernier, les entreprises peuvent entreprendre des démarches contre les gouvernements démocratiquement élus, si elles se considèrent lésées. L’exemple le plus connu est celui d’Ethyl Corporation qui a poursuivi le Canada pour avoir refusé d’importer un additif pour l’essence, le MMT. Le Canada avait dû reculer et payer 13 millions $ en dédommagement. D’autre part, la ZLÉA serait une façon de faire passer l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI) que nous avions défait en 1998. Tout cela sans vrai débat et sans transparence. C’est pourquoi le NPD a formulé des positions sur chacun des chapitres de la ZLÉA, et que nous commanditons des forums auxquels participent de plus en plus de gens conscientisés aux méfaits possibles de ces accords. Nous sommes ainsi d’avis que le gouvernement canadien ne devrait pas ratifier la ZLÉA sous sa forme actuelle, car cela accentuerait les injustices et réduirait encore les pouvoirs d’intervention des États. Nous sommes confiants de gagner, car un nombre grandissant de personnes partagent nos points de vue."
D’accord, mais un grand problème identifié par de nombreux observateurs est le fait que les gouvernements, dans le contexte de mondialisation, disposent de moins en moins de marge de manoeuvre et semblent souvent contraints d’abdiquer, de se ranger aux diktats des grandes corporations. Si vous étiez au pouvoir, que feriez-vous, de façon très concrète, pour inverser cet état de choses?
"Il n’y a pas de solution magique pour lutter contre cette tendance. Essentiellement, je crois que l’on doit s’affairer à renouveler la notion de démocratie. On pourrait commencer par instaurer un système de représentation proportionnel des partis politiques afin de mieux faire valoir tous les intérêts. Le système canadien actuel, avec la discipline de parti, favorise la suprématie du gouvernement élu qui manoeuvre ensuite à sa guise, sans tenir compte des opinions divergentes. À un niveau global, l’imposition d’une taxe Tobin sur les transactions financières [du nom du prix Nobel d’économie qui a lancé l’idée en 1972. De l’ordre de 0,1 à 0,5 %, elle pourrait rapporter jusqu’à 200 milliards $ US par année], que nous proposons depuis le sommet du G8 à Halifax en 1995, n’est peut-être plus une utopie. Si à l’époque le gouvernement fédéral avait jugé notre proposition irréaliste, il semble que ce ne soit plus le cas aujourd’hui. L’an dernier, le parlement fédéral, c’est-à-dire tous les partis politiques, a adopté une motion stipulant que le gouvernement canadien doit se faire le porte-parole du principe d’une telle taxe à l’échelle mondiale. Le but est que toute la population puisse bénéficier des gigantesques sommes d’argent ainsi échangées. Cette motion est un signe encourageant qui démontre que nous pouvons changer les choses si nous le voulons vraiment."
En terminant, quel est votre message à l’endroit des gens qui ont l’intention de manifester, de faire entendre leur dissidence lors du Sommet des Amériques ?
"Je leur dis que nous serons à leurs côtés, que nous participerons au Sommet des peuples et à d’autres forums regroupant des forces progressistes. Il faut ignorer la provocation et les mesures de sécurité excessives pour se concentrer sur les vraies questions, les problèmes de fond. Nous devons trouver les moyens de rester solidaires pour contrer une mondialisation qui ne s’adresse qu’aux plus riches et qui menace la démocratie, l’environnement et la justice sociale."