

Droit de cité : Déclic
Éric Grenier
C’est Yves Beauchemin qui, le premier, a attaché le grelot, lors d’un passage à la radio la semaine dernière, à l’émission de Bazzo. En tout cas, en ce qui me concerne, c’était la première fois que j’entendais parler de ce projet d’hôtel de sept étages sur le site de la maison de William Notman.
À une question presque anodine sur l’espace que prend Montréal dans son oeuvre littéraire, le moustachu s’est emporté. Ah! Montréal. Je l’aime, mais mosusse qu’on la massacre; encore un autre morceau du patrimoine qui disparaît, avec cet hôtel dans la cour de la maison Notman…
La maison en question est située au coin de Sherbrooke et Clark, à côté de la station-service, et en face de la Société Saint-Jean-Baptiste. L’ancienne résidence du célèbre photographe d’origine écossaise est classée monument historique par le gouvernement du Québec. Un style néoclassique, d’une forme plutôt conventionnelle, grise, mais décorée comme dans l’Antiquité, avec des piliers, des frises et des corniches, un style plutôt rare à Montréal. La maison est la dernière survivante des villas cossues de la Côte à Baron, comme on l’appelait à l’époque de son développement faste, au XIXe siècle. Les autres maisons du genre ont été emportées par un flot de tours, de stationnements, d’hôtels et de stations-service.
Depuis quelques années, la maison Notman permet à l’humour québécois de prospérer, puisque c’est là qu’est établi le Q.G. de l’empire de la joke qu’est le Groupe Rozon.
Pour construire l’hôtel, on démolira l’ancien hôpital situé derrière (la grosse maison à toit incliné en briques rouges) et on rasera le jardin et les arbres centenaires pris en sandwich entre les deux. La maison Notman, annexée à l’édifice en hauteur, deviendra le bar-restaurant et le hall d’accueil de l’hôtel cinq étoiles. Imposante dans son environnement actuel, elle aurait l’air d’une naine, l’implant esthétique d’une (autre) tour sans personnalité.
Pourtant, en principe, son statut patrimonial est censé la protéger ainsi que tout ce qui se trouve à 150 mètres autour. Mais…
Mais un avis préliminaire du ministère de la Culture, émis le 15 mars, approuve son intégration à l’hôtel de 179 chambres et d’une cinquantaine de millions de dollars. Le même ministère qui se permet régulièrement de tarabuster la Ville sur les questions patrimoniales! C’est ben pour dire…
Le projet est d’autant plus incompréhensible que les terrains vacants situés à un battement d’ailes de pigeon de la maison pullulent. C’est d’ailleurs ce qu’avait promis Pierre Bourque: remplir ces foutues cicatrices dans le paysage urbain du centre-ville, occupées généralement par des stationnements. Le maire lui-même s’en est plaint, et a promis de combler ces trous. Mais à part un Bureau en gros à côté de l’autoroute Bonaventure, il n’y en a pas beaucoup qui ont été farcis…
La plupart des résidants du coin ont entendu parler du projet pour la première fois il y a moins de deux semaines, quand des avis officiels ont été placardés sur la maison. C’est tard. Le projet est passablement avancé et il devient de plus en plus difficile de dire non à celui qui y a déjà investi des dizaines de milliers de dollars.
Qu’importe: les voisins vont quand même tenter de la contester, réunis au sein du Groupe de défense de la maison Notman, dont fait partie le cinéaste François Girard.
Un musée?
William Notman, un immigrant écossais, est devenu le premier photographe canadien de réputation internationale, à la fin du XIXe siècle.
Son oeuvre est colossale. Près de 450 000 clichés sont encore disponibles aujourd’hui, portant sur la vie sociale, communautaire, économique et politique de Montréal, du Québec et du Canada. Tous les grands événements de l’histoire d’ici, entre 1856 et les années 30, ont été immortalisés par Notman et les photographes de son entreprise: les catastrophes comme les visites royales, les manifestations, les éclipses solaires (!) et les grands partys de l’époque.
On peut prendre connaissance d’une infime partie de son oeuvre, le plus grand reportage journalistique sur Montréal, à l’exposition Simplement Montréal, au Musée McCord, où 200 photographies prises dans la seconde moitié du XIXe siècle témoignent de cette période fébrile pour la Métropole. C’est d’ailleurs le Musée McCord qui est le gardien de l’impressionnante collection Notman, qui vaut bien quelques millions de Minutes du Patrimoine, la petite morale fédéraliste en moins.
C’est pour cette raison que les admirateurs du photographe rêvent depuis des années de lui consacrer un musée dans sa demeure, qu’il a habitée de 1876 jusqu’à sa mort, en 1891. Mais en vain. La maison maintenant menacée, l’idée revient hanter les esprits.
Les citoyens ont jusqu’au 14 mai pour faire entendre leur point de vue au Service du développement économique et urbain. Pour ce que ça vaut…
Car dans le cas des projets de développement importants, l’avis du Service est rarement considéré par le Comité exécutif de la Ville de Montréal, qui a le dernier mot sur tout.