Entrevue exclusive avec José Bové : Qui a peur de José Bové?
Société

Entrevue exclusive avec José Bové : Qui a peur de José Bové?

Depuis qu’il a orchestré le démontage d’un McDo et arraché des plantes génétiquement modifiées de ses blanches mains, JOSÉ BOVÉ est devenu le symbole international d’une lutte au front contre l’intrusion d’une économie de marché dans nos assiettes. Homme aussi déterminé que controversé, Bové s’apprête à participer au Sommet des peuples en parallèle avec le Sommet des Amériques de Québec. Entrevue.

On vous a finalement autorisé à fouler le sol canadien. Vous devez être satisfait de cette décision.

"Écoutez, effectivement, l’ambassade du Canada à Paris a confirmé à l’avocat de la Confédération paysanne qu’il y avait une levée de cette interdiction. C’est quelque chose de tout à fait satisfaisant et je crois que, pour la réussite du contre-sommet, c’est important que tous ceux qui veulent participer à ce grand débat démocratique puissent être présents à Québec. Des délégations du mouvement ATTAC seront là aussi. Beaucoup de gens qui luttent aujourd’hui pour une autre mondialisation, qui est celle des peuples et non des transnationales, seront présents à Québec aux côtés des Américains du Nord et du Sud."

Depuis votre coup d’éclat contre McDonald’s, vous êtes associé à une forme de contestation violente. Cautionnez-vous la violence dans le cadre de telles manifestations?
"J’ai participé à l’organisation du démontage d’un McDonald’s en chantier. C’était une action parfaitement symbolique pour faire prendre conscience du rôle de l’OMC et de la façon dont on était en train d’imposer aux citoyens européens la consommation du boeuf aux hormones. C’était parfaitement ciblé et organisé sans aucune violence contre les personnes ou qui que ce soit. Je crois que, par rapport à ça, ce sont des actes parfaitement organisés et légitimes même s’ils sortent de la légalité. Je crois aussi que lorsque l’injustice est trop forte, il faut passer à la désobéissance civile et refuser des lois injustes, même internationales."

Il y a certains endroits où vous n’êtes pas toujours le bienvenu. À Québec, par exemple, certains activistes voient d’un mauvais oeil votre venue puisque vous attirez toute l’attention sur vous et que, selon eux, la cause en souffre. Votre image et vos histoires en matière de désobéissance civile nuisent-elles au mouvement?
"Écoutez, je ne suis pas responsable de cela. J’ai répondu à une invitation, je ne viens pas de moi-même à Québec. C’est parce que ça correspond au mouvement dans lequel je me bats. Heureusement que tout le monde ne pense pas pareil. Effectivement, il faut mettre l’accent également sur l’ensemble des gens qui viennent, tout le monde a son importance puisque le mouvement est d’abord collectif."

Insister sur la casse éventuelle lors du Sommet des Amériques, est-ce que c’est une façon de détourner le problème et d’évacuer les idées, le message?
"Je pense qu’il s’agit d’une manipulation pour essayer de discréditer ceux qui contestent la logique néolibérale, mais la ficelle est un peu grosse et les gens vont bien se rendre compte que la réalité sera différente."

Vous ne faites pas non plus l’unanimité chez les groupes d’extrême gauche, qui considèrent que vos objectifs de réforme ne sont pas assez radicaux. Quelles sont ces réformes que vous proposez?
"C’est vrai que je me suis toujours situé dans le débat en disant qu’il y avait nécessité d’institution internationale. Simplement, la façon dont l’OMC fonctionne et ses objectifs avoués sont inacceptables pour la majeure partie de l’humanité. Il faut des changements radicaux, mais je crois qu’il faut des règles et ce n’est pas le repli qui changera quelque chose non plus. Et puis maintenant, s’il faut attendre le matin du grand soir pour changer les règles… Certains peuvent croire à cela mais ce n’est pas mon avis. Il est indispensable que l’agriculture et la question de la souveraineté alimentaire soient retirées de l’OMC. Le droit qu’ont les populations de se nourrir fait partie des droits fondamentaux qui n’ont rien à faire avec l’OMC. Ça c’est sur le fond. On peut aussi prendre pour exemple le brevetage du vivant et la propriété intellectuelle en rapport au vivant. Il devrait y avoir une interdiction formelle de tout brevetage du vivant, car c’est strictement inacceptable. Ça, c’est un combat très clair. Il y a aussi la question du tribunal interne [de l’OMC] sur lequel il y a beaucoup à dire puisqu’il ne favorise que de grands pays et de grandes transnationales."

Le peu de réceptivité des instances économiques et gouvernementales donne-t-il raison à ces détracteurs?
"Il est encore temps de faire évoluer les choses. Chacun essaie de mener un combat. Je ne me satisfais pas en disant: "Il faudra tout raser demain." Je pense que c’est aujourd’hui qu’il faut agir, on va pas attendre demain."

Lors d’une émission de télévision sur les finances personnelles, on donnait l’indice Big Mac international. Est-ce à dire que la richesse d’un peuple se calcule désormais à sa capacité économique de s’offrir un hamburger?
"Si on en est là, la société est rendue bien bas! Malheureusement, il y a des critères beaucoup plus dramatiques, dont l’accès à l’éducation et à la santé, qui montrent bien que les sociétés sont bien différentes. C’est ce critère-là qui compte pour moi."

Que craignez-vous que soient les pires répercussions d’un accord panaméricain en matière de commerce et d’agriculture?
"Ce projet de libre-échange est un marché de dupes pour les 800 millions d’habitants de l’Amérique dans la mesure où il n’y a pas de commune mesure de développement entre les États-Unis d’un côté et les États d’Amérique centrale et du Sud de l’autre. Ce projet, c’est très clairement l’asservissement de ces pays et la possibilité pour les transnationales de s’implanter dans ces pays en dépit de toutes les règles des droits des personnes et des collectivités. Le grand risque qu’il y a est effectivement une mainmise de ces transnationales nord-américaines sur ces pays à l’encontre des possibilités de développement des populations. En même temps, il y a un très grand risque au niveau de l’agriculture et l’exemple de l’ALÉNA montre très clairement, quand on voit la situation aujourd’hui des paysans mexicains, que ceci est une véritable catastrophe et que les seuls qui en tireront profit sont quelques multinationales comme Monsanto."

Qu’avez-vous constaté dans le cas du Mexique plus précisément?
"Le Mexique se retrouve envahi par le maïs qui arrive des États-Unis à un prix inférieur au coût de production des paysans mexicains, ce qui fait qu’ils se retrouvent complètement détruits aujourd’hui en ce qui concerne leurs possibilités de survivre. Cela met des centaines de paysans mexicains dans des situations très difficiles. Les multinationales comme Monsanto font du Mexique un lieu où ils veulent développer leurs OGM, ceci dans le cadre de l’ALÉNA.

C’est ce qui a amené le scandale, il y a quelques mois, du maïs Starlink, qui était normalement interdit à la consommation humaine, mais qui s’est retrouvé au Mexique pour la fabrication d’aliments qui se seraient retrouvés dans les supermarchés américains. Il y a une très grande dérégulation, de très grandes inquiétudes et une situation sociale qui est très tendue. Quand on rencontre les paysans mexicains aujourd’hui, ils ne se réjouissent pas d’être entrés dans cette zone de libre-échange. Alors, qu’en sera-t-il pour ceux qui sont plus au sud et qui sont encore plus éloignés? Ce sera encore beaucoup plus dramatique."

Vous savez sans doute que l’industrie des produits de l’érable au Québec est un des fers de lance de la souveraineté alimentaire. Avez-vous l’intention de faire un petit arrêt à la cabane à sucre au cours de votre séjour à Québec?
"Écoutez, (éclats de rire) ce n’est pas moi qui vais décider. J’ai peur que le programme soit un peu chargé, mais c’est avec plaisir que j’irais faire un tour en forêt si c’est possible. Mais je suis pas sûr que le temps nous le laisse faire."