Québec, en ce jeudi d’expectative, regorge de légendes urbaines. Quelques commerçants précautionneusement placardés rapportent des histoires incroyables colportées par la police: des camions viendraient livrer des briques aux manifestants… George W. Bush aurait un sosie déjà sur place…
L’ambiance, la violence? Pétera-ti? Pétera-ti pas, le Sommet?
Dans ce climat d’insécurité provoqué paradoxalement par l’imposition de mesures de sécurité, la capacité des puissants à pelleter sans appel la démocratie d’un bord de la clôture me laisse moins sans voix que leur propension à dilapider en mondanités l’argent des contribuables. Imaginer que 50 millions de dollars puissent être investis dans ce genre de conneries (somme à laquelle il faudra ajouter les offensives promotionnelles de la société d’État et les cachets d’artistes apolitiques) relève de la folie furieuse.
Alors que chez les uns et les autres, le Sommet vu d’en haut prend tout à la fois des allures de festival du gaspillage, de happening social et de cirque médiatique, deux, trois organismes opposent pacifiquement à ce délire de petites choses dérisoires, naïves et aussi gratuites que le vent.
De-ci de-là, on veut allumer des chandelles, organiser des soirées de méditation, invoquer l’inspiration de puissances supérieures, prier pour la conscience des dirigeants… Ces petites initiatives, pour futiles et doucement dingues qu’elles soient, en disent long sur la débandade d’une Église officielle incapable d’élever crédiblement la voix sans s’empêtrer dans ses lourds antécédents.
Don’t acte, ce n’est pas la première fois que religions et croyances alternatives comblent le vide laissé par l’Église, et on se foutrait, comme de notre dernière chaussette, des incarnations politiques de cette spiritualité parallèle si l’incident de la semaine dernière impliquant monseigneur Couture n’invitait à quelques réflexions… pastorales.
Ainsi donc, monseigneur se faisait temporairement bâillonner par les organisateurs du Sommet des peuples.
Surprise?
Qu’à cela ne tienne, quelques cris d’indignation de l’archevêché et, après le succès de Sommeil profond, voici maintenant "Sommet profond", une compilation de voeux pieux lancés à une assemblée de convertis. En prime avec toute accréditation au sommet parallèle: une allocution gratuite du primat de l’Église québécoise. En voici au moins un qui ne monnaye pas opportunément ses discours gauchisants…
Cette volte-face du sommet parallèle n’est peut-être que justice, car après tout, cette Église du Christ, bâtie sur des valeurs de compassion, d’égalité et de pardon, mérite assurément une place parmi l’assemblée des pourfendeurs du capital sauvage.
Mais que faire alors de l’autre? De l’Église des petits monarques officiels, de celle de cette oligarchie prestigieuse affichant obstinément une attitude rétrograde et des valeurs morales qui ne correspondent plus à la réalité d’aujourd’hui. Que faire de cette Église qui s’oppose à l’avortement, à l’égalité des sexes en son sein et, pire encore, à la contraception en 2001! Quel crédit social accorder à l’ultra-droite, à l’influente Opus Dei qui a écrasé les velléités socialistes de ses représentants en Amérique du Sud depuis les années 80? Qui a bâillonné Gaillot en 98. À cette Église qui, tel un fabricant de cigarettes, répand dans le grand marché des désespérés de l’Amérique du Sud un dieu dont la teneur en doctrines et commandements est si élevé qu’il étouffe désormais les huit dixièmes de l’Amérique du Nord. Cette Église de zélateurs qui, depuis Rome, gère d’une main autoritaire les grandes affaires de la foi, est-ce bien la même que celle de la progressiste assemblée des évêques du Canada qui prit quelquefois la place des syndicats dans la lutte contre des gouvernements obsédés par le déficit zéro? Celle-là, a-t-elle sa place dans un sommet sur la liberté des peuples?
C’est sans doute la question que se sont posée, avec raison, ses organisateurs.
Qu’elle le veuille ou non, l’Église des hommes devra pourtant, pour survivre, se ré-enraciner dans un tissu social dont l’évolution lui a progressivement échappé. Dans les décennies qui viennent, telle une société d’État, elle devra dépendre de plus en plus des gouvernements et du financement public. Déjà, plus d’une paroisse d’ici et en l’occurrence bien des églises ne doivent leur salut qu’à la vétusté d’un patrimoine historique.
D’aucuns, sous la foi de quelques émissions de preachers nouvelle vague, du rassemblement annuel d’un petit millier de fidèles recrutés chez les scouts, ou du fait que Britney Spears soit, par conviction, encore vierge, attendent une résurgence de la morale chrétienne comme on attend le messie et la fin du monde. Ils feraient mieux de s’interroger sur la faillite des préceptes de la foi et d’envisager un petit concile lorsque la mort de Jean-Paul II débloquera le statu quo au lieu d’imputer perpétuellement le désengagement populaire des 30 dernières années à la déchéance matérialiste des sociétés opulentes.
Sinon, l’Église jouera tôt ou tard le dernier acte d’une perte de reconnaissance et de substance entamée depuis longtemps en Amérique du Nord.