Alors que les médias locaux semblent obnubilés par le Sommet des Amériques et en traitent à profusion, le New York Times n’a délégué que deux journalistes, aucun photographe et ne pense même pas publier quotidiennement d’articles sur le sujet.
Envoyé spécial et ancien correspondant au Canada, Anthony DePalma ne rêve pas de Québec en couleur. À vrai dire, il ne frétille pas du tout à l’idée de prendre part à la fiesta continentale, n’y voyant qu’un spectacle de relations publiques bien orchestré.
"Les sommets sont toujours cela. Pensez-y un peu. On parle d’un sommet de trois jours. Mais qu’est-ce que c’est vraiment? [Les chefs d’État] arrivent le vendredi soir, prennent une tasse de café, se serrent la main et vont se coucher."
"Le samedi est le véritable jour de travail. Malgré cela, imaginez 34 journalistes dans une pièce: que pourrions-nous décider en une journée? En plus, il y a des pauses pour le dîner, pour les cérémonies, pour les discours de Chrétien et de ses ministres sur comment tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, etc."
"Puis, le dimanche matin, ils auront un bon déjeuner. Ils signeront quelques accords qui ont été préparés par leurs employés depuis longtemps. Ensuite, ils se dirigeront vers l’aéroport. Donc, le sommet de trois jours équivaut à quoi? En réalité, à un seul jour. Et qu’est-ce que vous pouvez faire en un jour?" se questionne le reporter d’expérience, désabusé.
Alors, la population et les journalistes devraient-ils porter leur attention sur les discussions autour de la Zone de libre-échange des Amériques? "Aucune décision ne sera prise au Sommet au sujet de la ZLEA. L’entente de libre-échange ne sera pas signée. Le travail est fait à l’extérieur du Sommet quand les ministres des Finances et du Commerce se rencontrent. Ce processus est en cours depuis plusieurs années. Tout ce que feront les chefs d’État, c’est de se dire en accord ou non sur les principes. Décider s’ils poussent vers l’avant la ZLEA ou les relations bilatérales."
Nous aurons compris que M. DePalma se demande réellement quel est l’intérêt de la rencontre. Il y a certes la visite du nouveau président américain, George W. Bush, ses relations avec les chefs d’État des 33 autres pays participants. Un point majeur, incontournable. "Ça survient si tôt dans son mandat. Aussi, il a abondamment parlé de Québec et du Sommet durant sa campagne électorale." Mais c’est le dossier de son collègue.
Restent ensuite le Sommet des peuples, les manifestations – la casse appréhendée – et l’ambiance. "Le but de notre présence à Québec est de rapporter ce qui s’y passera." Sans plus.
Faudra encore convaincre les patrons que les lecteurs du New York Times s’intéressent au Sommet. "Aux États-Unis, il y a beaucoup d’importance accordée aux relations avec l’Europe et l’Asie. Le dossier des relations avec l’hémisphère est généralement perçu comme quelque chose de moins important."
Enthousiasme tout aussi mitigé à NBC. Deux correspondants et deux producteurs séjourneront chez nous pour la durée de la réunion. Une des deux équipes suivra pas à pas l’homme le plus puissant de la planète. "Puisque le président Bush y sera, nous y serons aussi. Mais ce n’est pas vraiment un événement important. C’est très ordinaire. Il n’y a pas un grand intérêt pour le Sommet ici", a lancé un journaliste qui a parlé ouvertement mais n’a pas voulu divulguer son identité.
Artillerie lourde
Malgré tout, CNN est débarquée le 18 avril avec l’artillerie lourde, visite du président américain oblige. Quelque 24 journalistes, techniciens, caméramen, réalisateurs, etc. La chaîne diffusera en direct à partir du 20. "L’équipe travaillera pour tous les services de CNN. Il y a 34 services différents. Ça inclut des reportages pour CNN, CNN International, CNN Spanish, CNN Radio et CNN Interactive [Internet]", explique la porte-parole, Megan Mahoney.
"Nous considérons que c’est une grosse histoire. Nous nous intéressons à plusieurs sujets: ce sera le premier sommet d’importance de George Bush auquel participent de nombreux chefs d’État; l’accord de libre-échange des Amériques, est-ce qu’il affectera ou non l’économie, le commerce aux États-Unis; nous essaierons aussi de parler des manifestations."
La couverture devrait prendre la même tangente à l’Agence France presse (AFP), qui vend ses textes aux médias du monde entier. Mais, là aussi, on remarque que les Américains ont d’autres chats à fouetter. "Ce sera un événement majeur, surtout pour nos clients de l’Amérique latine. L’intérêt aux États-Unis n’est pas aussi manifeste", note le rédacteur en chef adjoint du bureau régional (Amérique du Nord) de Washington, Jerry Aziakov.
Ainsi, une dizaine de journalistes, principalement originaires des capitales des Amériques centrale et du Sud, de Washington et de Montréal, accompagnés d’une horde de photographes, sillonneront la capitale québécoise. Mais, point de scoops, de nouvelles exclusives à l’horizon, croit M. Aziakov. "Toutes ces rencontres bilatérales, c’est toujours pareil. […] Le Sommet en lui-même, ça risque d’être de longs discours. Je ne pense pas que ça se produise."
Les protestataires pourraient cependant créer l’événement. Là est le principal attrait, pour l’AFP. "Une ou deux personnes seront chargées plus spécifiquement d’écrire sur les manifestations, le Sommet des peuples. Il pourrait y avoir des manifs du genre Seattle, on ne sait jamais. Je sais qu’il y a un dispositif de sécurité assez important et on va suivre cela de très près." La nouvelle devient soudainement beaucoup plus attrayante lorsqu’il y a du brasse-camarade.
Petite parenthèse pour souligner qu’à ABC, le porte-parole, Jeffrey Snyders, ne savait même pas de quoi nous l’entretenions. Il nous a même demandé quelles étaient les dates de la tenue du meeting.
Du côté des organisateurs du Sommet, on ne s’en fait pas trop avec l’arrivée de meutes de journalistes. "C’est un des plus gros, sinon le plus gros événement médiatique ayant eu lieu au Canada", admet néanmoins le directeur des relations avec la presse, Denys Tessier.
Des hôtels entiers ont été réservés pour les représentants des médias qui auront droit au service de navettes pour le transport vers les sites officiels. On leur a aménagé un centre comportant 450 places assises avec lignes téléphoniques et modems ainsi que 80 salles de montage télé-radio. Puis, au coeur de l’action, on a créé le "Théâtre international de presse". Lieu des grandes conférences, il compte 920 places.