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Un week-end de fou : Souvenirs du Sommet
Dans lequel un résidant de Québec se remémore avec plaisir le week-end où il a eu 40 ans, sur fond d’émeutes, de nuages toxiques et de militants rigolos déguisés en Bonhomme Carnaval.
François Desmeules, Rédacteur en chef de Voir Québec
Photo : Éric Labbé
Jeudi, au Sommet des Amériques, nous avons vu la presse fébrile en manque d’images faire passer trois tagueurs pour des terroristes. Ils dessinaient sur la devanture d’un commerce barricadé. Ils portaient des masques… pour ne pas inhaler de vapeurs de peinture. Photo à la une…
Jeudi, au Sommet des Amériques, nous avons lu saint Pierre Bourgault. Le penseur all dressed se félicite de la tenue de ce Sommet parce qu’il fait prendre conscience. Comme quoi 100 millions de dollars en temps supplémentaire, en fer, en tôle, en flics et en béton, c’est donc 100 millions de dollars de plus à compter dans le budget de l’éducation.
Puis, jeudi, tard en soirée, nous avons vécu des jolis moments de solidarité politique sous les viaducs de l’îlot Fleurie.
C’est juste après que se sont engagées les trois périodes de 24 heures du match de l’opinion publique, devant des gradins emplis de braves spectateurs enfumés.
Vendredi matin, au Sommet des Amériques, nous avons vu trois membres de Greenpeace survoler l’espace aérien interdit dans un très beau ballon vert couvert de slogans.
Et puis, dès l’arrivée de George Bush, nous avons vu la machine à flics entamer, avec juste ce qu’il faut d’arrogance, la lente valse-hésitation qui protégeait la machine à fric. Trois jours durant, les hélicoptères de la Sûreté saupoudraient partout des gaz asthmatiques. Nous avions la gorge qui pique. Les petits oiseaux muets et aveugles se sont frotté le bec sur les branches, le centre-ville a vécu ses premiers vrais jours de printemps les fenêtres fermées. La police est gentille, elle n’a pas frappé très fort.
Aussi, c’est avec joie que nous, les enfermés, avons entendu à Radio-Canada, lors des cérémonies officielles, des commentaires peu élogieux sur la moralité douteuse de quelques-uns des invités qui paradaient au Sommet. Et c’est avec bonheur que La Fureur et le match New Jersey-Caroline sont venus interrompre sans avertissement le défilé des robes de soie et des putes à président. Question de priorité.
Samedi, nous avons vu le grand foutoir magique de la gauche (dite divisée) divisée symboliquement au coin d’une rue.
Nous avons vu les militants comiques du Front de libération de Bonhomme Carnaval, suivis de près par les oriflammes des militants du Parti marxiste-léniniste américain. Nous avons vu Miquette et Oncle Sam enlacés dans une chorégraphie vicieuse. Nous avons entendu de vieilles femmes écolos en robes pâles entonner tendrement des chants de résistance. Nous avons vu un syndicat américain de travailleurs de l’aéronautique qui s’aspergeaient de vinaigre, des militants pro-pot, des membres âgés de l’AFL-CIO, des TCA, des sympathisants de Mumia Jamal, des guevarristes, des amis de la terre, des illuminés, des Libanais opposés aux politiques d’Israël. Nous avons vu cette gauche élégante, bigarrée, comique, intelligente, convaincue et rafraîchissante. C’était le jour des fous. Se moquer de l’autorité et du pouvoir une fois par année vaut mieux que de perdre son temps à voter pour des clones une fois tous les quatre ans.
Mais nous avons aussi vu l’autre gauche, la nôtre, syndicale et paisible, s’éloigner des barricades, partir pour nulle part. Partie jouer dans le parking, partie manger des sandwiches au beurre de pinottes en écoutant de la zizique de poilus entre deux cris de victoire.
"Aux sports, Camille, nous parlons maintenant d’un sport qui se joue avec des bâtons, mais pas dans la rue." Ha! Ha! Ha! Samedi. Nous avons supporté les farces iniques de Stéphan Bureau qui lui vaudraient bien un Métrostar catégorie quétaine. Un trophée qui sera chèrement disputé par la télé spectacle de Michel Jean qui se jouait la guerre du golf miniature en direct avec des collègues aussi expérimentés dans l’art dramatique.
Samedi, au Sommet des Amériques, il a fait noir, très noir, lorsque des centaines de p’tits crisses apolitiques qui s’emmerdent dans leurs banlieues-dortoirs de Québec se sont habillés en noir pour tirer des roches à des policiers qui ont fort bien fait de leur crisser en retour une bonne volée.
Samedi, au Sommet des Amériques, il faisait en fait si noir que lors de la rencontre de commanditaires (lire lobbyistes) avec les chefs d’État, les caméras étaient interdites.
Dimanche matin, au Sommet des Amériques, la mode était au foulard et au masque à gaz. Citoyens et touristes emmenaient la p’tite famille voir les méchants manifestants et la bonne police se tirer des cochonneries et des balles de plastique. Étonnant que personne n’ait installé devant le Grand Théâtre un stand à patates frites.
Dimanche, au Sommet des Amériques, nous avons entendu, en conférence de presse, Jean Chrétien et George Bush suggérer aux opposants au libre-échange de "se faire élire dans un de nos différents parlements plutôt que de contester en troublant la paix".
Nous n’avons entendu personne lui rappeler les magouilles des systèmes électoraux américain et canadien. Personne évoquer des taux d’abstentionnisme monumentaux. Personne évoquer la distance qui sépare les honnêtes gens des violentes passions du pouvoir et des lignes de parti perpétuellement influencées par les lobbys.
Dimanche, communiqué final du Sommet des Amériques. Les exigences de stabilité politique de la Banque mondiale sont devenues une clause démocratique de belle apparence. Rien sur la protection des hommes-marchandises dans le jeu des capitaux et des bourses d’investissements.
Au milieu du Sommet des Amériques, sherpas et décideurs ont fait installer des ventilateurs géants pour souffler au loin les gaz qui risquaient d’indisposer leurs précieux invités, pendant que mon fils toussait dans la cour. J’y vois l’exemple inique du deux poids deux mesures dans lequel se complaisent les Chrétien, Pettigrew, Lamontagne. J’y vois aussi une leçon de savoir-vivre pour les Bouchard, Landry, Ménard, L’Allier, sans parler des ti-clins de la Chambre de commerce qui se pétaient les bretelles en pensant affaires et qui savent maintenant très bien que les dépenses du Sommet vont de loin surpasser ses revenus. Une honte pour tous les naïfs qui nous ont manqué de respect en acceptant que se tienne ici cette démonstration par excellence d’inégalité.