La désaffection des jeunes pour la politique : Si jeunesse voulait
Société

La désaffection des jeunes pour la politique : Si jeunesse voulait

Les jeunes sont particulièrement présents dans la rue lors des manifestations antimondialisation. Par contre, ils le sont beaucoup moins sur la scène politique. Ont-ils raison de défendre leur cause ailleurs qu’au sein du système politique? La désaffection des jeunes pour la politique est-elle inquiétante? LIZA FRULLA et CLAUDE CHARRON, deux anciens députés aujourd’hui animateurs de télévision, ont répondu à nos  questions.

Dans la foule rassemblée lors des manifestations du Sommet des Amériques à Québec, la moyenne d’âge n’atteignait certainement pas 30 ans. Tout au plus 25. Car, c’est bien connu, le mouvement antimondialisation attire son lot de jeunes. À tel point que la défense des causes dans le cas des jeunes, au contraire des générations plus âgées, se déroule maintenant en dehors (et au détriment) du système politique. Ainsi, la désaffection des jeunes pour la politique se ressent plus que jamais: les jeunes candidats sont rares (malgré la récente élection de Nathalie Rochefort, 31 ans), les membres des partis traditionnels se font de plus en plus vieux, l’âge moyen des fonctionnaires ne cesse d’augmenter, etc.

"C’est un problème classique, la dépolitisation des jeunes, affirme Claude Charron, autrefois député péquiste élu dès sa jeune vingtaine (il n’avait que 23 ans en 1970) et aujourd’hui animateur de télévision. Mais de nos jours, c’est plus vrai qu’avant. Ce qui est décourageant pour les jeunes, c’est que nous vivons dans une période de pensée unique: il n’y a plus de choix possibles à l’intérieur du système. Tous les partis disent la même chose: même Bernard Landry est plus libre-échangiste que Jean Chrétien, les souverainistes et les fédéralistes se ressemblent, et le discours économique prend toute la place, peu importe les partis. Les jeunes ont ainsi l’impression que changer X contre Y donnera toujours Z. Ils sont alors désabusés face à un système qui ne leur donne plus de variétés d’opinions." Pour Liza Frulla, ex-députée libérale qui a, elle aussi, sauté dans l’arène médiatique, des preuves tangibles de cette désaffection s’expriment régulièrement, handicapant du même coup le système politique. "Quand on regarde les assemblées des partis politiques, il y a beaucoup, beaucoup de têtes blanches. Ce manque de jeunes correspond à un manque de discours. S’il n’y a pas de jeunes qui pénètrent les partis politiques pour militer activement et brasser la cage, les enjeux débattus ne seront pas ceux de leur génération. Sans jeunes, en fait, on se prive d’une vision souvent rafraîchissante et nécessaire."

Pourtant, cette "vision" est gravement manquante, même dans les plus profondes et moins militantes ramifications du système politique. Comme l’a rapporté la semaine dernière le quotidien Le Devoir, les jeunes fonctionnaires ne sont pas légion au sein de la fonction publique. Malgré des campagnes de recrutement, les jeunes de moins de 35 ans ne représentent plus que 6,9 % des fonctionnaires, alors qu’ils étaient 18 % en 1993: une baisse considérable de 11 % en seulement sept ans. "Cela n’a pas de bon sens, lance Claude Charron. S’il n’y a pas de renouvellement, il n’y a aucune chance d’avoir un souffle nouveau. À mon avis, cette statistique est le symptôme d’un grave problème: celui de la désertion des jeunes de la politique; ce qui ne veut pas du tout dire qu’ils soient désintéressés et apathiques, par contre."

En marge
Si les jeunes n’expriment pas leurs opinions à l’intérieur même du système politique comme députés ou membres d’un parti, ils le font par contre très largement dans la rue. La ferveur antimondialisation, exprimée au Sommet des peuples et en marge de celui des Amériques, l’a d’ailleurs démontré clairement. "Sans exagérer la portée de ce mouvement, c’est bien de voir que les jeunes s’expriment, qu’ils ne sont pas inactifs même s’ils boudent la politique comme telle", souligne Claude Charron. "Je pense que les jeunes, s’ils ne trouvent pas de résonance dans les partis politiques, se joignent à des causes plus mondiales, un mouvement que je considère comme nécessaire, affirme pour sa part Liza Frulla. Et pas simplement en criant dans la rue. Car j’ai aussi été fière du Sommet des peuples, où des jeunes ont parlé de plusieurs enjeux, afin de signifier une dissidence et de dire aux gouvernements qu’ils les ont à l’oeil. Cette méfiance face aux actions du gouvernement motive d’ailleurs la désaffection politique des jeunes. De les voir s’organiser dans un mouvement parallèle, cela me laisse tout de même optimiste."

Brandir des pancartes et scander des slogans ne suffit toutefois pas. Selon Liza Frulla, il semble impératif pour les jeunes de prendre le mouvement antimondialisation et d’investir la politique, une condition sine qua non à tout changement social. "Il faut absolument faire en sorte que les jeunes réintègrent les partis politiques et le gouvernement, parce que, qu’on le veuille ou non, il s’agit du seul moyen d’action et de changement à grande échelle, indique-t-elle. C’est là où les décisions se prennent. Et si les jeunes n’aiment pas le système et trouvent que les partis ne leur ressemblent pas, comme on l’entend souvent, il faut y entrer et modifier tout ça, car ce n’est pas en restant spectateurs qu’un changement va se faire. Si les jeunes s’unissent et militent dans les partis, ils peuvent arriver à plus de résultats qu’on ne le croit. S’ils sont suffisamment nombreux et convaincants, ils peuvent établir des priorités, comme le fait qu’ils ne veulent pas que l’environnement soit le sujet numéro 36 sur la liste. Par contre, il ne faut pas penser pouvoir changer les choses radicalement sans accéder aux leviers du pouvoir."

Pourtant, une tendance inverse se dessine: les jeunes privilégient les groupes de pression (communautaires et militants, entre autres) pour jouer le jeu des tractations dans les coulisses du pouvoir (le fameux lobbying), plutôt que d’entrer directement sur la scène politique. "Je trouve cela sain quand même, affirme Claude Charron. Je ne dis pas que tout le monde doive s’engager dans un parti politique si tous les partis disent la même chose. Un effort des partis doit être fait pour mieux inclure les jeunes, et pas seulement dans les discours, on s’entend. Si le choix des jeunes n’est pas une carte de membre d’un parti, mais celle d’un groupe de défense quelconque, je dis tant mieux, car cela est encourageant. Le reste va suivre, à mon avis. Le mouvement militant et parallèle prendra de l’ampleur et aura des effets sur le système politique." Charron prend pour exemple sa propre jeunesse dans les années 60, alors que lui et quelques autres scandaient des slogans comme "II n’y a plus d’air dans l’air; il n’y a plus d’eau dans l’eau". "Au début, on ne nous prenait pas au sérieux. Mais quand le mouvement est devenu important, quelques années plus tard, chaque gouvernement a décidé de créer un ministère de l’Environnement. Je ne veux pas faire l’apologie des années 60, car je ne crois pas à ce mythe-là. Ce que je veux dire, c’est qu’avec des efforts, on peut changer le système politique sans être à l’intérieur, ce qui est tout de même une chose importante."

Les jeunes affichent quand même leurs couleurs au sein des partis politiques. Des sections jeunesse figurent dans plusieurs partis et ont une activité qui secoue parfois l’establishment. D’ailleurs, c’est la dissidence des jeunes du Parti libéral du Québec qui a mené, en partie, à la création de l’Action démocratique. "C’est la preuve qu’ils peuvent changer des choses s’ils se mobilisent, affirme Charron. Mais, pour moi, ce n’est pas simplement la couche d’âge représentée qui est importante, mais ce qu’elle véhicule. Je m’explique: je vois et entends beaucoup de jeunes qui agissent et parlent comme des personnes de 50 ans. Cela arrive encore trop souvent, ce qui ne donne absolument rien. C’est le discours conservateur qui demeure."

Aux urnes
N’y a-t-il pas contradiction entre le discours des jeunes et leurs gestes politiques? Car, alors qu’ils se tournent vers le mouvement antimondialisation, le NPD, parti fédéral qui défend justement les idéaux pour lesquels les jeunes se battent, est moribond, voire en décrépitude. "En fait, les jeunes qui manifestent contre la mondialisation ne votent carrément pas aux élections, car ils ne portent pas en haute estime le système politique, estime Claude Charron. Le vote du NPD ne peut donc pas augmenter, car ces jeunes deviennent abstentionnistes."

L’abstention représente d’ailleurs un phénomène en croissance. Aux dernières élections fédérales, un peu plus de 45 % des 18-24 ans avaient renoncé à exercer leur droit de vote, un chiffre constamment à la hausse. "Je trouve cela inquiétant, car l’absence de participation dans le système entraîne un régime pourri, affirme Charron. Je ne voudrais pas faire partie d’un système où le gouvernement élu n’a vu que 30 % des jeunes participer au vote! On dirait que bien des jeunes ne reconnaissent plus le pouvoir d’un vote aux élections."

Selon les personnes interrogées, cette abstention résulte d’une perte de confiance dans le système politique. Et quand une société repose sur un tel système, selon eux, il y a franchement lieu de s’inquiéter. "Le problème se situe dans le manque de prise de conscience de l’importance des jeunes, croit Charron. Les partis disent qu’ils veulent leur faire de la place et les écouter, mais, dans les faits, ils ne le font pas et considèrent qu’ils ne peuvent pas véhiculer quelque chose de concret et de consistant." Si les jeunes ont ainsi raison de s’estimer peu écoutés, sans tomber pour autant dans la rhétorique d’une guéguerre de générations, il n’en tient toutefois qu’à eux de renverser la vapeur. "Je crois vraiment que les jeunes sont actifs et peuvent se rassembler pour défendre leurs points de vue, souligne Liza Frulla. La preuve, ils l’ont fait au Sommet du Québec et de la jeunesse, qui n’était pas parfait, mais qui a quand même donné des résultats intéressants."

Liza Frulla et Claude Charron s’entendent sur un point: il ne faudrait pas que les jeunes en viennent à se désintéresser du sort de la collectivité. "Le mouvement antimondialisation laisse croire que ce n’est pas le cas, affirme Liza Frulla. Mais il faut que cette résistance parallèle réussisse à percer le monde politique pour exercer plus d’impact."