Un bon matin de budget, votre nouveau premier ministre vient vous annoncer en grande pompe que désormais, vous paierez un peu moins d’impôts et que, mieux, si vous êtes complètement cassé, vous n’en paierez pratiquement plus. En bon citoyen, vous applaudissez pendant quelques secondes à la générosité du nouvel élu. Quelle joie d’apprendre que votre chèque de paye ne sera plus amputé de 40 %, mais maintenant de 36.
Et vous vous félicitez intérieurement de vivre dans un pays où d’excellents actuaires ont trouvé une nouvelle manière de vous faire économiser de l’argent. Quelle est cette formule miracle?
Elle est fort simple: R = D1 – D2. Les revenus égalent les dépenses moins la dette. Alors ce bel argent que vous pensez économiser ne serait qu’une mesure électoraliste pour donner aux Québécois l’impression d’économiser?
Mets-en.
Lorsque le soleil frileux de mai s’amène enfin sur Montréal, un homme ordinaire pisse le sang dans un char stationné dans le parking du casino.
Adepte maladif du jeu, il croulait sous les dettes. On évoquera, pour expliquer son triste sort, les problèmes d’Odipe des joueurs compulsifs. Quelqu’un aurait l’intelligence d’interroger l’attitude d’une société d’État qui place des machines à sous à tous les coins de rue, qui incite à gratter, parier, miser sur le hockey, le bingo, les courses de chevaux, et qui vend même des logiciels de jeu que vous pouvez installer sur votre propre ordinateur domestique.
Interpellée, la vache à lait du gouvernement se pétera les bretelles en annonçant un investissement de 0,001 pour cent de ses revenus annuels dans une campagne de sensibilisation auprès des joueurs chroniques. C’est avec l’argent qu’elle rapporte, votre argent, qu’on réduit vos impôts.
Lorsque le soleil frileux de mai s’amène enfin sur Québec, un gros bonhomme en gris malpoli et arrogant vient sonner à votre porte collecter son dû. Cinq cents piastres pour Hydro-Québec sinon on vous coupe. Trois enfants en bas âge, un hiver glacial et un propriétaire qui refuse d’isoler ont eu raison de vos économies. L’entente à l’amiable avec les amis de l’Ordre du Temple Solaire n’a pas tenu devant les factures d’espadrilles. Allez expliquez ça au malpoli; il vous rétorque: "C’est pas de mes affaires" et tire le breaker. Cette façon de faire, jadis jusqu’en plein hiver, a même fait des morts.
La vache à lait du gouvernement a engrangé un milliard de dollars de profits cette année. Pour que le gros épais en gris vienne rétablir l’alimentation, on vous facturera 60 dollars. L’électricité, notre richesse collective? Allons donc! C’est avec votre argent qu’on réduit vos impôts.
Lorsque le soleil frileux de mai s’amène enfin sur Québec, on invite deux amis à la maison prendre un verre sur la galerie. Virage obligatoire à la SAQ. Ciel! Trente dollars la bouteille, pour un chianti qui n’en vaudrait pas cinq à New York. Voilà de la tempérance à bien meilleur coût!
Lorsque le soleil frileux de mai s’amène sur Québec, une commission parlementaire tient des audiences sur la concentration de la presse. Les journalistes s’inquiètent de la fusion Québécor-Vidéotron qui risque de faire perdre des emplois. L’acquisition a été rendue possible par la Caisse de dépôt qui, cette année, ne rapportera pas d’excédents parce qu’elle a préféré enrichir des empires pour des raisons strictement politiques. Mais rassurez-vous, la situation ne durera pas; Vidéotron, Les Ailes de la mode sont des entreprises déficitaires, on fera des coupures de personnel. C’est avec votre argent qu’on réduit vos impôts.
Alcan, Pechiney ou Machin Chose voudraient bien se construire une petite usine polluante et énergivore au Québec ou ailleurs à coups d’immenses subventions gouvernementales. Chantage. C’est ça ou la Thaïlande, un pays qui n’a pas d’états d’âme à l’égard des bakchichs, des salaires ou de l’environnement, mais qui ne possède pas d’aussi belles ressources naturelles à piller. On se mêle de l’affaire au Sommet. L’entreprise bénéficiera de formidables baisses d’impôt. Et puis, on offrira l’électricité gratuite, quelques visites au casino et une caisse de chianti au boss.
C’est avec cet argent qu’on baisse leurs impôts. Et qu’on fait semblant d’en faire autant pour vous. La façon de faire, la manière québécoise, c’est l’État des apparences, bassement électoraliste qui reprend d’une main ce qu’il donne de l’autre.