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Les jeunes et la politique : Excès de cynisme
Professeur de sciences politiques à l’Université de Montréal, ANDRÉ BLAIS se spécialise dans l’étude des comportements électoraux. Selon lui, les jeunes sont beaucoup trop critiques vis-à-vis des politiciens. Leur cynisme à l’emporte-pièce est injustifié.
Richard Martineau
Photo : Éric Labbé.
Professeur de sciences politiques à l’Université de Montréal, ANDRÉ BLAIS se spécialise dans l’étude des comportements électoraux. Selon lui, les jeunes sont beaucoup trop critiques vis-à-vis des politiciens. Leur cynisme à l’emporte-pièce est injustifié.
On parle beaucoup de la désaffection des jeunes envers la politique. Est-ce une réalité ou est-ce un mythe?
Écoutez, ça dépend de ce qu’on entend par désaffection. Si l’on parle d’intérêt envers la politique, je ne suis pas d’accord: je crois que les jeunes sont encore intéressés par ce qui se passe dans le monde politique. Mais la grande différence, c’est qu’ils ne votent pas. Non seulement votent-ils moins que leurs parents, mais ils votent moins que les jeunes des générations précédentes. Et l’écart entre les générations concernant la participation électorale est encore plus important qu’avant.
Ils sont plus cyniques?
Pas nécessairement. En fait, je les trouve même moins cyniques que leurs aînés. Mais la valorisation du politique chez les jeunes est nettement plus faible qu’il y a 20 ans. Avant, il y avait un noyau de jeunes pour qui la politique était quelque chose d’extrêmement important; aujourd’hui, ce noyau dur a fondu.
Cela dit, le cynisme n’est pas seulement négatif! Il peut aussi être une force positive: c’est grâce au cynisme que les politiciens se sentent surveillés. Le problème, c’est le fameux retour du balancier: on est passé d’une trop grande naïveté à un trop grand cynisme. Et ce cynisme à l’emporte-pièce, qui veut que tous les politiciens soient pourris, corrompus et incompétents, me semble démesuré et non justifié. Ce n’est pas vrai que tous les politiciens s’équivalent, et que dans le milieu de la politique, c’est bonnet blanc et blanc bonnet. Le niveau de corruption, par exemple, est plus faible qu’il ne l’était il y a 30 ans… À force de jeter le bébé avec l’eau du bain, on perd de vue tout le potentiel qu’il y a en politique.
Mais on a l’impression qu’ils ont tous le même programme, qu’ils ne peuvent faire aucune différence, surtout dans le domaine de l’économie, qui est de plus en plus régi par des forces extérieures…
Écoutez, c’est sûr que la politique ne joue plus un rôle aussi déterminant qu’avant, mais elle peut encore faire une différence. Lorsqu’on étudie un indicateur comme les dépenses gouvernementales, par exemple, on se rend compte qu’il y a une différence notable entre les partis de droite et ceux de gauche. Ces derniers ont tendance à dépenser plus d’argent dans l’éducation, la santé, etc. L’effet n’est pas énorme (après tout, on assiste partout à une diminution du rôle de l’État), mais il est systématique.
Quoi qu’on en dise, les politiciens jouissent encore d’une certaine marge de manoeuvre. Elle n’est pas aussi grosse qu’avant, à cause du taux d’endettement, mais elle existe. Et il est injuste d’affirmer que les politiciens ne servent à rien et qu’ils ne peuvent pas agir sur la situation économique… Il y a quand même une différence entre le programme économique de l’Alliance et celui du NPD!
Les manifestants antimondialisation ont-ils raison de dire que les accords de libre-échange ne profitent qu’aux gros pays?
Je suis politologue. Il faudrait poser la question à un économiste! Mais toutes les théories économiques laissent entendre que les accords de libre-échange profitent aux petits pays. Ce sont d’ailleurs eux qui demandent la tenue de Sommets comme celui qui s’est déroulé à Québec! Le Congrès américain, lui, est plutôt protectionniste, et voit ce genre d’accords d’un mauvais oeil…
Cela dit, on peut comprendre les inquiétudes de certaines personnes, car les effets bénéfiques des accords de libre-échange se font sentir surtout à long terme. À court terme, il y a des problèmes de transition.
Tout gros changement comporte sa part de risques. Il y a des risques dans la mondialisation. Mais je crois qu’on les surestime grandement…
Les manifestants disent aussi que ces accords sont antidémocratiques…
Personnellement, je crois que ces accords devraient être entérinés dans chacun des pays participants par le biais de référendums nationaux. Ça m’apparaît essentiel. Mais que les représentants de plusieurs pays se réunissent et explorent diverses avenues possibles ne me semble pas antidémocratique a priori.
Les groupes qui participaient aux manifs de Québec disent représenter la société civile. Or, lorsqu’on observe les sondages et la piètre performance du NPD aux dernières élections fédérales, on se rend compte que les citoyens sont en fait pour la mondialisation, et non contre!
Effectivement, les vues de ces groupes ne sont pas partagées par la population en général. Les citoyens se posent des questions quant aux effets de la mondialisation, mais ils ne partagent absolument pas l’opposition forte et très peu nuancée des groupes qui ont manifesté à Québec. Contrairement à ce qu’ils disent, ces groupes ne représentent pas la société civile: ils représentent leurs membres, c’est tout.
Leur impact n’est pas négligeable (les manifestants ont quand même réussi à se faire entendre, et à mettre les politiciens sur leurs gardes), mais ce mouvement n’est pas aussi fort qu’ils le proclament…
Quant à savoir si c’est un effet de mode ou la naissance d’un véritable mouvement, il est encore trop tôt pour affirmer quoi que ce soit. Mais une chose est sûre: on ne peut pas écarter le point de vue de ces manifestants. Ils n’ont pas peur d’assumer les coûts de leurs prises de position, et cela mérite notre respect.