

Casa del Popolo : Nouveaux visages
Comme tous les printemps, nous vous présentons un bouquet culturel qui fleurira tout au long de l’année. Ils sont acteurs, cinéastes, musiciens, auteurs ou bédéistes; et, pour la première fois cette année, nous avons choisi de mettre en lumière l’un de ces lieux qui font vivre la culture à Montréal. Bienvenue à la Casa del Popolo, où l’on vous nourrit le corps en vous remplissant l’esprit.
Nicolas Tittley
Photo : Rawi Hage
Le 15 mai, la Casa del Popolo fêtera son premier anniversaire d’activités sur le boulevard Saint-Laurent. Si, par un bel après-midi de printemps, l’envie vous prenait de vous arrêter dans ce petit café sis au sud du boulevard Saint-Joseph, vous auriez peine à croire qu’il s’agit de l’un des plus importants foyers culturels de la Métropole. Pourtant, en jetant un coup d’oeil au tableau noir annonçant les concerts à venir, vous auriez une bonne idée de l’importance grandissante de la Casa dans le paysage musical montréalais.
Du free jazz à l’électro expérimental, du folk intimiste à la musique actuelle, toutes les musiques de la marge y sont représentées. Ajoutez les lancements, vernissages, comic jams et autres soirées de performance et de poésie, et vous avez une programmation culturelle aussi riche que variée. Ce qui est d’autant plus étonnant que les concerts ont lieu presque tous les soirs; en fait, les noms de groupes et d’artistes sont tellement nombreux que le tableau n’a plus de noir que le nom.
Il y a un an, pourtant, rien ne laissait présager un tel déferlement d’activités. Mauro Pezzente et Kiva Stimac, les maîtres des lieux, avaient simplement réussi à concrétiser un rêve qui les travaillait depuis quelques années. L’idée était simple: créer un lieu sympathique et abordable, qui réunirait deux passions, la musique et la cuisine végétarienne. Kiva allait se charger des fourneaux, créant de délicieux sandwichs qu’elle vend à des prix ridiculement bas. Mauro, déjà bien impliqué sur la scène musicale montréalaise à titre de bassiste de Godspeed You Black Emperor!, allait se charger du volet musical. "On n’a pas beaucoup réfléchi lorsqu’on s’est jetés à l’eau", lancent-ils en choeur. "On avait cette idée en tête et cette salle, qui abritait autrefois l’Artishow, s’est libérée; comme je trouvais dommage de voir une autre salle fermer, on a sauté sur l’occasion. En plus, c’est près de chez moi et de chez mes amis, alors le choix a été facile", fait remarquer Mauro.
"Je pense qu’on ne savait pas trop dans quoi on s’embarquait, lance Kiva en souriant. Qui aurait cru que ça pouvait être si compliqué? Les règlements municipaux, les permis, la gestion de personnel, les journées de 20 heures…" Des regrets? "Non, jamais, réplique Mauro. Même si je suis stressé en permanence, même si j’ai perdu 25 livres depuis l’ouverture, je me sens vraiment bien. On a maintenant une vision plus claire de ce que l’on veut accomplir avec la Casa. Et même si plusieurs personnes nous ont dit que c’était un endroit formidable, on sait que c’est un work in progress et qu’il y a encore beaucoup à faire. On n’a pas le temps d’avoir des regrets."
Des regrets, ce ne sont certainement pas les musiciens de Montréal qui en auront: grâce à la Casa, les acteurs de l’avant-garde musicale montréalaise, toujours en quête d’un lieu permanent et audacieux, peuvent maintenant se produire régulièrement. Bien sûr, on y croise pratiquement tous les groupes amis ou satellites de Godspeed (les membres du label Alien8, 2-Speed Bike, Molasses, Detention, etc.); mais on retrouve également de plus en plus d’artistes étrangers. Par la force des choses, les deux petits entrepreneurs sont aussi devenus producteurs ("et agents de voyages, et relationnistes", ajoute Mauro; "n’oublie pas afficheurs", poursuit Kiva), invitant des musiciens étrangers qui n’auraient jamais songé à s’arrêter à Montréal auparavant. "Pour la plupart des tourneurs, Montréal est un marché de seconde zone où il ne fait pas bon s’arrêter, déplore Mauro. Le tourneur d’Arab Strap, par exemple, ne voulait même pas les faire venir ici!" "Je pense qu’on peut changer les choses; dans ce cas-là, on a insisté et le show affichait complet après deux jours", poursuit Kiva. En fait, le concert a connu un succès tel qu’il a fallu le déplacer en face, dans les locaux du Centre culturel espagnol. L’expérience a été tellement concluante que la Casa a décidé d’en faire une annexe permanente où l’on présentera des concerts pouvant attirer de 200 à 300 personnes, une addition bienvenue à Montréal. Les choses vont tellement bien que La Casa a même annoncé qu’elle tiendrait un off-Festival de Jazz, avec des noms aussi prestigieux que le Chicago Underground Duo, Pauline Oliveros, Tim Berne, Mat et Joe Manieri et bien d’autres.
Mais pas question d’aller plus loin dans l’expansion, car Mauro et Kiva tiennent à continuer à appliquer leurs principes de base: payer les groupes de façon décente (ils obtiennent 100 % du prix des billets) et les traiter de façon à ce qu’ils se sentent comme chez eux, de manière à ce qu’ils reviennent. "Au départ, il n’était pas du tout question de nous mettre à produire nous-mêmes des shows, explique Mauro. On s’était dit qu’on aurait un lieu pour permettre aux musiciens locaux de jouer, sans plus. Mais peu à peu, on s’est rendu compte du privilège qu’on avait: on a notre propre salle, alors pourquoi ne pas y inviter des artistes qu’on aime? Imagine, j’ai fait venir Peter Brötzmann chez moi! On peut avoir les meilleures places, voir les artistes qui nous font triper et même boire une bière ou fumer un joint avec eux après le concert. Que demander de plus?"
Casa del Popolo
4873, boulevard Saint-Laurent
www.casadelpopolo.com
Elizabeth Anka
Par Frédéric Boudreault
Photo : Stephan Côté
Un coup de poing. En six chansons, l’auteure-compositrice-interprète montréalaise Elizabeth Anka a planté son univers bien personnel: spontané, direct, tantôt rugissant, tantôt doux, capable de passer d’un extrême à l’autre, souvent pendant le même refrain. Après avoir écumé les bars et les petites salles pendant plus de cinq ans, Anka a lancé, cet hiver, son premier démo, en vente dans quelques magasins. Plusieurs critiques positives, une présence à la télévision, un bouche à oreille intense, l’impact s’est avéré plus important que ce que la chanteuse espérait. On a évoqué PJ Harvey, Patti Smith ou Courtney Love, sauf qu’Anka n’en a rien à faire des comparaisons, elle trace son propre chemin. Elle nous invite dans sa bulle: on aime ou on n’aime pas. "Je voudrais qu’on arrête de me comparer; qu’on me parle de ma musique. Mais je comprends qu’il peut être facile de regarder ailleurs pour bien saisir un artiste, pour mieux le situer", explique-t-elle.
Au départ, Elizabeth Anka était toute seule avec sa guitare, mais elle s’est entourée progressivement de Mark Peetsma à la basse, et du batteur de Voïvod, Michel Langevin, qui est tombé sous le charme après l’avoir entendue dans la rue. Avec eux, elle a enregistré en studio 30 chansons, pour finalement en choisir six. Pour la chanteuse, la musique, c’est comme le parachute, un sport qu’elle affectionne particulièrement: "Avant de sauter, tu essaies de contrôler ta nervosité. Il faut respirer, te concentrer. Si tu vaincs ta peur, rien ne peut t’arriver. Ça se joue en deux secondes. C’est la même chose pour la musique. Avant un spectacle, je ressens la même nervosité; sauf que si je rate un show, je peux recommencer, alors que si je manque un saut, je vais m’écraser par terre."
Prochaine étape pour Elizabeth Anka: elle doit maintenant partir à la recherche de son premier contrat de disque, et on lui souhaite sincèrement de réussir. Pour qu’elle puisse enfin avoir la reconnaisance qu’elle mérite et ainsi se payer d’autres sauts.
La Chango Family
Par Eric Parazelli
L’aventure de La Chango Family dure depuis à peine un an que, déjà, plusieurs voient en cette joyeuse bande à l’esprit gitan totalement actualisé un potentiel festif et rassembleur qui pourrait faire des ravages. Grande gagnante de la dernière édition des Francouvertes, La Chango Family a beaucoup profité de cette expérience "étrange", selon les dires de Lundo, le charismatique leader de cette famille reconstituée de 10 membres (11 si l’on compte le petit Tao, enfant de Lundo et de la choriste Maruschka, qui est vite devenu la mascotte du groupe). Selon Lundo, la réussite des Francouvertes a curieusement fait trembler certains membres: "J’ai dû travailler fort pour ressouder les liens et faire en sorte de repartir sur des bases solides avec des gens qui veulent s’impliquer à fond dans le trip."
Un trip qui les amènera à participer à plusieurs festivals importants durant l’été, et qui atteindra son point culminant cet automne, alors que l’on devrait pouvoir se mettre un premier album entre les deux oreilles. "Le défi sera d’obtenir un son professionnel sans mettre de côté notre esprit festif et spontané, explique Lundo. Et je crois que la meilleure façon de le faire, c’est d’enregistrer dans l’urgence, question de faire monter la fièvre, et de laisser des gens compétents s’occuper de recueillir tout ça sur bande."
"Depuis quelque temps, conclut-il, on n’arrête pas de se dire "merci la vie!". Il paraît que lorsqu’on croit très fort en quelque chose, ça arrive; ehbien c’est tout à fait vrai. Et on essaie d’honorer par le travail ce petit clin d’oeil de la vie et de toutes les personnes qui nous appuient et nous encouragent depuis le début. Car c’est dans ces moments-là qu’on doit redoubler d’effort et d’humilité. Et c’est pour ça qu’on travaille comme des malades: pour que l’été qui vient soit à la hauteur des attentes."
Akufen
Par Nicolas Tittley
Certains vous diront qu’il ne s’agit pas vraiment d’un nouveau visage, puisque âgé de 35 ans, Marc Leclair oeuvre dans le milieu de la musique électronique depuis le milieu des années 80. Mais après des années de vaches maigres, il semble bien que, en 2001, tout commence à lui sourire. Sous son pseudo d’Akufen, Leclair est en train de se tailler une réputation enviable sur la scène internationale de l’électro dite "intelligente".
"Je n’aime pas du tout cette expression, pas plus que celles de "house minimal" ou de "techno abstrait" qu’on me colle sans arrêt, intervient-il. Moi, je fais de la musique électronique, c’est tout; et même si j’expérimente avec les textures et le rythme, j’essaie toujours de garder un côté ludique et dansant."
C’est l’an dernier, lors de la première édition de Mutek, qu’Akufen est carrément venu au monde. "Pour tous les musiciens de Montréal, ç’a été une véritable ouverture, on pouvait enfin être côte à côte avec les gens qu’on admirait depuis des années, et ce sont eux qui m’ont permis d’avoir une reconnaissance en Europe." En effet, après avoir lancé quelques vinyles bien accueillis sur des étiquettes locales comme Hautec et Oral, Akufen s’est retrouvé, pour reprendre sa propre expression, dans "les ligues majeures", grâce au patronage de vedettes comme Thomas Brinkmann et Matthew Herbert. Dans les prochains mois, il lancera une pelletée de vinyles pour le compte de maisons allemandes réputées comme Traum, Kompakt et Perlon, ce qui devrait porter le total de sa production à plus d’une vingtaine de disques! Après son passage au prochain Mutek, Akufen ira tourner (et probablement s’installer) en Europe, mais ses rêves d’avenir visent Montréal. "J’aimerais, dès cet automne, fonder mon propre label, qui s’appellera Risqué, ainsi qu’un studio d’enregistrement. Il faut canaliser tout le talent qu’il y a ici, car, à mon avis, Montréal est en train de devenir une ville aussi importante que Detroit ou New York sur la scène électronique. Ce n’est pas du wishful thinking, c’est du sérieux!" On ne demande qu’à le croire…
Danic Champoux
Par Juliette Ruer
Danic Champoux n’est pas ravi. Son film, Mon père, vient d’être vu au Festival international du cinéma documentaire de Nyon, en Suisse, et "ils n’ont rien compris, il aurait fallu sous-titrer", déclare-t-il. Dommage que les Suisses aient tiqué sur l’accent, et dommage que le sous-titrage n’aille pas de soi, car ce film de 26 minutes, qui a gagné le premier prix Pierre et Yolande Perrault, pour le meilleur espoir documentaire, lors des derniers Jutra, mérite de traverser les frontières. Un premier film ressemble à un premier livre: on parle de soi et, dans ce cas-ci, d’un père énigmatique et absent, qui travaille de chantier en chantier, loin des siens. L’amorce de dialogue, à Alma, entre un homme et son fils devient vite un portrait original, sensible et sensé de ces travailleurs itinérants qui cherchent des justificatifs à cet éloignement souvent douloureux. La démarche est délicate, et le film, touchant, à la fois habile et respectueux. Champoux, 24 ans, vient de Sorel; une ambiance plus hockey, boxe, que cinéma ou école. À 19 ans, il part faire La Course autour du monde. En revenant, ne voulant toujours rien savoir de l’école, il saute de pige en pige: Pixcom, MusiquePlus, etc.; et puis, avec la défunte collection Libres Courts de l’ONF, il a l’occasion de réaliser ce film. "J’ai pris la palme d’or des grands thèmes sociaux du Québec, dit-il. On fait les films qui nous concernent. Mon grand-père était marin, et je me suis penché sur la réflexion du père absent; mais c’est difficile d’affronter son père, il faut éviter les règlements de comptes. Il y a une gêne et des mots qui ne sont pas censés sortir." Fier du résultat et des éloges, la piqûre cinéma semble prise; Champoux fait partie de la coopérative Les Films de l’Autre et a en tête quatre documentaires et deux fictions. On ne peut jurer de rien, mais Champoux ressemble à du talent brut. À surveiller.
Yann Langevin
Par Juliette Ruer
Trente-trois ans, breton d’origine, curieux de nature et de plus en plus réalisateur: Yann Langevin a fait très fort ces deux dernières années. Il a reçu ses papiers d’immigration, il a écrit et coréalisé Guantanamera Boxe et, par l’entremise de l’ONF, a fait un film sur l’écrivain Maurice Dantec, intitulé Opération Dantec. Avant cela, il avait participé à cette aventure formidable de Venez on tourne!, une idée qui n’est pas encore enterrée, et qui rassemblerait, en séries, des films de famille de toute la province. Et puis, il y eu Cuba: "Avec Orlando Arriagada et Richard Jean-Baptiste, on a cherché ce qu’il pouvait y avoir derrière l’idée très générique de la boxe et de Cuba. On est partis, et, en un mois, on a tourné Guantanamera Boxe. On a vu des enfants embrigadés, un petit pays qui veut devenir grand, et on a voulu montrer que Cuba n’est pas si égalitaire que cela. Bref, on a passé quelques soirées à discuter d’éducation et de politique!" explique-t-il. Un film politique et sensible, avec des ambitions immenses, des espoirs déçus, et un acharnement parfois douloureux. Un certain mutisme aussi de la part de ces jeunes obstinés; "parce qu’ils avaient l’ordre de l’être", répliquera Langevin.
Opération Dantec fut plus complexe… et moins satisfaisant. "J’ai rencontré ce gars par hasard, je l’ai trouvé intéressant comme personne et comme brasseur d’idées; il est très volubile et ses mots sont comme des murs de briques qui te tombent sur le dos." Mais peu ravi des compromis à faire sur les paroles de cette grande gueule, Langevin regrette le rendu un peu prétentieux du film: "Je voulais quelque chose de plus punk, de plus sale dans les propos; mais ça m’a appris qu’il faut lutter pour ce qu’on veut." Inconditionnel de Depardon, admiratif de Perrault et de ce qui peut ressembler à du cinéma alternatif, Yann Langevin envisage de continuer à se perfectionner en cinéma et à en vivre. Sans être pressé pour la fiction, il a déjà en tête un autre documentaire.
Hugues Sweeney et l’équipe de
Bande à part
Par Nathaie Collard
La convergence des médias n’a pas que de mauvais côtés. Au neuvième étage de la tour de Radio-Canada, dans l’anonymat des bureaux beiges et des séparateurs en tapis, l’équipe de Bande à part est en train de réinventer la façon dont on conçoit les médias.
À l’origine, Bande à part est une émission de radio hebdomadaire (vendredi 20 h) consacrée aux nouveaux courants musicaux, et conçue par Vincent Martineau.
Sous l’impulsion de Sylvain Lafrance, vice-président de la radio française et des nouveaux médias, Bande à part est devenu un nom générique (un brand) qui symbolise l’expérimentation à Radio-Canada.
Sur le site Internet (www.bandeapart.fm), on retrouve des portraits d’artistes, des reportages et des captations de spectacles mettant en vedette des groupes comme ArseniQ33, Les Vulgaires Machins ou Mass Hysteria.
"Bande à part, c’est un concept, un état d’esprit", explique Hugues Sweeney, coordonnateur du contenu.
Avec une petite équipe (une recherchiste, un développeur, deux intégrateurs Web et deux reporters, dont notre confrère Eric Parazelli), Bande à part a hérité d’un gros mandat: rejoindre les jeunes de 12 à 30 ans, un public pratiquement ignoré par Radio-Canada. Mais comme le fait remarquer Sweeney, la musique émergente, "ce n’est pas un groupe d’âge, c’est une attitude".
L’automne prochain, l’"esprit" Bande à part se transportera à la télévision, dans un format hebdomadaire de 30 minutes (un condensé du site Internet) diffusé sur la nouvelle Télé des Arts.
"On mène une mini-révolution dans notre approche, notre façon de concevoir la programmation et de structurer le travail, affirme Sweeney. Quand on prépare un reportage sur un groupe, par exemple, on doit considérer qu’il sera diffusé sur plusieurs plates-formes. Cela nous oblige à penser et à produire l’information différemment. Nous fonctionnons comme un véritable laboratoire."
Sweeney revient du Printemps de Bourges où il a rencontré plusieurs représentants de médias européens. "J’ai réalisé que nous sommes vraiment un pas en avant de tout le monde", dit-il. Radio-Canada à l’avant-garde? Pourquoi pas.
Hélène Bard
Par Pascale Navarro
Hélène Bard a publié cet hiver un premier roman aux Intouchables: La Portée du printemps. Elle signait un récit bien fignolé, plein de trouvailles, dans lequel une veuve, frappée par la mort accidentelle de son mari, se confie à un journal intime. Au coeur du récit, Solange Racine-Clavet découvre que feu son comptable de mari avait écrit un roman, Voyage d’hiver, sans lui en parler. Connaît-on jamais les gens avec qui l’on vit? Et qu’était-ce que ce livre? Que révélait-il? "Je suis allée chercher les grandes lignes de ce roman en littérature, plus précisément chez Italo Calvino, explique Hélène Bard, 26 ans, citant Si par une nuit d’hiver. Je voulais faire quelque chose autour de la réception d’une oeuvre. Et montrer qu’un livre existe surtout parce que les gens en parlent. C’est comme ça dans les cours de littérature: tout le monde n’a pas lu les classiques, mais tout le monde en parle!" Pour la jeune étudiante au doctorat (en création littéraire à l’Université Laval), qui dit s’inspirer d’Anne Hébert pour la forme, et de Jacques Poulin pour l’émotion, c’est ce qu’on dit des livres qui les font exister. Et malgré des réactions plutôt tièdes chez les éditeurs à qui elle a envoyé son manuscrit, son oeuvre a fini par trouver sa voie. "Tous me répondaient par la phrase classique: Ça ne cadre pas avec nos attentes", confie Bard. Mais c’était mon plus grand rêve que de publier un jour, et je savais que ça finirait par arriver." Tout le monde le sait: la détermination a bien meilleur goût.
Jean-Sébastien Huot
Par Pascale Navarro
Jean-Sébastien Huot a fondé la revue Gaz Moutarde à 18 ans. Il y publiait de la poésie, et s’imposait au monde littéraire, même s’il le faisait de manière underground. Ayant lui-même créé son propre moyen d’expression, Huot a développé au long des années une confiance face à la littérature et à l’écriture. À 30 ans cette année, il se lance dans le roman pour une première fois. Lui qui a déjà publié de la poésie atteint certainement un plus large public avec Le Portrait craché de mon père (Éd. de l’Hexagone); mais, pour Huot, il s’agit toujours de la même démarche. "Simplement, précise le jeune auteur, ma recherche m’a amené, cette fois, du côté du roman. C’était un travail sur la mémoire, sur le fragment, qui a pris cette forme narrative. Et puis, bien que je n’abandonne pas la poésie, le roman représente une étape de plus dans mon parcours d’écrivain." Car Huot se voit comme tel, sans problème, sans fausse modestie. "C’est même important pour moi, dit-il, de me définir comme un écrivain. C’est ce que je veux, ce que j’ai toujours voulu. Même si l’on vit à une époque, comme le dit Kundera, où tout le monde écrit son roman, je considère que j’ai ma place. Je me sens appartenir à un milieu, à un groupe." Après avoir signé un premier roman courageux et remarquable, dans lequel il raconte une enfance marquée par la violence du père, Huot en prépare un second, pour lequel il a soigneusement recueilli des notes de voyages.
My Lan To
Par Pascale Navarro
Elle a 26 ans, étudie la médecine à Ottawa, et s’apprête à commencer sa résidence en médecine familiale à Gatineau. My Lan To, dont le nom rappelle ses origines vietnamiennes et chinoises (elle a aussi un parent français, et est née à Ottawa), publiait son premier roman à l’automne 2000: Cahier d’été (Éd. Triptyque), très bien accueilli par la critique. "J’avoue que j’étais ravie, confie My Lan To. L’écriture a toujours fait partie de ma vie, et cela m’encourage à continuer à écrire, tout en exerçant mon métier de médecin. Évidemment, il faudra que je sois disciplinée…" L’écriture fait également partie de la vie de son héros, Gabriel, qui en découvre, à 17 ans, toute la puissance, au cours d’un été passé à la campagne avec ses parents et son frère. D’une grande simplicité, le court récit de My Lan To révélait l’un des enjeux majeurs de l’écriture: les racines de la création, que sondait, malgré ses peurs, le jeune Gabriel. My Lan ne semble pas, elle, angoissée à l’idée d’écrire. "Pour moi, écrire est plutôt libérateur: cela me permet de faire un retour sur moi-même, et sur ce qui m’entoure. Il ne faut pas avoir peur de décortiquer, d’analyser, et l’écriture permet cela." Influencée par Beckett à l’âge de 13 ans ("mais plus vraiment aujourd’hui", précise-t-elle) My Lan dit aimer la vie solitaire de l’écrivain. "Disons que l’aspect salons, entrevues et tout ça, ce n’est pas ce qui m’attire… de prime abord. Mais je commence à m’y faire, et même, parfois, à y prendre goût."
Isabelle Roy
Par Marie Labrecque
Photo : Anick Filiatreault
Le rêve était clair dans la tête d’Isabelle Roy depuis longtemps: elle serait comédienne. "J’ai fait beaucoup de théâtre à Québec; avant de rentrer à l’École nationale, j’avais ma troupe, raconte-t-elle. C’est un besoin viscéral, je pense. Je ne peux pas imaginer la vie sans ça. Je pense que je serais bien malheureuse, il me manquerait quelque chose de fondamental. C’est ma façon de m’exprimer. C’est nécessaire à ma survie (rires)."
Et la tournure des événements semble donner raison à la comédienne de 28 ans. Depuis sa sortie de l’École, en 1998, alors enceinte, et après une pause le temps de mettre au monde une petite fille, Isabelle Roy a tenu notamment un petit rôle dans la reprise de Willy Protagoras, de Wajdi Mouawad, et fait beaucoup de radio, un médium qu’elle chérit.
Mais c’est la saison théâtrale qui s’achève qui l’a vraiment révélée, l’interprète enfilant trois rôles dans de grosses productions: La Reine morte au Théâtre Denise-Pelletier, Le Langue-à-langue des chiens de roche au Théâtre d’Aujourd’hui et Macbeth au TNM. Elle dit avoir beaucoup appris et évolué au contact de camarades d’expérience.
Si Roy a démontré dans ses spectacles un coffre et une voix taillés pour les rôles de répertoire, on la sent particulièrement tentée par la création. En fait, l’actrice est passée sans heurt de la punkette écervelée de l’underground Ceci n’est pas un road-movie, à la digne Infante du classique de Montherlant… "J’ai adoré ça, jouer la niaiseuse, rigole-t-elle. Car j’ai rarement incarné ce genre de rôle-là. J’ai fait beaucoup de filles très fortes, et aussi des personnages très jeunes. On dirait que j’inspire ça."
L’an prochain, Isabelle Roy jouera une jeune fille de 15 ans dans Une si belle chose (Beautiful Thing), de Jonathan Harvey, mise en scène par Éric Jean, au Théâtre du Rideau Vert. Puis, on la verra dans Blasted, un texte "assez violent" de Sarah Kane, monté par Stacey Christodoulou au Quat’Sous. Elle campera plutôt une victime, cette fois…
Patrick Hivon
Par Luc Boulanger
Photo : Anick Filiatreault
En mars dernier, à la conférence de presse de la 50e saison du TNM, c’est cigarette au bec que Patrick Hivon posait pour les photographes avec la troupe qui défendra Les Joyeuses Commères de Windsor, en janvier 2002. Déjà, ce comédien, qui a eu 25 ans en l’an 2000, se démarquait de la joyeuse ribambelle promotionnelle.
Ce jeune homme a une grande gueule et beaucoup de caractère. C’est un gars de party qui se passionne autant pour la littérature, l’écologie ou la… boxe.
Patrick Hivon est diplômé de l’École nationale de théâtre du Canada depuis à peine un an. Il y a travaillé, entre autres, avec Alice Ronfard, André Brassard, Philippe Soldevila et Wajdi Mouawad. Sur sa feuille de route ne figure qu’un seul rôle important sur les planches en tant que professionnel: Charles, le jeune écorché en quête d’amour dans Le Langue à Langue des chiens de roche, de Daniel Danis. Une seule prestation, mais assez pour que la critique reconnaisse une nature, un charisme et une présence: le propre des meilleurs interprètes.
"C’est un vrai, lance René Richard Cyr qui l’a dirigé dans cette production à l’affiche du Théâtre d’Aujourd’hui, en janvier dernier. C’est un acteur qui cherche la vérité au théâtre, mais aussi hors des planches, dans les rapports humains en général. Il me touche beaucoup. Et c’est un gars très intègre qui, je crois, le restera tout au long de sa vie dans ses choix de carrière."
Emmanuel Jouthe
Par Valérie Letarte
Photo : Stéfane Côté
En tant qu’interprète, Emmanuel Jouthe a dansé pour Daniel Soulières, Pierre-Paul Savoie, Félix Ruckert, et Paul-André Fortier, avec qui d’ailleurs il continue de tourner. En tant que chorégraphe, le jeune créateur de 30 ans nous a déjà donné, entre autres: F, H… les petites morts de la paume, Le Sabot de Mahogani, Et si je gouvernais ma légèreté et Attention Morgane. Il y a six ans, dans le but de partager les ressources matérielles et humaines, il fondait Danse Carpe Diem, regroupement d’interprètes et de chorégraphes, aujourd’hui devenu sa propre compagnie de danse. Enthousiaste, lucide, ouverte, sa vision des choses témoigne d’une remarquable souplesse vis-à-vis de l’interprète: "Je me focalise sur les gens avec qui je travaille. J’aime que la danse se défende à travers l’interprète, cette personne qui est sur scène avec sa poésie. Je profite de la sincérité des "accidents" en répétition, je me laisse inspirer par leur magie."Du 18 au 27 mai, on pourra voir 3 Centauromachia 4, commandée par le Canada Dance Festival et par Dance Immersion, l’an dernier. La pièce, qui a pris naissance à Tangente, a, depuis, beaucoup évolué, passant de sept à cinq interprètes. Elle sera cette fois dansée par Ève Lalonde, Julie Beaulieu, Caroline Cotton, Claudia Péloquin et Rachel Worth. "Toutes des danseuses, car il s’agit ici de mon rapport avec les femmes. Depuis plusieurs années, j’évolue dans un monde très féminin, et cette chorégraphie est le résultat de ce que j’ai ressenti, perçu, compris (et pas compris!) d’elles!"
3 Centauromachia 4
Du 18 au 27 mai
À Tangente
Benoît Loiselle
Par Serge Camirand
En janvier dernier, l’Orchestre Métropolitain présentait un concert où se sont distingués de jeunes solistes d’ici, lauréats de différents prix, dont Benoît Loiselle, Prix d’Europe 1999, dans le Premier Concerto pour violoncelle de Camille Saint-Saëns, ouvre qui, entre les mains de ce jeune musicien (il est né en 1976), prenait de réelles dimensions, d’une part par l’absolue justesse de son jeu, d’autre part par l’intériorité qu’il y manifestait.
Actuellement à Gstaad, Loiselle est en stage de perfectionnement avec l’ensemble Camerata Lysy. "Je serai en Suisse jusqu’en septembre, confie l’apprenti virtuose. Je compte rester au Québec l’an prochain, mais je ne considère pas devoir arrêter de prendre des conseils de maîtres ou de collègues. On doit continuer à échanger même si la présence régulière du maître n’est plus nécessaire."
Il ne faut pas oublier que Benoît a déjà fait du tango. "Je compte y revenir de temps à autre. Je vais d’ailleurs jouer un tango de José Bragato avec l’Orchestre de chambre de Hull au printemps prochain. C’est une ouvre vraiment magnifique, pour violoncelle et cordes, et j’ai reçu la musique du compositeur lui-même à Buenos Aires. Bragato était un grand ami de Piazzolla."
Par ailleurs, il y a quelques propositions de disque solo dans l’air, mais rien de définitif pour l’instant. Souhaitons-lui cependant qu’un orchestre l’invite bientôt à interpréter le Don Quichotte de Richard Strauss, "une ouvre que j’adore, avoue Loiselle. C’est une grande ouvre car on y retrouve tout: de la noblesse, de la folie, de l’humour, de l’amour, de la piété et de l’idéalisme à la tonne! J’imagine qu’en l’interprétant, on doit être confronté aux limites de sa propre imagination".
Yan Giguère
Par Nicolas Mavrikakis
À la Galerie Vox, dans une semaine exactement, débute son expo intitulée Chavirer. Et la critique attendra avec grande impatience ce solo de Yan Giguère qui risque d’être bien renversant si cet artiste, dans la jeune trentaine, poursuit son travail photographique avec la même intensité et le même sens de l’image que dans ses quelques prestations précédentes.
Il faut dire que les images de Giguère ont de quoi faire vaciller les repères visuels du spectateur! Une de ses photos, exemplaire de sa production, le montrant avec sa tendre copine en train de dévaler sur une luge une pente enneigée, est à cet égard tout à fait stupéfiante. Le bonheur de vivre s’y étale dans une splendide composition, sens dessus dessous, digne héritière de Moholy-Nagy et des expérimentations visuelles du Bauhaus. Un véritable éclat de joie et de beauté. D’autres de ses clichés frôlent l’abstraction, faisant disparaître toute échelle de grandeur et tout repère spatial. Le regard s’y perd, et n’arrive plus à retrouver de point d’ancrage.
Giguère souhaite que "pour le spectateur ces images représentent une perte de contrôle au niveau de la lecture, dans la manière habituelle de décoder une image". Ainsi il renoue avec ces moments "lorsqu’on est petit et qu’on se fait donner la bascule; ou bien avec l’expérience de la plongée sous-marine. On y oublie la notion de haut et de bas, les façons habituelles d’appréhender le monde". Une expérience de la vie bouleversante, presque sublime, mais sans la mélancolie des romantiques.
Généralement, ses accrochages – des foisonnements d’images parfois très petites et éparpillées comme une constellation d’étoiles – renforcent cette idée de mettre en éclats l’ordre stable du monde. À notre époque assez aseptisée par l’esthétique publicitaire, voilà une manière de faire bien rafraîchissante.
Étrangement, même si Yan Giguère a été présent sur la scène québécoise depuis quelques années – lors d’Artifice et Travail en cours à la Galerie Clark, entre autres -, son travail parfois très intimiste n’a pas eu vraiment droit aux feux de la rampe. Voilà qui est corrigé!