Le tourisme spatial : Le septième ciel?
Société

Le tourisme spatial : Le septième ciel?

Depuis le voyage de l’Américain Dennis Tito, tous les espoirs sont permis quant à la possibilité de s’envoler pour l’espace. À tel point qu’une véritable industrie du tourisme spatial se développe actuellement, avec des projets d’hôtels, de bases lunaires et de vols à haute altitude. Le tourisme dans l’espace, une vaste lubie issue de la science-fiction?

Presque 40 ans jour pour jour après le vol inaugural du cosmonaute soviétique Iouri Gagarine, le multimillionnaire californien Dennis Tito est devenu à 60 ans le premier touriste de l’espace. Ces vacances orbitales de huit jours lui auront coûté pas moins de 20 millions de dollars américains, coquette somme payée aux Russes avant le 28 avril, jour du départ de la navette Soyouz en direction de la Station spatiale internationale (ISS). "Ce fut une expérience incroyable", a déclaré Tito avec enthousiasme, dimanche, lors de son retour triomphal. D’ailleurs, son "expérience" pourrait bien se répéter. Car si ce "touristonaute" est qualifié de "premier", il n’est certes pas le dernier…

"Tito vient d’ouvrir la voie. Il suffit de la suivre et de développer le tourisme spatial pour tous", lance Buzz Aldrin lors d’une courte entrevue téléphonique. Deuxième homme à avoir marché sur la Lune, mais le premier à y avoir pissé dans son froc (sans blague!), Aldrin se veut le plus grand promoteur du tourisme spatial. Pour ce faire, l’aventurier septuagénaire dirige Share Space, une organisation sans but lucratif qu’il a fondée afin de promouvoir le voyage spatial auprès des citoyens, et parcourt le monde pour prononcer des conférences sur son sujet-chéri: la démocratisation de l’espace. Dans son roman futuriste coécrit avec John Barnes en 1996, Encounter with Tiber (dont une suite paraîtra bientôt), Aldrin met justement en scène des personnages vivant dans des habitations perchées dans l’espace, sorte de microsociété galactique. "Une nouvelle industrie touristique destinée à l’espace se développera bientôt comme je l’ai déjà écrit, souligne avec optimisme ce prophète qui était à bord du célèbre Apollo 11, le 20 juillet 1969. Le seul obstacle demeure le conservatisme dépassé de l’industrie spatiale. Elle empêche des millions de personnes de réaliser leur rêve."

Peu d’études sérieuses prouvent qu’existe effectivement un enthousiasme collectif à l’égard du tourisme spatial. Par contre, d’après des recherches réalisées au Japon et aux États-Unis par le National Aerospace Laboratory, environ 70 % des citoyens de ces pays aimeraient voyager dans l’espace pour quelques milliers de dollars. Cependant, à moins d’avoir des millions en poche comme Tito (ou d’avoir accumulé suffisamment de milles Air Miles, c’est selon), impossible pour le commun des mortels de s’envoyer en l’air. Toutefois, un nombre grandissant de compagnies investissent le milieu du tourisme spatial "abordable pour tous", qui se trouve encore à l’état de pensée toutefois. C’est le cas d’une agence spécialisée de Virginie, Space Adventures. Cette agence de voyages prend déjà des réservations pour le premier lancement de sa future navette. Pour 98 000 dollas US et quatre jours d’entraînement, les voyageurs pourront se voir propulser à 100 km d’altitude et ainsi profiter de l’effet d’apesanteur pendant quelques minutes. Une centaine de personnes se seraient déjà montrées intéressées. Premier départ prévu: entre 2003 et 2005.

Cette entreprise et bien d’autres encore sont largement galvanisées dans leur quête de l’espace par une étude conjointe rendue publique en mars 1998 par la National Aeronautics and Space Administration (NASA) et la Space Transportation Association (STA), un groupe privé qui défend les intérêts de sociétés espérant développer le transport commercial spatial. Intitulée General Public Space Travel and Tourism Industry, cette étude avance que le tourisme dans l’espace pourrait devenir une pratique très répandue au cours de ce siècle. "Une attention internationale doit être dirigée pour supporter le développement du tourisme spatial destiné au grand public, car il s’agit d’un secteur commercial prometteur pour bon nombre d’entreprises", souligne le texte de l’étude qui aura duré deux ans. À la lumière de ce rapport, le tourisme dans l’espace demeure un projet futuriste, certes, mais pas utopiste. "La plupart des problèmes techniques entourant les voyages dans l’espace ont déjà trouvé une solution, mais il reste à régler les questions de sécurité et de coût, affirme Bob Haltermann, directeur exécutif du Space Tourism and Travel Division, une récente division de la STA qui encourage les initiatives privées et publiques menant à l’instauration du tourisme spatial.

Étrangement, cette étude de la NASA paraît aujourd’hui étonnante devant la réticence que l’agence spatiale a manifestée à l’égard du voyage de Tito. Pourtant, la NASA a toujours été une grande partisane du tourisme spatial. Enfin, presque. Depuis l’explosion de la navette Challenger en janvier 1986, qui a causé la mort de ses passagers, six astronautes et une civile (l’enseignante américaine Christa McAuliffe), la NASA n’est plus autorisée à expédier des civils dans l’espace. De son côté, l’Agence spatiale canadienne ne rejette pas l’idée du tourisme spatial. "Nous sommes ouverts à l’idée d’accroître la possibilité pour les non-astronautes de séjourner dans l’espace; et pour l’utilisation à des fins commerciales de l’ISS, indique André Leclair, responsable des communications à l’Agence spatiale canadienne. Il suffit d’avoir un bon entraînement et de conclure une entente entre tous les partenaires, soit le Japon, la Russie, l’Europe et les États-Unis."

En tout cas, les Russes, eux, ont bien l’intention d’aller de l’avant avec cette lucrative attraction touristique, dans le but de financer l’exploration spatiale, le budget alloué ne cessant de diminuer. D’ailleurs, à l’instar de Tito, d’autres personnalités négocieraient avec les Russes un voyage en orbite, dont l’acteur Brad Pitt et le réalisateur James Cameron, qui ne croit visiblement pas qu’une navette puisse devenir un éventuel Titanic… Comme l’a affirmé à l’Agence France Presse le directeur de l’Agence spatiale russe, Iouri Koptev, ces divers projets de vols "ouvrent un nouveau chapitre dans la recherche spatiale qui permettra d’envoyer en orbite pas seulement des cosmonautes".

Et quel nouveau chapitre! Selon la STA, un million de passagers pourraient être transportés chaque année dans diverses navettes et ce secteur touristique pourrait rapporter de 10 à 20 milliards de dollars par an! Une surenchère? Peut-être. Mais il s’agit tout de même d’une manne potentielle qui engendre les plus folles spéculations et ne manque pas de faire saliver maintes sociétés à travers le monde. Avant d’arriver aux résultats pressentis, toutefois, l’enjeu reste de taille: réduire les risques associés aux missions spatiales et diminuer les coûts toujours trop… astronomiques! Et, aussi, qui régira cette nouvelle industrie?

Dans la lune?
À voir Tito, qui a déboursé 1800 $ US pour chaque minute dans l’espace, c’est à se demander si le tourisme spatial ne représente pas un passe-temps élitiste réservé aux mégalomanes. Selon Robert Laird, responsable des communications d’un groupe américain pro-tourisme spatial formé de scientifiques et d’entrepreneurs, Space Island Group, rien n’est plus faux. "Ce sera très cher pour les premiers voyageurs, mais cela permettra de créer une infrastructure qui aidera à réduire les coûts pour les suivants, qui, eux, devraient débourser de 10 à 20 000 $ d’ici 10 ou 20 ans, estime-t-il. Il ne faut pas oublier non plus que les millionnaires ont permis l’ouverture de plusieurs activités au grand public, comme l’aviation et le parachutisme, entre autres. Je crois que le tourisme spatial suit la même évolution."

Pour rendre accessibles à tous les voyages dans l’espace, Space Island Group est rejoint dans sa lutte par une pléiade d’autres groupes, comme la californienne Space Frontier Foundation. "On investit des dizaines de milliards dans les voyages dans l’espace d’astronautes, mais très peu dans l’ouverture de l’espace aux citoyens, indique le porte-parole James Bosby. Nous croyons que ce n’est pas juste. Il faut que la NASA permette à tous de s’envoler."

"Holà! Il faut retomber sur terre!" pourraient bien affirmer les nombreux experts qui dénoncent cet engouement prématuré. "Il est immoral de gagner de l’argent pour le programme des vols habités grâce aux caprices de millionnaires âgés, a affirmé récemment à l’hebdo Expert le vice-président de l’Académie des sciences naturelles de Russie, Sergueï Kapitsa. L’espace conquis est le résultat d’un travail colossal de plusieurs nations. Dans quel but l’astronautique a-t-elle été créée? Pour organiser des promenades pour les riches ou pour ouvrir de nouveaux horizons pour l’humanité?" L’Agence spatiale canadienne ne commente ni les critiques ni les initiatives privées vouées à l’espace. Mais pour bien des détracteurs, l’exploration spatiale doit exister à des fins scientifiques, et non pas récréatives ou touristiques. "Je crois qu’il s’agit d’un mauvais usage du vaisseau spatial, car c’est en principe destiné à la recherche", a dénoncé dimanche sur les ondes de CNN l’ex-astronaute et sénateur américain John Glenn. "Cette vision simpliste et réductrice est dépassée, estime Robert Laird. Je crois que le commerce et la science peuvent coexister. Les compagnies pourraient même débourser une somme qui servirait à financer la recherche."

En faisant fi des critiques, de plus en plus d’entreprises élaborent des projets inventifs. Membre de la Space Frontier Foundation, la compagnie américaine LunaCorp et la société californienne The Artemis Project préparent des bases lunaires qui seront prêtes, paraît-il, d’ici 2020. Plus encore, des entreprises songent même à construire des hôtels dans l’espace! Les chaînes hôtelières américaines Hilton et Budget Suites (et même la japonaise Shimizu) ont déjà investi des millions dans des projets de construction d’établissements qui ressembleraient à s’y méprendre à ceux vus dans le film de Stanley Kubrick, 2001: l’odyssée de l’espace. Avant de passer une lune de miel ou une nuitée "à la belle étoile", encore faut-il s’y rendre. Pas trop de problèmes de ce côté, puisque l’imagination ne manque pas.

Dès son enfance, le Torontois Brian Feeney bricolait des "navettes spatiales" avec tout ce qu’un enfant de 10 ans pouvait avoir sous la main. Aujourd’hui âgé de 42 ans, il s’est entouré d’une équipe d’ingénieurs et de scientifiques pour réaliser son rêve en participant au X-Prize, une épreuve aérospatiale internationale originaire des États-Unis et dont le grand prix est de 10 millions de dollars US. Cette fois, plus question de modèles à coller: c’est du sérieux. Le prix sera décerné à la première équipe qui réussira, à deux reprises en deux semaines, le lancement d’un engin spatial habité à 100 km d’altitude et son atterrissage sans anicroches. "Ce concours sert à lancer sérieusement des entrepreneurs dans la course à l’espace afin d’encourager l’essor du tourisme spatial, souligne le concurrent canadien. C’est très stimulant et, grâce à nos efforts, je crois que mon projet sera au point en 2004."

Au sujet de son projet Da Vinci, Feeney se fait plutôt avare de commentaires, secret industriel oblige. Car plus d’une vingtaine d’équipes participent au X-Prize, comme l’agence de voyages britannique WildWings, qui propose déjà des vols à plus de 100 km d’altitude, au prix de 9000 $, mais à bord d’un engin toujours inexistant!

"Je le dis et le répète: le tourisme spatial n’est plus de la science-fiction, conclut Buzz Aldrin. L’espace est en train de devenir une destination touristique comme San Francisco ou Paris, mais en plus excitant!"

Liens sur le tourisme dans l’espaces:

Space Frontier Foundation
www.space-frontier.org

Space Island Group
www.spaceislandgroup.com

Space Adventures
www.spaceadventures.com

Space Transportation Association
www.spacetransportation.org

Space Travel and Tourism Division
www.space-tourism.org

NASA
www.nasa.gov/

Agence spatiale canadienne
www.space.gc.ca

The Artemis Project
www.asi.org

LunaCorp
www.lunacorp.com

WildWings
www.wildwings.co.uk

X-Prize
www.xprize.org

Des informations sur le projet de Brian Feeney
www.davinciproject.com

Des informations sur Buzz Aldrin
www.buzzaldrin.com

Pour des voyages dans l’espace
www.spacevoyages.com