Il y a quelques jours, le talentueux et dérangeant journaliste François Bourque rapportait, à la lumière de quelques documents confidentiels dont il avait obtenu copie, la manière dont quelques élus dépensent les allocations de déplacement, de logement, etc. qui leur sont attribuées. De quoi faire chier le monde ordinaire qui, déjà, ne tient pas le pouvoir politique en haute estime.
Pourtant, rien de particulièrement scandaleux dans ce qui fut dévoilé. Même si certains des chiffres avancés sont étonnants, ils ne représentent probablement que peu de chose dans la mer de gaspillage des paliers de ces gouvernements successifs qui s’astreignent à nous serrer la ceinture.
Un député préfère voyager de son comté vers Québec par avion, un autre aime mieux utiliser sa voiture de service afin de prendre un verre au Madrid dans d’autre chose qu’une tasse de plastique. Bof… Oui, il serait probablement souhaitable que ce genre de choses soient soumises à des normes plus homogènes, mais re-bof, pas de quoi fouetter le chat d’un député.
Par contre, la réaction de quelques élus et particulièrement du président de l’Assemblée nationale face à ces petites révélations est franchement déplorable.
Plutôt que de répondre aux questions légitimes de la presse qui voit là quelque matière à article, plutôt que de faire preuve d’une transparence légitime en divulguant quelques chiffres, voici que Jean-Pierre Charbonneau, notre José Bové national, appuyé de députés concernés par cette fuite, préfère partir à la chasse aux sorcières, lancer les limiers de la Sûreté du Québec à la recherche du coupable tandis que l’un de ses collègues menace la profession de représailles.
Touchez pas à ça les ti-gars, c’est nos affaires, semblent-ils dire…
Monsieur Charbonneau et ses collègues ne veulent pas que ces histoires de petite monnaie soulèvent des tempêtes. Ils craignent les assauts déplorables de la presse à sensation. IIs ne veulent pas se faire écoeurer pour des grenailles sur la place publique.
Ex-journaliste lui-même, monsieur Charbonneau tient visiblement en piètre estime l’ensemble de la profession.
Ben oui, messieurs les élus provinciaux, nous les sales fouille-merdes, on va tous se précipiter pour sortir les vieux kleenex de vos vestons. On va s’empresser de décortiquer vos factures de cellulaire pour savoir si les enfants appellent des chums à Paris sur le bras du gouvernement. On va vérifier si vous passez par le Balmoral et le motel Ève en descendant dans la Beauce. On va chercher à savoir si les trois dry martinis payés à l’agace-pissette de la rue Crescent figurent indûment sur vos comptes de dépenses, et même vérifier si les vidéos XXX loués au club Super-Sexe ont été retournés à temps. Mieux! Si on passe le détecteur de métal et que le service du protocole de l’Assemblée nationale nous trouve une chaise (un an que je l’attends!), on va se mettre la tête dans les chiottes pour vérifier, à l’odeur, s’il y a abus de dispendieux confit de canard dans le bol alimentaire des élus.
N’ayez crainte, les enquêtes sérieuses, les potentielles facturations excessives de personnel et de photocopies, au fédéral comme au provincial, nous laissons ça à la GRC qui s’en occupe fort bien… dans la mesure où des pressions politiques ne viennent pas contrecarrer ses enquêtes.
Allons, allons… N’importe quel journaliste sait bien que tout cela fait partie des moeurs politiques depuis trop longtemps pour que le citoyen s’en émeuve encore. Pourquoi voudriez-vous que ces salades nous intéressent? Nous ne sommes pas des épouses en quête d’infidélités.
"L’attitude du président de l’Assemblée nationale, l’ex-journaliste Jean-Pierre Charbonneau, et surtout celle du député Thomas Mulcair, qui menace de se servir du parlement pour nous "faire la job", est inquiétante… Gardant "toutes ses options ouvertes", il laisse en effet planer la menace "d’autres procédures parlementaires concernant une atteinte aux droits et privilèges" des députés. En d’autres mots, après Yves Michaud, les journalistes! Nous devons dénoncer les Charbonneau, Mulcair et autres "dépités" qui tentent de se soustraire au regard de la presse, donc des citoyens… Jean-Pierre Charbonneau et compagnie menacent la liberté de la presse et, partant, la démocratie." Pendant que Louis Falardeau, président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, avait cette réaction face aux représailles annoncées, monsieur Charbonneau donnait des leçons de conduite du haut de son siège capitonné: "La recherche et la présentation de la vérité doit être à mon avis la mission fondamentale des journalistes et de leurs employeurs, même si ces derniers et leurs actionnaires recherchent beaucoup le profit et la victoire sur la compétition." (Et vlan! dans les gencives.)
Content de l’entendre! D’ailleurs tiens, c’est parce qu’on est tous en compétition que la profession s’inquiète des fusions de ces conglomérats médiatiques que le bras financier de la politique partisane, la caisse de dépôt, cautionne sans réfléchir. CQFD.
Viendrait-il à monsieur Charbonneau, influent de par ses fonctions, l’idée d’inciter ses collègues à accepter d’un commun accord, selon la loi derrière laquelle ils se réfugient, de jouer le jeu de la transparence plutôt que de pratiquer la chasse aux sorcières? Et tant qu’à faire, puisqu’il a de si pertinents états d’âme sur la profession, de suggérer à ses pairs de favoriser l’indépendance journalistique au lieu de se préoccuper d’allégeances partisanes? L’esprit de corps, on le voit, sévit autant dans le temple de la démocratie qu’au collège des médecins, au syndicat des policiers, ou dans l’armée.
En adoptant cette attitude de confrontation, Charbonneau et ses collègues laissent libre cours aux spéculations, pire, ils encouragent ce sensationnalisme dont ils craignent d’être victimes. Et ils le savent…
Parce que, moi le premier, comme n’importe quel idiot, on va tous se dire la même chose: "Voyons donc, pourquoi se cacher… quand on a rien à cacher."