Les combats extrêmes réhabilités : Fight Club
Société

Les combats extrêmes réhabilités : Fight Club

Oubliez les combats extrêmes sanguinaires de Kanawake, autrefois organisés à l’intérieur de cages! Aujourd’hui, une nouvelle fédération de Montréal, le Universal Combat Challenge, désire rétablir l’image du combat ultime: présenter des duels sportifs et non barbares, et engager des athlètes à visage humain. Visite dans le vestiaire d’un sport de combat mal  aimé.

"Steeeeeeeve Vigneauuuuult!"

Au son d’une musique d’orchestre digne d’un hymne à la guerre, la voix tonitruante du maître de cérémonie résonne dans l’enceinte du Palais des sports de Sherbrooke. Dans un nuage de fumée blanchâtre balayé par des rayons de lumière multicolores, une silhouette massive se dessine. Le réclamé Steve Vigneault, surnommé Coeur de Lion, s’avance le torse bombé vers le ring, escorté par de jolies filles de circonstance légèrement vêtues de bikini. Sous les acclamations nourries des 3000 spectateurs, une scène qui rappelle le film Gladiator, cet athlète originaire des Îles-de-la-Madeleine salue ses supporters de la main avec une seule idée en tête: remporter son match contre l’Ontarien Jason St-Louis, détenteur du titre de champion canadien chez les poids moyens du Universal Combat Challenge (UCC), une nouvelle ligue professionnelle née à Montréal, qui a organisé ce gala samedi dernier et qui désire réhabiliter… les controversés combats extrêmes.

Du haut de ses 5 pieds 11 pouces, 184,4 livres et 23 ans bien sonnés, Vigneault fait face à son adversaire tatoué avec un flegme imparable. Une cloche retentit et l’arbitre signale le début du clou de cette soirée sportive. Un silence de mort règne. Les combattants s’étudient, tandis que les spectateurs du "Retour des super cogneurs" retiennent leur souffle. Une esquive rapide, puis… bang! Dès que Vigneault décoche un premier coup de poing au visage de St-Louis, la foule s’emporte et scande son nom. Une bonne partie de l’anatomie des combattants s’active alors: les coups de pied, de poing, de coude et de genou (alouette!) sont échangés énergiquement. "Oooooooo", crie le public majoritairement masculin lorsqu’une offensive atteint sa cible, faisant tituber l’adversaire. Et quand Vigneault essuie une baffe, ses amis dans l’assistance grimacent de douleur pour lui. Après 10 longues minutes d’hostilités ininterrompues marquées par des prises au sol variées, St-Louis est cloué au tapis par Vigneault, qui remporte ce duel âprement disputé. Alors que le sang macule son visage, que la sueur suinte sur son corps et que des larmes de joie tracent des sillons sur ses joues, le vainqueur exténué reçoit de l’arbitre une ceinture bien méritée, geste qui déclenche une ovation unanime. "C’est le plus beau jour de ma vie", lance au micro ce nouveau champion canadien à la charpente imposante, sympathique malgré les apparences, et visiblement ému.

Avant de rentrer au vestiaire soulevé par ses partisans, et confesser qu’il avait toujours pensé à tort que "pleurer après une victoire était bébé", Steeve Vigneault tient mordicus à se prêter à un cliché aux côtés du Montréalais Stéphane Patry. Car le UCC et ce gala de 11 combats, c’est lui. Âgé de 27 ans et diplômé en relations publiques de l’Université de Montréal, le président-fondateur tente de faire renaître le combat extrême, "le sport de l’avenir" selon lui, puisqu’il réunit des disciplines hybrides comme la boxe, le karaté et le judo. Convaincu du potentiel de ce sport, Patry a fondé, en janvier 2000, sa propre fédération de combat en compagnie d’un ami ontarien, Pete Rodley, l’actuel vice-président du UCC. "Nous voulons en faire un sport à part entière et montrer que nos combattants sont de vrais athlètes", précise-t-il.

Aujourd’hui, le UCC compte 77 combattants provenant surtout du Canada et des États-Unis, gladiateurs contemporains qui, étrangement, n’entretiennent aucune animosité les uns envers les autres, rigolant même ensemble à l’extérieur du ring. Quatre galas ont déjà eu lieu à Montréal et Sherbrooke, alors que la cinquième édition se déroulera à la piste de Sanair le 30 juin, la sixième devant se tenir à l’automne au Centre Molson. Stéphane Patry fait d’ailleurs du combat ultime une véritable entreprise: une vidéocassette devrait bientôt sortir et un jeu vidéo se trouve en préparation. "L’engouement pour ce sport existe surtout chez les 18-35 ans, nos principaux partisans qui apprécient l’action et les sensations fortes, indique Patry. Et c’est sans compter le nombre d’hommes qui veulent se battre pour nous. Nous avons le vent dans les voiles!" À preuve, présents lors du gala, dans les vestiaires comme le long du ring, le chanteur Dan Bigras et une équipe de tournage de l’ONF ont poursuivi la réalisation d’un documentaire sur les combats ultimes et les athlètes du UCC…

Trop violent?
Malgré cette popularité appréhendée, les combats extrêmes n’ont pas la cote. Ou si peu. Car les événement survenus à Kanawake au cours des dernières années auront sali leur réputation. Comme le rappelle Stéphane Patry, les combattants de Kanawake, plus voyous qu’athlètes, se battaient à l’intérieur de cages et tous les coups étaient permis. Pendant un court moment, en 1999, Patry a pris part à l’organisation de ces combats. "Il n’y avait pas de règles ou presque, affirme-t-il. C’était irrespectueux; c’est pourquoi j’ai décidé de démissionner." Steve Vigneault a aussi participé aux combats extrêmes de Kanawake. "Là-bas, les gens voulaient surtout voir les combattants manger une volée. On était quasiment pris pour des tueurs en prison! Les arbitres attendaient longtemps avant d’arrêter un combat, même si les combattants étaient très mal en point. Je comprends les gens d’avoir été choqués! Mais avec le UCC, nous sommes mieux encadré et les spectateurs n’assistent pas à des combats de ruelles!"

Stéphane Patry souhaite redorer l’image passablement amochée de ce sport de combat, qu’il préfère d’ailleurs qualifier d’"ultime" plutôt que d’"extrême". Les moyens sont déjà entrepris: exit la brutalité gratuite. Pas question pour Patry d’engager des bagarreurs inexpérimentés: il désire des athlètes en excellente condition physique, bulletin médical et fiche de combat sans faute à l’appui. Pas question de permettre tous les coups non plus, car il réclame des règlements stricts. "Il faut accomplir un travail de sensibilisation pour démontrer que nous ne voulons pas faire de boucherie, que nous ne nous livrons pas à la promotion de la violence mais bien du sport, insiste-t-il. Je suis en faveur de l’action, mais pas à n’importe quel prix. Je donne la priorité au spectacle et, surtout, à la sécurité des athlètes. Je n’ai rien à me reprocher à ce sujet."

Loin d’appartenir à une ligue clandestine, les activités du UCC sont réglementées par la Régie des alcools, des jeux et des courses du Québec, qui surveille la fédération via une commission athlétique. "Pour que le UCC organise des galas et reçoive une licence d’exploitation, il faut que l’organisation respecte nos règles, affirme Mario Latraverse, directeur des sports de combat à la Régie. Par exemple, les combattants subissent nos examens médicaux et reçoivent des permis les autorisant à combattre. Ils ne sont pas mains nues, ils doivent obligatoirement porter des petits gants. De plus, frapper avec la tête est interdit, viser les yeux et les parties génitales aussi. Il n’est pas question non plus de s’acharner sur un adversaire qui ne peut plus se défendre adéquatement. Il peut abandonner à tout moment et un arbitre peut juger qu’il a perdu avant qu’il soit complètement fini, bien sûr. En fait, les combats actuels n’ont rien à voir avec les batailles sanguinaires du passé. Nos responsables assistent aux matchs, et c’est un vrai sport de combat." Lors du gala, cependant, un combattant a dû être transporté à l’hôpital, victime de malaises… "Nous n’avons jamais enregistré de cas graves, seulement des blessures mineures, et ce cas en fait partie", affirme Pete Rodley. "Si un événement malheureux survient, je suis conscient que notre image va en prendre un coup, estime un membre de l’organisation du UCC, Jean-Marc Émond. Avec tous les efforts que l’on a faits, les protestations n’ont cependant plus de raisons d’être. Je dirais même que c’est bien moins dangereux que la boxe, où les adversaires se donnent sans arrêt des coups à la tête."

De la graine de champion
Pour remporter son combat de championnat, Steve Vigneault a dû trimer dur. Très dur. Ce Madelinot, plus col bleu bon vivant que brute enragée, s’est imposé une véritable discipline de fer. En plus de s’entraîner au moins trois heures par jour dans des gyms et des écoles d’arts martiaux, il a reçu des conseils de plusieurs personnes d’expérience en sports de combat, dont Dave Hilton père. Son alimentation a également été surveillée de près: pas trop de gras ni trop de sucre, mais suffisamment de fibres, de fer et de calcium. Bref, tous les ingrédients menant à la victoire ont été réunis. "J’ai tout fait pour bien performer, indique-t-il. D’ailleurs, toute ma vie est centrée sur ce sport."

Depuis son enfance, Vigneault pratique le kickboxing et a raflé les honneurs lors de plusieurs compétitions d’amateurs, avant de déménager à Montréal et de se joindre au circuit professionnel du UCC. "J’ai toujours aimé les sports de confrontation et de stratégie. Ça me permet de faire passer la rage que j’ai en dedans, et les blessures ne me dérangent pas. Mon frère Stéphane pratique aussi ce sport qu’on adore. Notre mère nous a d’ailleurs toujours poussés dans le sport, mais elle est nerveuse pour moi. Mon père, lui, trouve ça plus difficile. Il a longtemps pensé que c’était barbare, tellement que j’ai préféré ne rien lui dire quand j’ai participé à mon premier match professionnel. Mais il m’a vu par hasard à la télé! Il ne voulait plus me parler. Par contre, en s’informant davantage, il a fini par être fier de moi." Tant et si bien que, pour la première fois, Jean-Claude Arsenault a assisté au combat de son fils samedi dernier.

Même s’il a remporté plus de 1000 $ avec sa victoire, Vigneault ne vit pas de ses poings. Pour l’heure, il doit travailler de nuit dans une boulangerie industrielle de Montréal. Toutefois, Vigneault a des projets plein la tête: il songe entre autres à fonder sa propre école d’arts martiaux à Montréal. Avec une fiche de quatre gains et une défaite (dont la victoire la plus rapide du UCC: 15 secondes!), Steeve Vigneault entend bien défendre son titre, malgré des blessures qu’il doit encore panser. "J’ai trop de plaisir et de détermination pour arrêter. Les coups ne me font pas peur comparativement à l’estime de moi-même que j’obtiens après une victoire. Pour moi, ça n’a pas de prix."