Droit de cité : Une question de culture
Société

Droit de cité : Une question de culture

L’herbe semble toujours plus verte chez le voisin. À plus forte raison quand les voisins sont américains, les spécialistes de la pelouse. Parfois, elle ne semble pas verte, elle l’est, tout simplement.

C’est ce qu’on constate dans le cas de notre classe politique. Quand on compare la classe politique montréalaise avec celles d’autres villes du continent, on se surprend presque d’envier Cleveland. (Pour ceux que ça chicote, regardez la sitcom américaine The Drew Carrey Show, qui dépeint une certaine vision de Cleveland, et vous comprendrez que la comparaison fait mal.)

Dans la dernière livraison du magazine Fast Company, il est question de Seattle, bastion de Microsoft et de Boeing. La ville est en train de se réinventer. Non pas sur l’initiative d’un quelconque gouvernement supérieur, ou de sa richissime classe d’affaires, mais sur celle de l’administration municipale. Son credo? Moins de geeks, plus de culture. C’est le pari du développement qu’a contracté le maire Paul Schell. Ainsi, la Ville a entrepris il y a quelques années un programme de construction d’équipements culturels. Près de 1,7 milliard de dollars canadiens sur 10 ans dans la culture, dont une bonne partie provient de contributions du secteur privé, notamment Bill Gates et Paul Allen, de Microsoft.

Une Grande Bibliothèque; l’agrandissement et la rénovation de 22 plus petites dans les quartiers, dotées d’un véritable plan d’acquisition de livres; un théâtre prestigieux; un nouveau musée d’histoire; une salle de concert; une autre pour l’Orchestre symphonique local; une pour le ballet; un aquarium; un nouveau musée d’art contemporain; un stade de football; et un musée du rock de 300 millions de dollars. On songe même à un circuit de transport en commun entièrement consacré au déplacement des visiteurs entre les différents musées de la ville!

C’est aussi de cette vague qu’est née la Fuse Fondation, un organisme qui a le mandat de sortir les artistes de la misère, en leur procurant salaire, assurances et outils de marketing, afin qu’ils se consacrent entièrement à la création. Une fondation qui n’a pas peur de la controverse, puisque l’un des symboles est le Golden Tower Project, un cylindre rempli d’échantillons de… pipi d’artistes!

À la tête du remue-ménage: le maire, Paul Schell, aussi doyen de l’école d’architecture et d’urbanisme de l’Université de Washington, à Seattle. "Mon travail est de transformer cette ville en un lieu de créativité, où toutes les disciplines – des industries comme les technologies de l’information, la biotechnologie – rencontrent la musique, l’architecture et les arts. Je suis là pour provoquer le changement. Je suis un maire kamikaze."

Paul Schell avait acquis une célébrité internationale en permettant aux manifestants de circuler au centre-ville lors de la réunion de l’OMC en 1999, parce que, croit-il, les gens ont le droit de s’exprimer et d’être entendus, et que c’est le rôle de la Ville de leur donner cette chance.

Ciel! Ça change de nos vendeurs de chars usagés qui nous servent de maires et d’aspirants maires.

Quand on replonge dans l’actualité politique montréalaise, on croit reculer de 25 siècles, dans une quelconque contrée barbare et sans aucune espèce de culture politique. Du choc des idées ici ne jaillit pas la lumière, mais l’anesthésie complète.

Pas qu’à Montréal les choses soient désespérantes pour autant. Au contraire, il y a dans cette ville quelque chose de neuf dans l’atmosphère. Cependant, il n’y a pas d’équation entre la vigueur de Montréal, son maire et son administration municipale. Si des choses extraordinaires surviennent au moment où Pierre Bourque dirige la ville, elles ne sont que le résultat du hasard. S’il y a eu Ex-Centris, la Cité du multimédia et la Grande Bibliothèque, Pierre Bourque n’y est pour rien. En revanche, le maire a largement appuyé la transformation du Forum et de l’ex-édifice Simpson en centres de divertissement à gogo. Qui deviendront, à un moment donné, des canards boiteux, quant surviendra une nouvelle mode.

Ouais, ouais, à Seattle, il y a la bande à Bill Gates qui inonde la ville de ses millions. Sans rien demander en retour, même pas un nom inscrit dans l’appellation des nouveaux édifices. Ça aide, certes.

Mais Montréal aussi a une classe d’affaires pas démunie pour cinq cennes. Cette clique affairiste n’a toutefois pas le réflexe du mécénat pur, mais plutôt une sorte d’automatisme bêtement mercantile. Avec un misérable million donné pour la construction d’une salle de spectacles, qui ne couvre même pas le coût des tapis, bingo! la salle porte votre nom.

Bien sûr, il y a des exceptions. Daniel Langlois avec le complexe Ex-Centris. Phyllis Lambert avec le Centre canadien d’architecture. Payés de leurs poches. Mais quand Langlois a un projet innovateur pour un ancien site industriel, les élus montréalais lui répondent par une question: "Yé qui, lui, pour nous dire quoi faire?" Quand Phyllis Lambert intervient publiquement au sujet du développement immobilier de la ville, les conseillers soupirent : "La fatigante, encore!"

À Seattle, ils les écouteraient. C’est une question de culture, ou de manque de culture.