Larry Flynt : Le croisé de la Croisette
Société

Larry Flynt : Le croisé de la Croisette

Président d’honneur des Hots d’or, les Oscars du porno, l’éditeur LARRY FLYNT a roulé sa bosse jusqu’à Cannes. Ex-ennemi de l’État, cet homme est maintenant le maître d’un empire financier. Son rêve: déculotter George W. Bush en  public…

Les Hots d’or, récompenses du cinéma porno international, ont eu beau fêter leurs 10 ans d’existence cette année à Cannes, ce n’était pas de tout repos. Au milieu de la foire d’empoigne qu’est habituellement la Croisette durant le Festival, la clameur est soudainement devenue plus forte mardi dernier. Les badauds se sont agglutinés, la circulation s’est bloquée, et les flics commençaient à gueuler. Cause du tohu-bohu: des stars du X, poitrine conquérante, talons aiguilles et gros maquillage sous le soleil, sortaient d’un palace en un rang serré, entourées de la faune masculine de l’industrie, avec lunettes noires et gardes du corps. Malheureusement pour tout ce beau monde, le Noga Hilton a refusé de tenir le déjeuner de presse de l’événement, sur ordre de la municipalité. Et les vigiles de l’hôtel ont fait vider les lieux avec une certaine brusquerie.

Le lendemain, par contre, les affaires ont repris de plus belle dans le salon feutré d’un autre palace, le Martinez. Larry Flynt, éditeur de Hustler et président d’honneur de cette dixième édition, est venu faire un brin de causette en comité serré. Il arrive, poussé dans sa chaise roulante par un malabar qui lui chuchote des trucs à l’oreille. Hébété, il ne semble pas écouter. Impressionnant, ce paralytique qui souffre depuis qu’on lui a tiré dessus en 1978, avec ce teint de cire, cette élocution difficile et ces bagues aux doigts. Un bon candidat pour le bestiaire de David Lynch. Mais le fin finaud se réveille aux bons moment…

Tombé dans la porno comme Obélix dans la potion, Lynch est celui qui a lancé le magazine Hustler en 1974; une maison d’édition qui compte maintenant 40 différents titres adultes, des boutiques du sexe et des sites Internet. Il est ce sexagénaire qui fait rouler sa chaise du Flynt Publications Building jusqu’à Beverly Hills. Il a été portraitisé par Woody Arrelson dans The People vs. Larry Flynt, de Milos Forman (1996). "Ce film a donné une ampleur nouvelle aux questions que je soulève depuis longtemps, décrète-t-il. Et Woody aurait du avoir un Oscar, rien que pour avoir résumé ma vie en deux heures!"

La porno banalisée
Les dites questions soulevées sont celles du premier amendement américain, le cheval de bataille de Flynt: "Depuis un quart de siècle, je me bats pour la liberté de presse, contre les factions morales et contre la censure. J’en veux à l’Église qui impose ses diktats depuis plus de 2000 ans, sur ce que l’on doit faire et penser. Les libertés d’habitudes et de préférences sexuelles ne regardent que les individus." Après avoir répété trois ou quatre fois cette dernière phrase avec vigueur, il reprend son souffle.

Alors, la porno a-t-elle changé, monsieur Flynt? "Sans aucun doute, la porno se démocratise. C’est banalisé. Mes boutiques érotiques fonctionnent très bien et l’on vend de tout. Le génie est sorti de sa bouteille: l’Église et le gouvernement ne peuvent plus tout contrôler comme avant." Et pourtant, l’État serait plutôt du genre à mettre des bâtons dans les roues en ce moment… "George W. Bush est le président le plus imbécile qu’on ait jamais eu, articule lentement Flynt. Au contraire de Clinton, je ne le défendrais certainement pas s’il était pris dans un scandale. Et ne vous inquiétez pas, nous sommes en train d’étudier de près son passé, genre: avortement dans les années 70. Nous n’avons rien trouvé encore, mais nous travaillons très fort…" Sérieux, le projet.

Flynt est tout aussi tranchant quand il condamne les réseaux de pédophiles: "J’ai déjà témoigné au Congrès, explique-t-il sur un ton sans appel: si quelqu’un utilise des enfants à des fins sexuelles, cette personne doit être poursuivie. C’est contre le droit à l’enfance." Il ajoute de suite que les dames qu’il fait travailler sont majeures; et que, pour lui, violence et sexe ne font pas bon ménage. "Moi, j’aimerais mieux que mes proches soient dans la porno plutôt que dans la violence."

Et les femmes, plus nombreuses et puissantes dans l’industrie du X, Flynt les examine surtout en tant que clientes: "Quand j’ai commencé, les femmes représentaient 3 % des abonnements de Hustler; elles en constituent aujourd’hui les 34 %. Et 50 % des clients de mes boutiques sont des femmes, souvent des quinquagénaires qui n’ont pas peur de poser un vibromasseur sur le comptoir; alors que des hommes sont encore en train de cacher des revues sous le manteau! Elles assument leur désir, et je trouve ça vraiment merveilleux! Le mouvement de libération des femmes a au moins servi à ça."

Et Hefner? Que dire de monsieur Playboy, l’autre nabab du cul mondial, venu fêter ses 75 ans avec ses copines blondes sur la Croisette? Larry Flint s’amuse à l’avance de sa réponse: "Je connais Hef depuis plus de 20 ans, dit-il. C’est un gars qui est tombé dans la déprime à l’approche de la vieillesse. Il s’accroche à un style des années 50. Bon. Il y a des hommes qui évoluent, et lui n’en fait pas partie…" Ravi de ses pointes assassines, il fait signe au bouledogue bipède à côté. Les plaisanteries ont assez duré, il y a du boulot à faire.