Pierre Duchesne : Dans la peau de Parizeau
Société

Pierre Duchesne : Dans la peau de Parizeau

Dans Le Croisé, publié chez Québec-Amérique, PIERRE DUCHESNE retrace les débuts en politique de Jacques Parizeau. Une biographie passionnante, écrite par un journaliste de 33 ans, et destinée aux moins de 35 ans. "Monsieur" traverserait-il une deuxième jeunesse?

Pierre Duchesne était journaliste à l’émission Dimanche magazine de la radio de Radio-Canada quand il a décidé d’écrire la biographie de Jacques Parizeau. Il avait 33 ans, était marié et père d’un jeune enfant (il en a eu un deuxième depuis). Conscient du travail de moine qu’une telle entreprise allait exiger, il a réfléchi pendant une année complète avant de plonger pour de bon.

Quatre ans plus tard, il nous présente le premier tome du récit de la vie du moins conventionnel de nos politiciens.

"Au lendemain de la défaite référendaire et de la démission de Jacques Parizeau, tous les regards se sont tournés vers Lucien Bouchard, explique Pierre Duchesne. J’ai réalisé pour la radio un reportage d’une heure qui retraçait l’héritage économique de Parizeau. La réaction des auditeurs a été très positive et mon collègue Maurice Godin m’a encouragé à écrire une biographie. J’ai été tenté parce que Jacques Parizeau est un personnage hors norme, un repère de l’histoire contemporaine du Québec. Et puis il est très populaire auprès des jeunes, et cet aspect du personnage me plaisait. Il dit ce qu’il pense, cela lui confère un petit côté ado. Les jeunes se reconnaissent dans ses propos."

Une fois sa décision prise, Pierre Duchesne a établi sa méthode de travail. Il a rencontré Jean-François Lisée, ex-conseiller de Jacques Parizeau, mais surtout auteur de nombreux ouvrages politiques dont Le Menteur et Le Naufrageur, sur Robert Bourassa. "Il m’a essentiellement parlé de recherche, dit Pierre Duchesne. Il m’a dit: "Tu vas passer beaucoup de temps à classer des notes, d’où l’importance d’avoir un très bon système."" Lisée a souligné également l’avantage de publier une biographie en deux tomes. "Tu verras, a-t-il déclaré à Duchesne, ceux qui n’ont pas voulu te parler à l’occasion du premier tome vont t’appeler pour que leur nom paraisse dans le second."

Puis Duchesne rencontre Jacques Parizeau et lui explique sa démarche. "Je pense que mon jeune âge a joué en ma faveur, reconnaît-il. De plus, je n’étais pas connu et, surtout, pas issu de la colline parlementaire. Or, Parizeau considère les journalistes de la colline comme ses ennemis. Je lui ai expliqué que je voulais écrire une biographie non autorisée, pas un hommage. Et il a très bien compris."

L’enfance d’un chef
Dans Le Croisé, Pierre Duchesne raconte donc la première tranche de vie de celui qu’on a baptisé respectueusement "Monsieur". De l’enfance à la Crise d’octobre, on assiste au making of de l’économiste et du technocrate: éducation dans les meilleures institutions (il est le premier Canadien français à obtenir un doctorat de la London School of Economics, à l’âge de 23 ans), nombreux séjours en Europe et, surtout, les encouragements de parents impliqués, actifs et cultivés qui sont très conscients de former la future élite canadienne-française.

En filigrane, on apprend plein de choses sur les HEC, la création de la Caisse de dépôt et placement, la nationalisation de l’hydroélectricité et, bien sûr, la Crise d’octobre. Une véritable leçon d’histoire, quoi. Le biographe consacre également plusieurs pages à la première épouse de Parizeau, Alice, une femme originale, autonome (à l’époque on disait libérée), qui a, elle aussi, marqué l’histoire du Québec.

Enfin, il y a des passages dignes d’un bon roman policier, tel celui relatant l’aventure de Parizeau (alors numéro 2 au Parti québécois) avec Carole de Vault, militante du FLQ et informatrice pour la police.

"Monsieur Parizeau était très généreux en entrevue, c’est un conteur très chaleureux, explique Duchesne. C’est certain qu’il l’était un peu moins lorsqu’on abordait des épisodes de sa vie sur lesquels il n’avait visiblement pas envie de revenir."

Mais Parizeau est un homme honnête et il ne met pas de bâtons dans les roues de son biographe. Il lui donne même accès à ses archives personnelles: 155 boîtes que Pierre Duchesne va dépouiller une par une. Le journaliste y trouve des photos (nombreuses dans le livre), des documents personnels ainsi qu’une abondante correspondance que ses parents ont conservée. Lettres dans lesquelles on découvre un jeune homme qui se démarque nettement de ses contemporains, comme en fait foi le passage suivant: "Michel s’intéresse de plus en plus à la musique et j’ai l’impression que Claude y est pour quelque chose. Nous sommes allés entendre La Messe en si la semaine dernière, et ils ont acheté des billets pour L’art de la fugue la semaine prochaine. De quoi me faire passer pour un attardé, moi qui vais parfois écouter du Beethoven ou du Brahms."

"Avant d’entreprendre le projet, j’avais peur de me tanner, avoue le biographe. Mais Parizeau s’est avéré un personnage fascinant. Notre génération l’a surtout connu comme ministre des Finances sous René Lévesque. J’ai réalisé qu’on le connaissait très mal et c’est pourquoi, en écrivant, j’avais à l’esprit les lecteurs de moins de 35 ans. Je voulais que ce livre-là soit accessible, qu’il intéresse les jeunes."

Pierre Duchesne a interviewé Jacques Parizeau pendant plus de 100 heures. Il s’est entretenu avec une centaine de témoins. Il a en sa possession environ 257 minicassettes ainsi que plus de 2000 pages manuscrites de retranscriptions d’entrevues.

Le journaliste a bénéficié d’une bourse que Radio-Canada accorde à ses employés qui désirent se consacrer à temps plein à un projet personnel. Il a étiré cette année sabbatique en accumulant son temps supplémentaire et en se privant de vacances pendant trois ans. Puis il a emprunté pour pouvoir poursuivre l’écriture pendant encore quelques mois. La maison d’édition Québec-Amérique lui a par la suite accordé un petit montant pour la recherche (1000 dollars); mais si on compare ses conditions de travail à celles de n’importe quel autre biographe français ou américain, on peut sans hésiter parler de conditions de misère.

"C’est ma conjointe qui a permis que j’écrive ce livre, lance l’auteur. Elle a fait des sacrifices et s’est occupée de nos deux enfants pendant que je travaillais. Il faut avoir la foi pour écrire un livre comme celui-là au Québec."