![Sur la trace des criminels de guerre : Chasseur de têtes](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2012/01/9156_1;1920x768.jpg)
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Sur la trace des criminels de guerre : Chasseur de têtes
Des criminels de guerre se cachent au Canada et aux États-Unis, se croyant à l’abri de poursuites pour les actes qu’ils ont commis dans leur pays d’origine. Toutefois, l’Américain RICHARD KRIEGER tente de les retrouver et des les démasquer pour qu’ils soient expulsés et jugés.
Tommy Chouinard
Le Canada représente une terre d’accueil particulièrement prisée par les criminels de guerre de tout acabit. Du moins, c’est ce que laissent entendre les statistiques. Selon un rapport publié l’année dernière par le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration et celui de la Justice, pas moins de 581 personnes soupçonnées de crimes de guerre se sont vu refuser le droit de séjour au pays entre avril 1999 et mars 2000, un précédent dans les annales canadiennes. De plus, 38 individus qui étaient entrés au pays durant les dernières années ont ensuite été renvoyés du Canada au cours de cette même période, après avoir été trouvés responsables de crimes de guerre, actes inconnus des autorités au moment de leur arrivée. "Et c’est sans compter ceux qui ont réussi à passer les frontières et qui n’ont pas été interceptés. Beaucoup de criminels se cachent présentement au Canada et aux Etats-Unis; et le plus dur reste sûrement de les retrouver. Mais il faut le faire."
Celui qui s’exprime avec tant d’assurance parle en toute connaissance de cause. Il s’agit de Richard Krieger, dont la vie est digne des héros de romans policiers. La mission de cet Américain ressemble en tout point à celle d’un détective privé: retracer et dénoncer les criminels de guerre et les responsables de violations des droits de l’homme qui se la coulent douce en Amérique, lieu qu’ils ont adopté comme terre d’accueil, pour éviter de rendre des comptes des actes horribles commis dans leur pays d’origine.
Selon Krieger, le Canada compte 800 criminels de guerre sur son territoire (chiffre qu’il juge "conservateur"), contre un peu plus de 1000 aux États-Unis. Généralement, ces criminels proviennent de pays qui sont, ou ont été, en situation de conflits armés: Moyen-Orient, Argentine, Chili, Guatemala, Rwanda, Soudan, Cambodge, etc. "Parmi les immigrants qui entrent en Amérique, il faut débusquer les abuseurs, ceux qui trichent et qui ne veulent pas faire face aux horreurs qu’ils ont commises, insiste-t-il. Ces gens-là ne devraient pas avoir le droit d’entrer et de vivre une vie paisible ici."
Dans une maison de Boyton Beach, en Floride, Krieger s’assure de faire en sorte que les autorités du Canada et des États-Unis expulsent ou jugent devant les tribunaux ces détracteurs, en leur fournissant des informations qu’il collige à leur sujet. Krieger a même fondé une organisation sans but lucratif pour appuyer sa lutte, l’International Education Missions, dont les membres sont issus du monde politique et du milieu de l’immigration. Pour rassembler des informations au sujet des criminels de guerre et les retrouver sur le territoire américain, Krieger possède des contacts privilégiés auprès d’organisations non gouvernementales de partout à travers le monde. Et pour les expulser du pays ou les faire juger, Krieger entretient des liens étroits avec les agences gouvernementales responsables de la justice et de l’immigration au Canada et aux États-Unis, mais également en Europe. "Ce travail se fait en deux étapes, explique-t-il. Il faut trouver le criminel, puis s’assurer d’avoir suffisamment de preuves de ses actes pour l’expulser ou le juger."
Au lieu de s’offrir une retraite dorée sous le soleil, comme le lui vaudraient normalement ses 67 ans, Krieger a plutôt décidé de traquer la racaille. Cette volonté remonte à loin. Dans les années 70, Krieger faisait partie d’organisations juives américaines et se vouait à retrouver la trace de criminels de guerre nazis qui se terraient aux États-Unis et au Canada. En 1981, il s’est joint au State Department comme spécialiste des questions relatives aux réfugiés. Puis, il a agi en tant que consultant auprès du US Immigration and Naturalization Service. Même si Krieger a pris sa retraite en 1993, il poursuit toujours sa lutte pour que des criminels cessent de s’expatrier sans encourir de risques.
Avis de recherche
Richard Krieger possède une liste noire impressionnante de criminels de guerre fugitifs qui ont trouvé refuge aux États-Unis et au Canada (voir encadré). En tête de liste se trouvent des détracteurs qui sont passés aux États-Unis après avoir été interdits de séjour au Canada. Il s’agit entre autres d’Oseratin Osagie, ancien membre d’une unité des forces militaires du Nigeria présumément responsable de la mort et de la torture de plusieurs civils entre 1985 et 1998. Après avoir été expulsé du Canada le 13 juillet dernier, il résiderait maintenant dans l’État de New York. "Grâce aux informations fournies par le Canada, nous pourrons le retracer plus facilement, indique Krieger. J’ai confiance, car je suis sur une bonne piste."
Comment se fait-il que des criminels réussissent à passer aussi facilement entre les mailles du filet de l’Immigration et à avoir la part belle quelque part au pays? D’après Krieger, des règles laxistes en matière d’immigration seraient la cause de cette situation. "Les États-Unis et le Canada sont des pays où le processus d’immigration est relativement simple. Je ne remets pas en question cette façon de faire, par contre. Car c’est un processus ouvert qui est tout à fait louable pour les réfugiés leur permettant de fuir un climat de haine. Mais ce processus devient toutefois un danger quand on parle de criminels de guerre, puisqu’ils peuvent entrer facilement au pays et même se faire passer pour des réfugiés ou encore cacher leur passé trouble. Même si des gens sont refusés directement à la frontière, certains réussissent à passer. En fait, il arrive que les informations relatives à des actes criminels passés soient difficiles à obtenir et à prouver par les agents d’immigration. Une fois que cela est fait, toutefois, la personne concernée peut être poursuivie et expulsée." Pour Krieger, cette situation problématique mine la réputation de terre d’accueil des opprimés dont jouissent le Canada et les États-Unis.
La donne semble toutefois changer. Depuis quelques années, le Canada réussit à endiguer le problème, du moins en partie. En effet, les modifications à la Loi sur l’extradition et la nouvelle Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, cette dernière adoptée à l’automne 2000, donnent une longueur d’avance au Canada en la matière. "Avec ces nouvelles lois, je crois que le Canada a entre les mains une des meilleures législations pour contrecarrer les criminels de guerre, mais elle reste encore jeune, donc à prouver, estime Richard Krieger. Selon cette législation, le pays a le droit d’expulser ou de poursuivre un criminel de guerre avec beaucoup plus de facilité qu’auparavant, et ce, peu importe où et quand il a commis des actes criminels. Ce n’est pas rien." Krieger n’est toutefois pas en reste, car aux États-Unis, une loi semblable, appelée Anti-atrocity Alien Deportation Act, est en cours d’adoption. "Le but est de faire en sorte que des criminels de guerre cessent de profiter des libertés accordées ici, et qui doivent plutôt servir à des fins humanitaires. Il faut leur faire comprendre qu’ils peuvent quand même être jugés à l’étranger ou, à tout le moins, être déportés." En plus d’une bonne législation, Krieger désire davantage de personnes affectées au filtrage des immigrants qui entrent dans les pays.
Les améliorations législatives apportées au Canada viennent tout de même pallier un problème qui existe depuis bon nombre d’années. C’est que le Canada n’a jamais vraiment été à l’abri du phénomène du passage des criminels de guerre au pays. Selon Howard Margolian, auteur du livre Unauthorized Entry: The Truth About Nazi War Criminals in Canada (2000), pas moins de 2000 criminels de guerre nazis sont venus vivre au Canada durant la décennie suivant la Seconde Guerre mondiale… La récente affaire Léon Mugesera prouve tout de même que ce type d’histoire se retrouve de plus en plus dans la mire des autorités canadiennes. Ce Rwandais d’origine, qui vit maintenant à Québec, était accusé par les autorités canadiennes d’incitation au génocide en 1992 et de crimes contre l’humanité. Avec un zèle renouvelé pour ce type de cas, les responsables de l’immigration ont tenté de l’expulser. En vain, puisque la cour l’a blanchi en avril dernier. Reste toutefois que les autorités du pays ont plus à l’oeil les présumés criminels de guerre.
Mission accomplie
Loin d’être un coup d’épée dans l’eau, la lutte quasi personnelle de Krieger porte fruit. À preuve, le cas Luis Alonso Discua, survenu au cours de l’année, lui a valu une reconnaissance des autorités américaines. Cet homme originaire du Honduras profitait, sans souci, d’une vie paisible sous le chaud soleil de Miami. Après avoir franchi les frontières en réclamant un visa diplomatique pour des raisons bidon, il croyait bien que son ancien statut de général du bataillon 3-16 de l’armée du Honduras, groupe militaire tenu responsable de la mort ou de la disparition d’au moins 184 personnes au début des années 80 (selon des organisations humanitaires), serait oublié, mort et enterré comme un cadavre. Erreur. Krieger l’a retrouvé et a décidé d’expédier une fiche d’information aux autorités américaines, remplie de preuves des actes de Discua. Sa contribution a mené à l’expulsion de ce ressortissant. Dans une lettre officielle, le State Department américain a tenu à remercier Krieger de son apport dans l’affaire Discua. "Je sais que je sers à quelque chose: à venger les victimes des actes commis par ces détracteurs."
Le chasseur de têtes se fait toutefois assez avare de commentaires dans les cas étudiés présentement par son organisation. Et pour cause… "C’est déjà assez difficile de les trouver. Je ne voudrais pas que les criminels sachent qu’on les poursuit et que du coup ils en profitent pour s’échapper." Ou encore que des mésaventures surviennent. Car l’impératif "motus et bouche cousue" du sexagénaire remonte à une affaire survenue il y a quelques années. À la fin de la décennie 70, un présumé criminel de guerre est mort dans un incendie suspect après que Krieger eut rendu publics son nom et son adresse…
Les détails de ces histoires ne sont ainsi révélés qu’aux organisations concernées. Grâce à ses façons de faire, il a été l’acteur principal, estime-t-il, dans l’expulsion de plus d’une quinzaine de criminels de guerre au cours des dernières années, sans compter l’aide qu’il a apportée dans "plusieurs autres cas". "Ce n’est pas rien", déclare-t-il en riant avant d’ajouter qu’il n’a pas peur des représailles…
Liste noire
Voici la liste noire des hommes les plus recherchés aux États-Unis par Richard Krieger pour crimes de guerre. Celle-ci a été diffusée dans quelques journaux américains et ces cas représentent les seuls dont il parle un peu plus ouvertement.
– Attila Szekely: ex-membre de la police secrète de Roumanie durant le règne de Ceausescu. Il a tenté d’entrer au Canada, mais il s’est vu expulser le 15 décembre 1999 en raison de son implication dans des cas de torture dans son pays d’origine. Cependant, il a réussi à passer la frontière américaine. Selon Krieger, il vivrait aujourd’hui à Miami et travaillerait dans une entreprise bien connue.
– Nikola Vuckovic: ancien garde d’un camp de concentration en Serbie accusé d’avoir torturé des prisonniers bosniaques. Vuckovic résiderait maintenant dans l’État de Géorgie et travaillerait dans une usine, d’après les informations de Krieger. En fait, selon ce dernier, il a reçu un statut de réfugié, affirmant faussement qu’il avait été victime de persécution durant la guerre.
– Roberto Guardado: ancien membre du corps militaire au Salvador entre 1988 et 1992 qui aurait torturé des civils et aurait été complice d’autres crimes dans une base de l’armée. Guardado a aussi essayé d’être accepté comme immigrant au Canada, mais sa demande a été refusée en raison de ses actes passés. D’après Krieger, il a bel et bien tenté sa chance aux États-Unis et aurait réussi. Reste à savoir où il se cache…
– Heriberto Mederos: ancien infirmier en chef d’un hôpital psychiatrique de Cuba qui a présumément fait subir des supplices (dont des chocs électriques) à bon nombre de patients victimes de maladie mentale. Selon Krieger, Mederos est arrivé aux États-Unis caché à bord d’un bateau. Il a épousé une Américaine en 1993 et est donc devenu citoyen américain, ce qui lui permet d’habiter à Miami. Krieger, des victimes et des groupes de défense des droits humains tentent actuellement de le faire expulser et juger.
– Juan Lopez Grijalva: ancien chef de la police secrète du Honduras responsable de raids meurtriers en 1982. D’après Krieger, il vivrait maintenant à Sweetwater en Floride, abusant d’un statut spécial d’immigrant accordé par les autorités américaines pour venir en aide… aux victimes de l’ouragan Mitch survenu en 1999.
– Armando Fernandez-Larios: ex-officier de la police secrète chilienne. Il est accusé d’avoir participé activement au raid qui aurait entraîné la mort de 72 prisonniers politiques sous le régime du dictateur Augusto Pinochet. Selon Krieger, il travaillerait maintenant dans une galerie d’art à Miami.