Droit de cité : Une question de culture, bis
Société

Droit de cité : Une question de culture, bis

La semaine dernière, il était question dans cet espace du haut niveau de culture politique retrouvé chez les élites municipales à Seattle, et, par extension, des bas-fonds dans lesquels on baigne ici.

Fallait s’y attendre, un distingué membre de la classe politique montréalaise a réagi. On ne se laisse pas traiter de plouc comme ça sans se secouer un peu. C’est ce qu’a fait Jean-François Plante, conseiller municipal sous la bannière Bourque et membre de la Commission de développement urbain (CDU).

Vous pouvez lire sa lettre sur le site Internet du journal, à la suite de ma chronique de la semaine dernière.

La missive de monsieur Plante commence mal. Elle s’intitule Le Dogme de l’urbanisme. Or, à ce que je sache, il n’était pas question d’urbanisme dans ma chronique, mais de culture politique.

Mais bon, puisque le manque de culture ne s’exprime pas mieux que dans l’aménagement urbain de Montréal, il est normal que la CDU se soit sentie un peu visée. Un appareil où les rares citoyens qui se prévalent de leur droit de parole se font davantage invectiver qu’écouter.

Je parlais entre autres de Phyllis Lambert. À ce sujet, monsieur Plante écrit: "Est-ce que parce que je fais un centre d’architecture aussi intéressant soit-il, je suis automatiquement investi d’un droit divin sur tout ce qui s’appelle urbanisme?"

Wo, là! Le jour où Phyllis Lambert s’autorisera à réclamer l’indépendance de Westmount sous le prétexte de la protection du patrimoine bâti, je lui taperai sur les doigts.

Le problème ne vient pas de ceux qui prennent la parole, mais de ceux qui ne la prennent pas. Le conseiller Plante fait d’ailleurs une analyse comptable hautement risquée de l’opposition. Selon lui, s’il vient 100 personnes à l’hôtel de ville pour s’opposer à un projet qui déroge au plan d’urbanisme, c’est qu’il y en a 999 900 autres qui sont d’accord. Parce que, dit-il, "il est très rare qu’un citoyen prenne de son temps pour dire qu’il est d’accord", et que c’est pour ça qu’il ne faut pas trop accorder d’importance à ce qu’il appelle "le chiâlage institutionnalisé".

Bref, monsieur Plante, vous n’accordez la parole qu’à ceux qui ne la prennent pas!

S’il y avait une cuillerée à soupe de culture politique à cet hôtel de ville, on aurait compris que le plan d’urbanisme est un contrat entre les citoyens et la Ville. Que l’étude des demandes pour y déroger ne doit pas se faire par la mathématique des appuis et des oppositions, mais selon les règles scientifiques de l’urbanisme et selon la volonté de la population de rompre cette partie du contrat. Or, à maintes reprises, l’opposition contre certains projets de dérogation était fort bien documentée, souvent par les services professionnels de la Ville!

Vous poursuivez: "Même chose pour Langlois, vous faites référence ici au projet Redpath. Dois-je rappeler que le site (…) était disponible depuis une dizaine d’années; et que les intervenants sociaux, communautaires et politiques du secteur suite à de nombreuses études ont convenu que la mixité était la chose logique à faire…"

La Redpath, c’est l’ancienne raffinerie de sucre au bord du canal Lachine qui sera transformée en condos au coeur d’un quartier industriel… Les intervenants que vous brandissez comme un drapeau, monsieur Plante, sont tous venus s’opposer à votre projet. Ils étaient tous contre… sauf un obscur et très étrange député fédéral, dont on se demandait bien de quoi il se mêlait si ce n’était qu’il cherchait à vendre un stupide lieu de commercialisation de l’identité canadienne – manière castor empaillé et police montée – dans le bâtiment. Ils appuyaient plutôt un autre projet, un centre d’imagerie numérique (qui n’a pu être déposé à temps, la Ville refusant de revoir les délais de l’appel d’offres) parce que, pour eux, la mixité, ce n’est pas de sacrer des condos à portée de doigts d’usines. Avec un minimum de culture urbaine, on comprend que la mixité joue sur une plus grande échelle.

Ça, c’était pour le désaccord.

Pour l’accordéon maintenant.

Vous demandez: "Pourquoi, collectivement, nous avons comme citoyens abandonné civiles responsabilités pour institutionnaliser le chiâlage plutôt que l’action?"

Le Québécois moyen, qu’une certaine classe politique nous présente comme la démocratie faite homme, aurait du mal à réussir l’examen de la participation civique, la base de la démocratie. Sur ce, vous avez bien raison. À Montréal, il y a une quantité de commissions et de comités auxquels les citoyens sont invités à participer, où l’on discute de tout, même du pipi de chat. C’est banal, le pipi de chat, mais puisque cela inquiète des citoyens, il faut bien un forum pour en parler, ne serait-ce que pour dire qu’on déraille à s’attarder au pipi de chat. Or, ces commissions et comités sont désertés comme la messe du dimanche.

Le Québécois moyen ne réclame pas la démocratie, seulement le droit de vote, et encore. Lorsqu’on lui accorde au niveau municipal, à peine un sur trois s’en prévaut. Au scolaire, la participation atteint le niveau d’un sondage d’opinion. Dans les c.a. des établissements de santé, autre lieu stratégique (à en croire l’intérêt que les citoyens portent à la chose), ça frôle pourtant le degré zéro de participation.

En terminant, l’urbanisme n’est pas un dogme, mais une loi incontournable dans le développement urbain. En faire fi, c’est comme ignorer les trois lois de Newton en physique. Et c’est parce qu’on en oublie une que les avions tombent parfois.

P.-S.: En passant, j’ai assisté à au moins une dizaine de séances de la CDU au cours de la dernière année, contrairement à ce que vous insinuez.