L'article 11 de l'ALENA : Corporations souveraines
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L’article 11 de l’ALENA : Corporations souveraines

Grâce à l’article 11 de l’ALENA, les multinationales pourront maintenant poursuivre les gouvernements! Preuve que la démocratie est menacée par la vision corporatiste de la mondialisation…

L’article 11 de l’ALENA a établi un nouveau système d’arbitrage privé pour les investisseurs étrangers, afin qu’ils puissent entamer des poursuites en réclamation contre les gouvernements. Les mises en garde émises par de fins critiques se confirment: l’ALENA a donné aux multinationales le moyen d’usurper les pouvoirs souverains des gouvernements, sans parler des droits des citoyens et des communautés.

D’après le modèle de l’article 11, on voit comment cela pourrait être accompli: le principe opérant fait que le capital étranger investissant au Canada, au Mexique et aux États-Unis peut demander compensation si le potentiel de profit de ses entreprises a été infléchi par des décisions gouvernementales. Ainsi, les compagnies étrangères jouissent de plus de droits que les compagnies oeuvrant dans leur propre pays! À titre d’exemples:

– L’État de la Californie a interdit un additif à base de méthanol à l’essence (MTBE), après que l’Environmental Protection Agency (EPA) a divulgué les risques de cancer qui y sont associés. Methanex, de Vancouver, Colombie-Britannique, grand producteur de méthanol, a entamé contre le gouvernement des États-Unis des procédures de réclamation se chiffrant à 970 millions de dollars US. Si les dispositions de l’ALENA valent pour toutes les compagnies, plusieurs cas de ce genre sont attendus, car au moins 10 autres États ont suivi l’exemple de la Californie.

– Au Mexique, une compagnie américaine d’enfouissement de déchets, Metalclad, a reçu 16,7 millions de dollars US en dommages et intérêts après que l’État de San Luis Potosi a bloqué l’accès au site d’enfouissement du village de Guadalcazar. Les résidants ont argué que le gouvernement mexicain ne faisait pas respecter les standards environnementaux et que le projet menaçait leurs ressources d’eau.

– Au Canada, le gouvernement a interdit un autre additif chimique à l’essence, le MMT, suspecté de nuire à la santé et d’endommager les convertisseurs catalytiques des moteurs, selon les fabricants d’auto. L’Ethyl Corporation of Virginia, productrice de MMT, a déposé une plainte en réclamation de 250 millions de dollars US à ce propos, mais a accepté des indemnités de 13 millions de dollars après que le Canada a concédé le retrait de son interdiction, et a offert ses excuses.

– Sunbelt Water Inc., de la Californie, a déposé la plainte la plus importante et audacieuse, réclamant au Canada l’équivalent de 10,5 milliards de dollars US, exigeant ainsi la révocation de la licence d’exportation d’eau d’un supertanker de la Colombie-Britannique qui envoie des réserves dans les régions états-uniennes pauvres en eau.

– Mondev International, compagnie canadienne, réclame 50 millions de dollars US aux États-Unis, car la ville de Boston a annulé un contrat de vente pour un édifice à bureaux comprenant un centre commercial. Boston a invoqué l’immunité souveraine contre de tels procès (au civil) et a obtenu le soutien d’un juge local, ainsi que celui de la Cour suprême du Massachusetts. La Cour suprême américaine a refusé la plainte en appel, et donc la compagnie s’est tournée vers la clause de l’ALENA pour son procès en réparation.

"Si le seul fait d’invoquer l’article 11 suffit à arracher un arrangement financier à un gouvernement, les investisseurs ont une excellente prise sur les États", affirme Lydia Lazar, une avocate de Chicago qui a travaillé dans le domaine du commerce international. Selon elle, le Mexique, le Canada et les États-Unis ont effectivement renoncé à la doctrine de l’immunité souveraine en entérinant l’ALENA.

Au moins 15 cas du genre ont été portés en Cour jusqu’à maintenant, mais nul ne peut affirmer que ce nombre est exact, puisque aucune clause n’exige que le public soit informé de ces procédures. Les parties en litige choisissent les juges qui vont arbitrer, choisissent aussi les questions et les procédures légales qui seront invoquées et appliquées, tout comme elles décident si le public aura accès aux procédures. Ce genre de situation relève d’un modèle d’arbitrage privé pour les questions d’intérêts corporatistes.

La différence fondamentale amenée par l’article 11 et qui le distingue des autres accords de libre-échange réside dans la possibilité qu’ont les grandes corporations de contester et de plaider d’elles-mêmes, sans avoir à demander aux gouvernements nationaux de statuer et d’agir en leur nom dans les forums de décision internationaux. Parmi les plaintes logées de la part du monde des affaires, certaines sont beaucoup plus "exotiques" que tout ce qui pourrait être attendu. Toutefois, ces cas feront jurisprudence, décisions auxquelles d’autres grandes compagnies pourront recourir ultérieurement.

Au Canada, une plainte privée a récemment été logée, remettant en cause la constitutionnalité de l’article 11, puisque la Constitution stipule que le gouvernement ne peut déléguer l’exercice de la justice à d’autres entités. Le gouvernement canadien exprime des doutes à propos de l’inclusion de l’article 11 dans l’accord de libre-échange panaméricain.

Est-ce que George W. Bush comprend les propositions qu’il offre aux Amériques? Est-ce que Bill Clinton et George Bush père ont compris le déplacement crucial des statuts légaux enclos dans les fins caractères du texte de l’ALENA? Une chose est sûre, ils savaient qu’ils allaient plaire aux milieux d’affaires. Maintenant que l’opinion publique est mieux informée sur ce sujet, le brûlot que représentait l’article 11 est en voie de devenir un point focal dans les débats sur le commerce cette année, confrontant les politiciens avec des questions embarrassantes concernant les autorités internationales. Qui a voté en faveur de l’élimination de la souveraineté nationale? Qui a couronné les investisseurs corporatifs en tant que nouveaux monarques des valeurs publiques?