Ecstasy: un médicament sur prescription : Une pilule miracle?
Société

Ecstasy: un médicament sur prescription : Une pilule miracle?

Alors que l’ecstasy fait le bonheur des fêtards et le malheur des policiers, l’Américain RICK DOBLIN milite pour que cette drogue soit reconnue comme un médicament sur prescription. Suivez la posologie…

Pour certains ravers, l’ecstasy représente la pilule de l’amour, voire le cocktail du plaisir. Pour les policiers, l’ecstasy constitue une drogue illégale, dont le trafic devient de plus en plus problématique. Aussi surprenant que cela puisse paraître, pour une poignée d’irréductibles spécialistes américains du milieu de la santé, l’ecstasy est un médicament! À tel point qu’ils désirent rendre le 3,4 – méthylènedioxyméthylamphétamine (MDMA pour les initiés, ecstasy pour les autres) légal et disponible sur prescription à des fins thérapeutiques, à l’instar des démarches engagées concernant la marijuana.

Du moins, c’est l’objet de la lutte de l’Américain Rick Doblin et du groupe qu’il a fondé en 1986, Multidisciplinary Association for Psychedelic Studies (MAPS). Quelques années auparavant, ce quadragénaire avait créé une autre organisation dans le but d’empêcher le gouvernement américain de rendre l’ecstasy illégale, utilisée alors comme "instrument" depuis les années 60 par une poignée de psychiatres (même dans le cadre de thérapies de couple!), avant de tomber dans le lucratif marché du trafic de drogues. Peine perdue. Doblin a dû s’avouer vaincu en 1985, alors que le très important organe antidrogue DEA (Drug Enforcement Agency) a réussi à convaincre le gouvernement de classer l’ecstasy parmi les drogues criminellement interdites. Une pilule difficile à avaler pour Doblin… "C’est à ce moment que je me suis dit que si on voulait que le MDMA soit un médicament un jour, il fallait faire de la recherche et organiser un groupe très sérieux, que nous avons baptisé MAPS." Depuis, ce groupe, que son président décrit comme une "compagnie pharmaceutique sans but lucratif" (!), réunit quelque 2000 membres (du milieu de la santé de partout dans le monde) et réalise des recherches afin de démontrer, preuves à l’appui, les possibilités médicales du MDMA, encore trop sous-estimées, selon Doblin. C’est pourquoi ce détenteur d’un Ph.D. de l’Université Harvard désire légaliser cette drogue pour des applications thérapeutiques.

Quelles sont-elles, ces fameuses propriétés bénéfiques? D’après Rick Doblin, elles n’ont rien à voir avec la sensation d’euphorie ressentie par les ravers amateurs de ces petits comprimés. En fait, le MDMA serait particulièrement utile et efficace pour traiter des gens souffrant de troubles émotionnels, de même que les personnes atteintes de maladie mentale, en facilitant la communication et en brisant les barrières psychologiques. Par exemple, puisque le MDMA agit comme un complexe stimulant-tranquillisant, les gens victimes d’un stress post-traumatique (état de panique survenant à la suite d’un événement malheureux) pourraient l’utiliser pour retrouver leur calme et mieux s’ouvrir aux thérapeutes. De leur côté, les cancéreux en phase terminale pourraient surmonter leur anxiété, et les dépressifs, recouvrer une humeur moins maussade. Bref, selon Doblin, les usages de l’ecstasy concernent d’abord et avant tout le processus psychotérapique et faciliteraient le travail des thérapeutes ainsi que des psychiatres. "Ces effets sont connus principalement grâce à des expériences cliniques réalisées avant la criminalisation de l’ecstasy [donc durant les années 70 et 80] et grâce à des recherches issues de pays étrangers, notamment de Suisse", note-t-il.

Rick Doblin connaît assez bien les effets de l’ecstasy. Car il parle d’expérience. C’est à l’âge de 18 ans qu’il a essayé pour la première fois le LSD, pour ensuite tenter l’expérience avec l’ecstasy. "Cela m’a ouvert l’esprit et j’ai alors décidé d’étudier plus en profondeur ces drogues." Tant et si bien qu’en 1972, il se dirige dans une carrière de "thérapeute psychédélique", qui le mène finalement à la création de la MAPS. Doblin est de plus en plus pris au sérieux. En plus d’un portrait de son groupe publié dans le prestigieux Journal of the American Medical Association, Doblin a participé, en février dernier, à une conférence sur le MDMA, intitulée The State of Ecstasy et tenue à San Francisco. Des centaines de spécialistes se sont penchés sur cette drogue. Doblin y était pour vanter ses mérites médicaux. "Le milieu de la santé traditionnel hésite à adopter notre point de vue, affirme-t-il. Nous soulevons une question bien polémique. Mais il ne faut pas oublier que la santé de malades est en jeu."

Pourquoi l’ecstasy?
La MAPS entend bien prouver les vertus du MDMA par le financement et la réalisation de recherches sérieuses, en collaboration avec des spécialistes sympathiques à sa cause. Pour ce faire, l’organisme a créé un laboratoire médical approuvé par la Food and Drug Administration (FDA, organe de réglementation concernant les aliments et les médicaments), labo qui constitue le théâtre des expérimentations et qui fournit, bien entendu, la matière première. Divers tests y ont déjà été effectués depuis une dizaine d’années, tous sur des animaux (chiens et rats) et en collaboration avec des universités américaines. Car c’est seulement en 1992 que la FDA a permis à la MAPS de réaliser la première recherche américaine concernant le MDMA sur des sujets humains. "Cette étude a prouvé que les effets secondaires sont assez minimes si le MDMA est pris raisonnablement, indique Rick Doblin. Maintenant, nous voulons faire une expérience sur de vrais patients, comme des cancéreux. Mais cela demande encore plus de lobbying, car la FDA reste encore très prudente." En Espagne, toutefois, la MAPS s’est jointe à un groupe de chercheurs qui poursuivent présentement une étude sur des patients souffrant d’un stress post-traumatique, c’est-à-dire 150 femmes qui ont dû mal à se remettre psychologiquement d’agressions et d’abus sexuels qu’elles ont subis au cours des dernières années. Il s’agit de la première étude proprement thérapeutique effectuée par MAPS, qui en est toutefois toujours à l’état embryonnaire.

Ces recherches servent à prouver ce que Doblin sait déjà, mais que la majorité des gens ignorent: l’ecstasy représente un remède insoupçonné. Vraiment? Du moins, Doblin ne tarit pas d’éloges à son égard. "Pour les thérapies en milieu psychiatrique, le MDMA permet aux patients de s’ouvrir, de parler librement d’un problème, au lieu de se replier et de ne pas être capables d’indiquer la source de leur malaise, souligne-t-il. Cela peut paraître anodin, mais c’est d’une grande valeur thérapeutique." Selon lui, le MDMA pourrait également agir comme un antidépresseur insoupçonné. D’ailleurs, dans le livre Ecstasy: The Complete Guide, la réputée auteure et médecin new-yorkaise Julie Holland appuie cette thèse. Elle écrit que "l’ecstasy est un antidépresseur efficace et il n’y a rien de comparable actuellement sur le marché, alors que le milieu psychiatrique en aurait grandement besoin pour soulager les malades".

Pourtant, malgré cet emballement, de nombreuses critiques se font entendre, notamment chez les spécialistes de la santé employés par les antidrogue National Institute for Drug Abuse et DEA. Car, selon eux, des effets négatifs existent bel et bien quant à la consommation de MDMA. Les véritables risques à long terme se situeraient du côté des dommages au cerveau potentiels, argument qui constitue le principal reproche à l’ecstasy. "Si les doses sont régulières et petites, il n’y a aucun risque, ou presque, à mon avis, réplique Doblin. Le gouvernement utilise cet argument pour miner notre travail et faire peur aux gens. Mais nos études vont démontrer que l’inquiétude est injustifiée."

Ces critiques discréditent effectivement le travail de la MAPS, d’autant plus qu’il existe déjà sur le marché d’autres médicaments ayant sensiblement les mêmes effets (mais pas les mêmes propriétés), comme le Prozac et le Valium. Pourquoi alors vanter tant le MDMA? "Pour que l’ecstasy soit accepté, il faudra le comparer à ces deux médicaments existants, souligne Doblin. Si tu cesses de prendre ces deux médicaments existants, les effets bénéfiques comme une meilleure concentration et une plus grande acceptation de soi cessent également. Par contre, quelques séances d’ecstasy, pouvant durer de un à trois mois, suffisent pour conserver des effets à plus long terme. Voilà où l’ecstasy peut se démarquer et où il présente un net avantage."

Autres drogues, même combat
Outre l’ecstasy, précise Rick Doblin, d’autres drogues dites psychédéliques (des hallucinogènes) laissent entrevoir des applications médicales. D’ailleurs, la MAPS vient à peine de recevoir l’autorisation de la part de la FDA pour une étude de la psilocybin (substance comprise dans les "champignons magiques"), la première étude sur ce produit en 25 ans, en collaboration avec des chercheurs de l’Université de l’Arizona. La MAPS travaille aussi avec des chercheurs russes sur les vertus de la kétamine, qui pourrait même être utilisée pour traiter la dépendance à l’héroïne, tout en se penchant sur les qualités du LSD pour contrer la dépression et sur les effets du PCP et du GHB sur certaines maladies mentales. Comble de tout, la MAPS tente présentement de démontrer que les hallucinogènes seraient également efficaces pour diminuer les symptômes… de la maladie d’Alzheimer et de Parkinson! "Les drogues psychédéliques en général auraient tout intérêt à être découvertes", précise Doblin, optimiste comme pas un.

Par contre, la MAPS n’évolue pas dans une conjoncture favorable à sa cause. Le 14 mai dernier, la Cour suprême des États-Unis a rejeté l’utilisation du cannabis à des fins médicales, alors que plusieurs groupes importants défendaient cette cause. De plus, renouvelée par l’arrivée au pouvoir de George W. Bush, la fameuse "war on drugs" aux États-Unis, menée par la DEA et le National Institute for Drug Abuse, bat toujours son plein et discrédite considérablement les actions de la MAPS. "Je crois qu’il faut tout de même persévérer pour que le développement scientifique et médical surpasse une guerre ridicule, affirme Doblin. Cette guerre contre la drogue entraîne des erreurs, puisque si on autorisait certaines drogues de façon restreinte et à des fins médicales, bien des malades retrouveraient une meilleure santé."

Malheureusement, les adversaires de la MAPS trouvent dans l’utilisation de l’ecstasy à des fins récréatives (et pas seulement dans les raves) une situation bien embarrassante… "Cela donne raison à la guerre contre la drogue, conclut Doblin. Des jeunes s’intoxiquent à l’ecstasy, car ils la prennent dans de mauvaises conditions. Cette consommation détruit la crédibilité du MDMA comme médicament potentiel. Elle donne une image négative, qu’il faut réhabiliter." À coups de recherches, qui manquent toujours pour mieux prouver ses dires…


Non à l’ecstasy au Canada
Alors que Santé Canada permet bien timidement l’usage de la marijuana à des fins thérapeutiques, rien de semblable n’est en cours concernant les hallucinogènes comme l’ecstasy. Du moins, c’est l’avis des porte-parole de l’organisme interrogés au téléphone.

"Aucune application médicale." C’est de cette façon que Santé Canada résume sa position sur l’ecstasy dans un rapport sur les drogues publié sur son site Internet. Pour que le MDMA puisse un jour se classer parmi les médicaments sur prescription, il faudra que des chercheurs canadiens se penchent sérieusement sur cette drogue, histoire de prouver son potentiel, et qu’un fort lobbying appuie les éventuelles découvertes. Pour l’instant, aucune recherche sur les vertus médicales de l’ecstasy n’a été portée à l’attention du public au Canada.