![L'investissement éthique : L'argent peut-il faire le bonheur?](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2012/01/9388_1;1920x768.jpg)
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L’investissement éthique : L’argent peut-il faire le bonheur?
Grâce aux fonds d’investissement éthiques, vous pouvez acheter des actions sans vous sentir coupable. Reste à savoir si votre portefeuille, lui, sera heureux et prendra du poids…
Georges Boulanger
Photo : Mathieu Bélanger
Assis tranquille sur votre futon de fabrication syndicale avec une bonne tasse de café équitable, le nouveau Manu Chao dans le lecteur de CD, vous vous apprêtez à savourer un petit moment de satisfaction bien mérité. Les temps sont bons. Vous avez eu la clairvoyance de placer vos prêts étudiants dans Nortel, de revendre vos actions juste avant la débandade, et de placer votre profit dans de bonnes vieilles valeurs sûres comme les ressources naturelles et le pétrole.
Au Téléjournal, il n’y a que de bonnes nouvelles. George W. Bush lance un grand appel à la production énergétique aux USA et à travers le monde. Du golfe du Mexique à l’Alaska, en passant par les sables bitumineux de l’Ouest et le golfe du Saint-Laurent, on va "driller". Les Américains ont besoin de jus. Les Ford Explorer ont besoin de jus (sans parler de tous ces pneus Bridgestone à remplacer). Que de bonnes nouvelles pour vous qui avez échangé vos actions de Point-com.com contre des actions de Talisman Mining…
Pourtant, chaque fois que George II ouvre la bouche, cette douleur vous prend à l’estomac… Est-ce à cause du café?
Non, c’est votre conscience. C’est le fait de réaliser qu’avant même d’avoir pris le temps de décrocher l’affiche du Che qui trônait dans votre salon, vous êtes subtilement passé dans l’autre camp. Subitement, l’envie vous prend d’envoyer toutes vos actions et vos bons du Trésor au sous-commandant Marcos. Fuck…
Rassurez-vous, il existe une autre solution: l’investissement responsable.
Les fonds mutuels éthiques
Vous avez ragé en regardant L’Erreur boréale? Le sort des téléphonistes de Bell vous a fait pleurer? Que celui qui n’a pas d’actions de Bell ou d’une papetière dans son REER jette le premier pavé.
Ceux qui ont mis leur argent dans les Fonds Environnement ou Éthique de Desjardins dorment un peu plus tranquilles. Ils savent que leur argent est placé uniquement dans des compagnies qui adhèrent aux codes internationaux environnementaux les plus exigeants, qui ne font face à aucune poursuite et qui ne fabriquent pas de tabac ou d’armes. Les investisseurs du Fonds Éthique savent aussi que les compagnies dans lesquelles ils mettent leurs sous "respectent les droits de la personne et des travailleurs", et qu’elles ont des programmes d’équité d’embauche pour les femmes et les minorités.
Il existe au Québec une quinzaine de fonds d’investissements éthiques, des fonds qui filtrent leurs investissements en fonction de critères économiques mais aussi sociaux et environnementaux. C’est une infime part du marché des fonds mutuels, mais avec 50 milliards de dollars en capitalisation et une performance comparable aux fonds réguliers, les fonds éthiques ne font plus rire d’eux.
Cela dit, les fonds verts ne sont pas nécessairement 100 % propres. Les gestionnaires pratiquent généralement la politique du best in business, c’est-à-dire qu’on investit dans la compagnie la moins pire d’un domaine donné.
"Il y a un bénéfice pour l’image de la compagnie, explique François Meloche, analyste environnemental pour le Groupe investissement responsable, une division de la firme de courtage Demers Conseil inc. (www.investissementresponsable.com). On peut le constater avec Exxon-Mobile. Cette compagnie est la plus grosse pétrolière dans le monde, mais elle est devenue une paria à cause de ses pratiques environnementales. BP et Shell Amoco ont fait une analyse de risque, elles ont décidé d’adopter des pratiques plus propres, et elles s’en trouvent avantagées auprès du public."
Si tout ce pleurnichage politiquement correct vous hérisse, vous ne perdez rien pour attendre. La famille de fonds Timothy Plan, qui filtre les compagnies "encourageant le sexe, la violence ou les valeurs anti-familiales à la télé" (because Exode 20:7 et Corinthiens 15:33) et celles qui donnent des avantages sociaux à leurs employés ayant des "modes de vie non traditionnels", n’est pas encore disponible au Canada.
L’activisme d’actionnaire
Vous vouliez aller à Québec au mois d’avril pour manifester contre les grosses multinationales qui emploient des enfants dans les sweatshops du Tiers-Monde, mais, bon, il y avait les gaz lacrymogènes, et vous qui souffrez d’asthme…
Alors, faites comme Robert Bowes. Membre de la Caisse de retraite des pompiers de Lasalle/Verdun, monsieur Bowes est allé à l’assemblée annuelle de la Compagnie de La Baie d’Hudson à Toronto, a mangé quelques sandwichs pas de croûte et fait essentiellement la même demande par le biais d’une proposition d’actionnaire. Sa proposition a reçu seulement 15 % des votes mais La Baie s’est engagée a réviser ses pratiques.
Sherazade Adib, analyste sociale au GIR, croit que les gens doivent se rendre compte que le capital des grosses et méchantes multinationales, c’est souvent à eux qu’il appartient, par le biais de leurs fonds mutuels et caisses de retraite. "Les militants ont tendance à ignorer ces choses-là. Ça n’a pas d’allure, c’est notre argent! Il faut s’impliquer!"
Le simple fait de mettre une proposition sur la table et d’obliger les dirigeants à y réagir peut être suffisant pour faire bouger les choses, explique madame Adib. "Souvent, on constate que dans les entreprises, il y a des gens progressistes. Ce n’est pas vrai qu’ils veulent des enfants dans leurs usines!"
D’ailleurs, si La Baie a facilement battu la proposition des pompiers de Verdun, elle a un peu plus de difficulté à expliquer aux journalistes pourquoi elle refuse de s’engager à respecter le code de conduite de l’Organisation internationale du travail…
Les clubs d’investissements
Si, par contre, l’odeur du poivre de Cayenne ne vous fait pas peur et que vous êtes à la recherche d’occasions d’investissements plus corsés, vous devriez jeter un coup d’oeil du côté du Black Bloc de l’investissement responsable: le GIE.
Le Groupe d’investissement éthique Montréal (geocities.com/gie_eig) réunit 50 membres qui ont en commun un capital d’un peu plus de 100 000 dollars. Les membres du GIE investissent 60 % de cet argent dans des compagnies qui fabriquent ou développent des technologies propres comme des panneaux solaires ou des solutions de rechange au bois. Le reste de l’argent est prêté à des organismes comme l’Association communautaire d’emprunt de Montréal, un groupe qui, à son tour, le prête à des immigrants, à des assistés sociaux, et à d’autres personnes que les banques refusent d’aider.
"Ça fait une différence quand les gens s’impliquent, explique Michaël Pinsonneault. Je ne veux pas dire du mal des gros fonds éthiques, mais c’est un peu plus impersonnel." Les membres du GIE investissent entre 50 et 300 dollars par mois et participent à toutes les décisions.
Petit problème, par contre: le GIE, seul groupe du genre au Canada, n’accepte plus de membres. "Si on acceptait d’autres membres, on deviendrait un fonds mutuel, et c’est tout un chiard. Il faudrait se donner une charte, payer des frais… Or, nous sommes tous bénévoles." Il y a quand même une liste d’attente, et les membres sont disponibles pour aider d’autres groupes à s’organiser.
Autre tracasserie légale: les clubs d’investissements ne sont pas éligibles aux RÉER, ce qui peut être un inconvénient important pour les petits investisseurs. Cela dit, le groupe affiche quand même une performance concurrentielle.
En effet, en 2000, le GIE a battu les principaux indices boursiers canadiens et américains. Encore mieux: les membres du GIE peuvent regarder George W. Bush dans les yeux sans éprouver de malaise.
Aveu: Georges Boulanger possède des actions de la Banque Royale, de la Banque de Montréal, de la CIBC et de Nortel. Il ne dort pas très bien par les temps qui courent.